Chère Marion,
C’est gentil de te vanter dans les journaux de notre correspondance, même si je ne sais pas très bien ce que tu cherches à mettre ici en valeur : la grandeur et la simplicité de ton cœur, ta bonne conscience de petite-fille, ou bien encore mon grand âge et la durabilité, ou plutôt la ténacité revêche, des gens de notre famille (« la vieille a 101 ans, et avec toute sa tête, alors je peux vous dire que vous n’êtes pas prête de me voir partir. Chez nous, on dure longtemps ! ») .
Ce qui me chagrine, ce n’est pas tant savoir qu’aucune lettre tu ne m’envoyas jamais, ni que tu passes plus de temps à sniffer dans les chiottes des grands hôtels qu’à avoir une douce pensée pour les tiens qui ne sont presque déjà plus mais, malheureusement, bien encore là, les cons, ni que tu aies hérité de mon caractère égoïste, impudent et désinvolte (après tout, les chattes ne font pas des chiennes) ; non, ce qui me chagrine, c’est de te voir de te servir de mon cadavre pas encore froid pour amadouer ton monde.
Désolée, ma fille, mais je refuse d’être cet épouvantail paravent que tu exposes sur la place publique pour mieux cacher tes propres vices. Moi, je revendique au repos et que tu me foutes la paix. Aie au moins la décence d’attendre pour sortir ma dépouille comme un trophée. Tu as sûrement d’autres atouts à mettre en valeur qu’une grand-mère centenaire, planquée dans sa maison de retraite.
Baisers piquants,
Eva