Mon bouledogue, au bout de sa laisse, ne voulait plus avancer. Il s'est calé sur ses pattes avant, il a bandé sa nuque puissante comme une arche, et il m'a regardé avec des yeux dépités et tendres. C'était une masse immobile. Il n'y avait plus rien à faire si ce n'était de le tracter. Quelque chose s'était coincé dans sa tête. J'avais presque l'impression qu'il s'en voulait de ne pas pouvoir me suivre. Mais c'était plus fort que lui. Il était braqué. Après avoir tenté la solution du faible, le rapport de force, j'eus l'idée de m'agenouiller et de lui demander ce qui n'allait pas. Aussitôt, la situation s'est débloquée et il est venu vers moi, les oreilles en arrière, un peu désolé mais content de pouvoir venir en discuter.
Je pense qu'il n'en va pas autrement avec nos blocages intérieures (psychiques, intimes, spirituelles, peu importe le nom). On sent bien que quelque chose se raidit. On enrage de buter contre soi-même. A ce moment, je crois que rien n'est plus utile que d'abandonner le combat - la volonté ne sert plus à rien - et de reprendre le dialogue intime, de se considérer avec bienveillance. Et alors on verra peut-être venir vers nous, tête baissée, cette part noueuse et têtue, qui a besoin qu'on prenne un peu de temps pour elle.