Aussi bien la droite que la gauche italiennes ont exprimé leurs regrets après l'arrêt rendu le 3 novembre 2009 [requête n° 30814/06] par la Cour européenne des droits de l'Homme, sur la présence de crucifix dans les salles de classe [cf. sur cette question l'article d'Hermas.info : un]. Il s'agissait de la fameuse Affaire Lautsi, du nom de celle que le journal français L'Humanité appelait alors "la Mère Courage en lutte contre le crucifix".
« Cette Europe du troisième millénaire ne nous laisse que les citrouilles des fêtes récentes », celles d'Halloween « et elle nous enlève nos symboles les plus chers », avait déploré alors le cardinal-secrétaire d'Etat Mgr Tarcisio Bertone. Il s'est réjoui que le gouvernement italien ait annoncé un recours contre la décision rendue [cf article Hermas.info : deux].
La Cour Européenne devrait rendre sa décision définitive dans quelques mois - décision attendue car elle devrait s'appliquer non seulement en Italie, mais aussi dans les 47 états membres du Conseil de l’Europe.
La plupart des Italiens considérent que le crucifix est un symbole culturel plutôt que religieux. Le Président de la République italienne lui-même, communiste, homme droit et au jugement mesuré, avait déclaré , quand le recours a été déposé auprès de la Cour : « Pourquoi enlever le Crucifix des écoles, quand il est unanimement reconnu comme un symbole important de la paix et de la fraternité ? ». Et de nombreux autres hommes politiques firent des déclarations du même genre pour exprimer leur indignation, et leur opposition. C’est donc que le Crucifix a une valeur pour eux, quelle qu’elle soit !
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Devant cette levée de boucliers du monde politique et laïc contre cette mesure, quelle est l’attitude de l’Episcopat ? L’Episcopat italien y est opposé, c’est sûr.
Cependant cette question politico-religieuse nous conduit à nous interroger sur la place qui est faite au Crucifix, symbole de notre salut, dans nos propres églises, alors que bien des
jeunes laïcs, eux, ne manifestent aucun resspect humain à en tirer publiquement gloire.
Où sont placés les Crucifix dans non églises ? Les pasteurs, évêques et prêtres, ont été les premiers à les enlever, en particulier de la place première qui lui revenait : sur l’autel, au milieu de l’autel. Se rendaient-ils compte de la signification de ce geste ? Certes, les Croix se trouvent à côté ou près de l’autel, tournées vers les fidèles. Mais l’autel est la plupart du temps nu, dépouillé, avec tout au plus deux chandeliers minuscules. C’est souvent une table minuscule en bois. L’autel du sacrifice ? Comme l’autel de la nouvelle basilique à San Giovanni Rotondo : une pyramide minuscule retournée, et tronquée à sa base, présentant quatre triangles, vide de tout… Pauvre Padre Pio ! Scandaleux !
Et l’on invoque les prétextes les plus absurdes en opposant la Messe « face au peuple », et la Messe « le dos au peuple ». Car il faut, dit-on, que les fidèles voient ce que fait le prêtre. Un prêtre colombien en séjour à Rome, après avoir assisté à une Messe célébrée par le Pape Benoît XVI, s’élevait avec force contre la présence de la Croix au milieu de l’autel, en disant : « C’est ridicule, car, ainsi, on ne voit plus le Pape ». Alors, il n’était venu à la Messe que « pour voir le Pape » ?…
La pratique de la Messe « face au peuple» a contribué à faire perdre la signification de la présence de la Croix au milieu de l’autel. La Messe, certes, est une assemblée « présidée » par le prêtre. Mais elle est beaucoup plus : elle est le Sacrifice du Christ qui s’offre lui-même, pour la rémission de nos péchés, rendu présent par l’intermédiaire des ministres choisis par lui et ordonnés par les Successeurs des Apôtres. A la Messe, nous pouvons dire en toute certitude que nous sommes « au pied de la Croix », témoins de l’unique Sacrifice du Christ. Nous sommes au Golgotha, au Calvaire.
Mais, qui donc se trouvait au pied de la Croix : Marie, la Mère de Jésus, Marie de Magdala, Marie femme de Cléophas, et Jean. Regardaient-ils les grands-prêtres haineux et la foule hurlante, tournant le dos à la Croix où était cloué Jésus, ou bien étaient-ils tournés vers Jésus sur la Croix ?
La Messe est célébrée sur l’autel, l’endroit du Sacrifice, le Calvaire donc, le Golgotha, et la Croix s’y élève, y est dressée, pour que se réalise la parole du Christ : « Quand j’aurai été élevé de terre j’attirerai tout à moi ». mais le « président » de l’assemblée, est avant tout le ministre ordonné, le prêtre, qui permet que le Sacrifice du Christ soit présent à toutes les époques jusqu’à la fin des temps, jusqu’au retour du Seigneur. Il n’est pas nécessaire qu’il soit tourné vers les fidèles, mais bien plutôt vers la Croix, au pied de laquelle Saint Thomas d’Aquin disait qu’il avait tout appris.
La liturgie séculaire de l’Eglise a souligné ce lien étroit entre le prêtre qui célèbre le Saint Sacrifice de la Messe, le Sacrifice du Christ, et la Croix bienheureuse « sur le bois de laquelle a été suspendu le Salut du monde ».
Et c’est pourquoi, on célébra dès le début le Saint Sacrifice tourné vers l’Orient, vers le Calvaire, vers le Golgotha, vers la Croix. Les églises étaient orientées vers l’Orient. Mais, quelle que soit l’orientation de l’église, la Croix figurait à la place qui lui revient, au centre de l’autel. Un dialogue s’instaurait ainsi entre le ministre du Christ et le Christ Sauveur, et pas nécessairement et uniquement avec les fidèles. Certes, ils ont leur place et leur importance. Mais « les brebis suivent le pasteur », qui les conduit, qui leur montre le chemin. Et, choisi parmi les hommes pour intercéder pour ses péchés et ceux du peuple, le Pasteur, le « Bon Pasteur », le Prêtre, est tourné vers le Seigneur sur la Croix, et prie au nom des ses brebis qui le suivent (et auxquelles il est erroné de dire qu’il « tourne le dos »). Le berger qui conduit ses brebis tourne-t-il le dos à son troupeau ?
Les gestes du prêtre, dont la plupart ont été supprimés par la réforme liturgique dans le novus ordo, avaient une signification profonde, pour lui d’abord, et pour les fidèles, et manifestaient ce dialogue « face à face », avec le Seigneur, comme Moïse « face à face avec le Dieu tout-puissant » sur la Montagne sainte.
Quand il montait à l’autel, il élevait les bras et les étendait vers la Croix en disant : « Enlevez nos fautes Seigneur, afin que nous puissions pénétrer jusqu’au Saint des Saints avec une âme pure ». (Aufer a nobis iniquitates nostras…). Puis, arrivé au milieu de l’autel, levant les yeux vers la Croix, avant de baiser l’autel, il récitait la prière « Oramus te Domine ».
A la fin de la Collecte, de la Secrète, de la Postcommunion, il disait « Per Dominum nostrum Jesus Christum Filium tuum, qui tecum vivit et regnat in saecula saeculorum » : il joignait alors les mains, et en inclinant la tête, au nom sacré de Jésus, en se tournant vers le Crucifix. Car, la partie la plus importante de la prière était celle-là : tout ce qui était demandé à Dieu l’était par Notre Seigneur Jésus Christ… Paroles pendant lesquelles, la plupart du temps, le prêtre, occupé à toute autre chose, fermait le Missel, et cherchait la feuille des annonces, car pour lui, « l’oraison était terminée ».
Avant de proclamer l’Evangile, le prêtre venait au centre de l’autel, levait les yeux vers la Croix, et récitait en privé la prière de préparation à cette proclamation de la Parole de Dieu S’il était assis, il venait devant l’autel, regardait la Croix, s’inclinait pour réciter la prière « Munda cor meum », et faisait la génuflexion.. .A présent, le prêtre, s’il est déjà à l’ambon, s’incline et bredouille quelques paroles… tourné vers qui ? adressées à qui ? S’il est au siège, il se rend à l’ambon, récite quelques phrases bredouillées, s’incline devant l’autel (on ne fait plus de génuflexion…, devant Dieu on est des « hommes debout »), et va « lire » l’Evangile.
Après le « lavabo », dans le rite tridentin, toujours en vigueur dans l’Eglise, le prêtre récitait une prière à la Sainte Trinité « Suscipe Sancta Trinitas » (qui a été supprimée dans le novus ordo), il venait au centre de l’autel, et levait d’abord les yeux vers la Croix. Et de même, avant de quitter l’autel avec un dernier baiser, jetant un regard vers la Croix, il récitait une autre prière à la Très Sainte Trinité, qui a été supprimée elle aussi dans le novus ordo, « Placeat Sancta Trinitas ».
Dans la célébration du Saint Sacrifice de la Messe, la Croix tenait pour ainsi dire une place centrale, pour le prêtre surtout, réalisant les paroles du prophète : « ils regarderont vers Celui qu’ils ont transpercé », mais aussi pour les fidèles, car tous, ministres et fidèles, pécheurs, nous tournons notre regard vers Celui, élevé de terre, nous attire tous à Lui : « sursum corda, habemus ad Dominum : élevons notre cœur, nous le tournons vers le Seigneur »… Où ? sur le côté de l’autel, à quelques mètres de l’autel ?
On nous a enlevé le Crucifix de la seule place à laquelle il devait se trouver, au Golgotha, sur le Calvaire, sur l’autel… Et l’on s’étonne que l’on veuille l’enlever des écoles, des lieux publics ?
Redonnez-nous la Croix, à sa place, sur les autels, afin que le prêtre, je le répète, comme Moïse, puisse s’adresser à Lui face à face pour intercéder pour le peule des fidèles, et pour lui-même.
Le Successeur de Pierre, à qui rien n’échappe, a jugé que le moment était venu de remettre la Croix au milieu de l’autel, face au célébrant. Et, à chaque voyage, à chaque Messe célébrée, dans les cathédrales, ou dans les plus humbles paroisses, en présence des Evêques, ou de l’Evêque, et du curé et de ses vicaires, la Croix se trouve au milieu de l’autel. C’est un enseignement qu’il nous donne, et que nous devons suivre avec une docilité filiale.
Je pense que nous retrouverons le sens profond du Sacrifice de la Messe quand les autels seront redevenus des autels, et quand la Croix victorieuse s’y trouvera : « in hoc signo vinces » : c’est l’inscription qui est apparue à Constantin, qu’il a fait mettre sur tous les étendards, et lui a donné la victoire au Pont Milvius à Rome. Le Démon ne redoute rien de plus que la Croix, le Crucifix. « In hoc signo vinces » : que tous nos autels retrouvent leur Croix, à sa place, sur l’autel. Alors chacun d’entre nous, ministres et fidèles, nous serons en mesure de rafraîchir notre foi, de l’approfondir, d’en vivre, de vivre de la Sainte Messe, car nous saurons que, à chaque Messe, nous sommes tournés vers le Christ, au pied de la Croix, avec Marie, Saint Jean et les saintes femmes.