Lundi, il est midi passé. Nous sommes côte à côte, face au gros photocopieur du premier étage qui crache, en rythme saccadé, des feuilles A4 noircies de texte.
J’ai faim. Je pense que lui aussi, je le vois regarder sa montre sans cesse, impatienté, et la pile de feuilles imprimées restant encore à copier.
Nos bras sont proches à se frôler. Je cherche à dissimuler le trouble que sa proximité provoque en moi, comme à chaque fois que je le vois. Je m’éloigne un peu et lui parle, de mes grands enfants, de leur vie, et lui dissimule leurs visites, si rares, mon entêtante solitude de veuve, mes habitudes de femme seule.
Je cherche à lui plaire, je le sens, je me connais.
Alors, je lui parle, encore, pour combler le vide de cette pièce où nous sommes seuls, affreusement intimes. J’essaye de ne pas regarder ses mains, la délicatesse de ses phalanges, de ne pas écouter mon cœur, la douceur de sa voix quand il me parle, cette intimité qu’il sait parfois créer entre nous, et dans laquelle je tente en vain de ne pas m’enfoncer, pour en ressortir en son absence, épuisée et désespérée.
Je ne sais pourquoi mon cœur l’a choisi, lui, pour cristalliser mes émois de vieille femme, pourquoi ses premiers pas dans mon bureau, il y a trois ans, ont fait jaillir en moi des émotions enfouies depuis si longtemps. J’ai pleuré depuis, des nuits entières, à l’annonce de son mariage, à la naissance de son premier enfant.
Cet amour m’est interdit. Je suis née bien trop tôt. Il ne faut pas. J’ai le double de son âge.