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Les Vanupieds (50)

Publié le 06 juillet 2010 par Plume

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Soudain, la porte s’ouvrit avec fracas :

« France ! »

La voix cristalline d’Alissa retentit dans le silence. France se dressa aussitôt sur son séant, le cœur battant d’anxiété.

« Alissa ! Que se passe-t-il ? Pourquoi est ce que tu cries ? »

Alissa courut jusqu’au lit et y grimpa précautionneusement, veillant à ne pas lui faire mal.

« Il ne se passe rien, France ! » Répondit Adam à la place de sa jeune sœur en refermant le battant derrière lui.

Il lui sourit.

« Mais tu nous manques tant ! Nous sommes heureux de te retrouver ! »

Il paraissait ému, alors qu’il s’approchait d’elle à son tour. France respira profondément et hocha la tête. Alissa vint à quatre pattes se blottir passionnément contre sa poitrine, éclatante de bonheur :

« Je suis si fatiguée ! Soupira-t-elle avec une grimace. Le jour est trop long, France ! »

L’aînée, amusée, caressa sans parler les boucles blondes qui lui chatouillèrent le menton. Adam s’assit près d’elle et l’examina attentivement, soucieux :

« Tu as mal, France ? »

La fillette brune appuya sa joue contre la tête dorée de sa cadette et lui adressa un sourire rassurant :

« Non ! Plus maintenant ! »

Adam se détendit, soulagé :

« Je suis content. Je n’aime pas quand nous sommes séparés de toi comme ça, Alissa et moi…

- Je n’aime pas ça non plus ! Déclara France en rapprochant ses sourcils, sombre. Mais ça ne durera pas. »

Il tressaillit de joie :

« C’est vrai ?

- Je ne veux pas que ça continue comme ça. Ma jambe sera bientôt réparée. Nous partirons alors… »

Elle eut un mouvement incontrôlé de colère :

« Fichu accident ! Tout ceci ne serait pas arrivé si je n’avais pas mis mon pied dans ce trou ! »

Adam glissa tendrement sa main dans la sienne.

« Tu n’y es pour rien. Nous n’avons pas eu de chance. »

Elle le considéra un instant en silence.

« Oui, peut-être ! Murmura-t-elle enfin d’un ton las.

- Ce n’est pas peut-être, c’est sûr ! S’exclama Adam. Tu as mis ton pied dans ce trou. Cela aurait pu m’arriver à moi, ou arriver à Alissa. Ce n’est pas de ta faute. »

Elle sourit, réconfortée

« Oui, sans doute… »

Adam baissa les yeux. Une question le taraudait depuis des jours et des jours. Depuis l’accident. Mais il n’osait pas la lui poser. Il craignait sa réaction. L’aînée n’aimait pas se sentir en faute. Quand il releva les paupières, il croisa son regard inquisiteur, comme si elle savait que quelque chose le tracassait, comme si elle savait qu’il voulait lui parler. Adam resta une seconde bouche bée. Mais comment faisait-elle pour toujours savoir ? Pour anticiper ainsi le moindre de leurs interrogations ? Nerveusement, Adam se tassa sur la couverture, hésita puis se décida enfin, conscient qu’il n’échapperait pas à ce ténébreux regard.

« France…

- Hum ?

- Pourquoi as-tu cédé ? »

France écarquilla les yeux sans comprendre.

« Devant la bande des garçons ! Expliqua Adam alors. Tu leur as lancé notre argent. Mais il nous aurait été bien utile après ton accident. »

C’était un reproche, à n’en pas douter. France fronça les sourcils. Mais elle ne se fâcha pas.

« Je n’avais pas d’autres choix, Adam. Il nous fallait du temps pour gagner une avance suffisante.

- Mais est ce que nous n’aurions pas pu en avoir sans leur donner tout notre argent ?

- Non. Ils étaient trop nombreux et probablement plus rapides que nous… »

France parlait calmement :

« Vois-tu Adam, il est parfois nécessaire de sacrifier une bourse pleine d’écus pour garder trois sacs remplis de l’indispensable. Et surtout pour éviter d’avoir le dessous. Ces garçons étaient plus forts, de par leur nombre et leurs habitudes. Je t’ai retenu, Adam, parce que tu n’avais aucune chance face à eux. Or la chance, souviens-t-en, c’est quelque chose qu’il faut mettre de son côté quand on en a la possibilité. J’avais cette possibilité. Alors j’ai mis de notre côté la seule chance que nous avions de nous tirer sans dommage de cette situation… »

Elle eut un bref rire :

« Et cela a presque réussi ! Malheureusement, il y avait ce trou. Il était sans doute dit que j’y mettrais le pied dedans ! Je dois te dire quelque chose, Adam… »

Elle le contempla avec une grande fierté :

« C’est bien ce que vous avez fait, Alissa et toi. Vous avez oublié votre peur pour me sortir de ce mauvais pas. C’est bien Adam. Je n’en attendais pas moins de vous… »

Les grands yeux bleus d’Adam brillèrent intensément :

« C’est vrai ?

- Naturellement ! Pourquoi me demandes-tu toujours si c’est vrai ? »

France posa une main sur son épaule :

« Adam, rappelle-toi : tu as voulu te jeter sur ces garçons. Ce n’était pas du courage. C’était une folie téméraire et imbécile. Mais quand Alissa et toi avaient su oublier votre crainte pour m’aider, là oui, c’était du courage. »

La gorge nouée, Adam ne pouvait parler. Il se contentait de sourire béatement, stupéfait et heureux.

« N’oublie pas, Adam : le courage est une grande qualité, la témérité une parfaite idiotie. Je l’ai appris et tu l’apprendras aussi. Parce qu’il le faut. Parce que pour leur sécurité des enfants comme nous ne doivent pas les confondre.

- Oui, France. Je n’oublierai pas.

- Et tu auras bien raison ! S’exclama la voix affectueuse de Sœur Mérédith tout à coup. Tu leur apprends de bien belles choses, France, tu sais… »

Les deux enfants levèrent la tête. La religieuse venait de rentrer dans la pièce, une lanterne à la main, revenant de son tour quotidien auprès des enfants à la faveur du crépuscule. Elle les enveloppait des yeux, visiblement bouleversée :

« C’est très juste. Et c’est ce qu’il convient de faire. »

Elle s’approcha et posa la lanterne sur la petite table jouxtant le lit. La flamme bleuté envoyait danser sur les murs des ombres gigantesques et reflétait tendrement son doux sourire.

« Mes braves enfants ! J’aime entendre ce genre de propos ! C’est juste, c’est sage, c’est la vérité. »

France ne releva pas. Mais Adam lança à la religieuse un regard brillant :

« Ma sœur dit toujours la vérité !

- Je sais… »

Elle frotta affectueusement ses cheveux blonds :

« Tu peux être fier d’elle, Adam.

- Mais je le suis ! » Répondit-il avec un grand sérieux.

France plissa les lèvres dans une moue dubitative. Elle appuya machinalement le menton sur la jolie tête dorée de sa petite sœur, toujours blottie contre elle, et garda les yeux fixés sur la flamme, un long moment. La balafre prit une teinte étrange dans la pénombre. Effrayante même. Mais pourtant les traits de l’enfant étaient détendus, comme à chaque fois que les deux petits étaient à ses côtés. Détendus et sereins. Sœur Mérédith, qui les observait en silence, se sentit à nouveau très émue. Oui. Les trois enfants étaient profondément liés les uns aux autres. Le cœur de la religieuse battit curieusement plus vite. D’un amour qu’elle pensait avoir banni à jamais. Elle sourit, histoire de se donner bonne contenance, alors que les larmes lui montaient aux yeux, sans qu’elle ne puisse les en empêcher.

« Vous parlez, vous parlez, mes petits ! Mais avez-vous remarqué qu’Alissa s’est endormie ? »

Surprise, France pencha la tête. En effet, la petite fille avait sombrée dans un profond sommeil, paisible, le visage collé dans son cou. France resta un moment à la dévisager, silencieuse.

« Pauvre Alissa, murmura Adam, elle était si fatiguée ! Elle s’est sûrement endormie sans même s’en rendre compte ! »

Il bailla à se décrocher la mâchoire :

« Je crois que moi aussi je suis fatigué !

- Au lit ! Ordonna Sœur Mérédith en retournant à la porte. Bonne nuit, mes enfants ! 

- Bonne nuit, Sœur Mérédith ! » Répondit le garçon en s’étirant avec délice.

La religieuse disparut dans la pièce à côté. France posa la main sur la joue de sa petite sœur :

« Essayons de ne pas la réveiller ! Chuchota-t-elle. Elle dort si bien ! »

Adam approuva d’un signe de tête. Il monta sur le lit et fit glisser avec une extrême précaution la couverture sous le corps d’Alissa. Il y parvint sans la déranger. France sourit avec satisfaction :

« Bravo ! »

Elle voulut desserrer son étreinte. Mais Alissa était fermement accrochée à elle, même dans son sommeil. Ennuyée, France chercha de l’aide auprès de son frère. Mais ce dernier riait sous cape de ses efforts. France tenta une nouvelle fois de se dégager, aussi doucement qu’elle le put. Alissa s’agita. France et Adam s’immobilisèrent instantanément, retinrent leur souffle… Mais la petite fille ne s’éveilla pas et son aînée acheva lentement de l’écarter d’elle. Adam applaudit en silence, visiblement très amusé par la situation.

« Tu ferais mieux de m’aider au lieu de te foutre de moi ! Grimaça France, en réprimant son envie de rire aussi.

- Que non ! Marmonna Adam avec malice, c’est vraiment trop rigolo ! »

France allongea doucement la fillette près d’elle et Adam s’installa à son tour, remontant sur eux trois la couverture. Alissa dormait à poing fermé. France et Adam se regardèrent par-dessus la masse soyeuse de ses cheveux blonds, la même pensée leur traversant l’esprit. On était si bien dans un lit douillet, chaud… Après tant de nuits glaciales passées dans les rues ou sur le bord des chemins ! Ils se sourirent avec complicité et France souffla la flamme bleuté qui dansait allégrement dans la lanterne. L’obscurité les enveloppa aussitôt.

Et dans la nuit claire, les étoiles se mirent à scintiller toutes en même temps, merveilleux ballet de lumière blanche.


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