Je ne vais jamais dans les hyper-marchés, la vie y est bien trop triste : c’est mangeaille à tous les étages et on achète toujours pleins de machins dont on n’a pas besoin avec le sentiment de faire des affaires jusqu’au moment où l’on reçoit le relevé de carte bleue… Mais bon, il est des moments où mêmes les réfractaires les plus endurcis sont contraints d’en passer par là. Or donc, j’y suis allée hier et j’y ai été témoin d’une scène assez intéressante.
Devant moi, à la caisse dite “rapide”, un jeune homme. Short long, tee-shirt, une jambe tatouée, belle gueule, rien d’étrange a priori. Il plaça, comme tout le monde, ses achats sur le tapis devant la caissière et lui présenta deux bouteilles de vin, l’un blanc, l’autre rouge, grommelant dans un mauvais français mais excellent espagnol qu’il en avait trois d’un modèle et une douzaine de l’autre dans son caddy. Rompue au procédé, la jeune fille recompta soigneusement et passa les deux échantillons devant son lecteur de code-barre. Une fois… deux fois… trois fois… insatisfaite, elle se mit à saisir les chiffres desdits codes, l’air de plus en plus ennuyé. Quelque chose n’allait pas.
Je pris alors mon air de victime résignée, celle qui tombe toujours sur la mauvaise caisse, qui trouve injuste que le sort s’acharne… jusqu’à ce que je me dise que finalement, j’étais en vacances et que je pouvais bien passer dix minutes à attendre, la planète ne s’arrêterait probablement pas de tourner. En plus, rien ne me pressait. Donc je répondis au sourire et aux excuses de la malheureuse caissière par un regard de compréhension bonhomme et bien-pensant qui l’encouragea à appeler son chef : “Oui, c’est Cindy à la 24, vous vous souvenez, le mois dernier, les étiquettes collées sur les bouteilles de vin en promo, j’en ai une mais je ne comprends pas…” Ah, Cindy, je ne savais pas encore que vous étiez si maline.
Il fallut quand même dix bonnes minutes pour qu’un chef de rayon, ou du moins un type assez désagréable avec un air de chef de rayon, traîne ses savates jusqu’à “la 24″. C’est alors que je compris l’affaire en cours. Ce joli jeune homme avait monté son coup très soigneusement. A la caissière, sélectionnée parce qu’elle était la plus proche de la sortie, il avait présenté une bouteille de sauternes Château d’Yquem 1997 et une autre de Château La Mission Haut-Brion dont je n’ai pas vu le millésime, étiquetées respectivement 3 euros et 1,40 euro… au lieu de 86 euros pour l’une et je-ne-sais-combien pour l’autre. Des codes-barres collés, effectivement, résultant d’une opération commerciale menée par le magasin trois semaines auparavant et précieusement conservés pour servir à ce joli vol.
Le chef de rayon ayant mis dix autres minutes à téléphoner à plus fort que lui, l’habile aigrefin ne s’est pas fait prendre. Voyant que son affaire tournait mal, il ne s’est pas départi de son calme mais s’est éloigné à pas de loup pour finalement filer fissa vers la porte. Coup manqué.