Ton regard, bien aimée, me portait dans l'espace
Tes yeux étaient si tendres et je n'avais plus peur
Au milieu des courants et des cristaux de glace,
Le doux flots de la joie faisait battre mon coeur.
Au milieu du danger mon âme était sereine
L'homme déchirait l'homme, plein de hargne et de haine,
Nous vivions un moment redoutable et cruel
Et le monde attendait une parole nouvelle.
Ton regard, mon amour, me portait dans la foule
Et je n'avais plus peur d'affronter les cyniques
Quelquefois cependant j'avais la chair de poule,
Le mal se propageait comme un choc électrique.
Alors je t'appelais, je te disais : "Je t'aime"
Et tu me promettais qu'il y aurait d'autres jours
Au milieu de la mort, de l'orgueil, du blasphème
Si nous pouvions le faire, nous sauverions l'amour.
Et puis cette nuit vint, une nuit ordinaire
Le soleil se battait, glissait dans les ténèbres
Mes genoux ont plié, je suis tombé par terre
Son baiser était froid, indifférent, funèbre.
Je me suis redressé après quelques secondes
Et j'ai lu dans tes yeux que tu n'aimais personne
Tu glissais vers la vie, tu revenais au monde,
Au chaos sec et dur que la mort emprisonne.
J'ai vu de grands rochers se briser dans le ciel,
J'ai vu de longs courants se tordre et se détendre
J'ai vu le grand serpent du monde matériel
Qui étouffait en toi le dernier regard tendre.
Notre amour se brisait comme une maison s'effondre,
Jamais on ne viendrait pour relever ses murs
Jamais des cris d'enfants au milieu des décombres
N'éveilleraient les spectres et leur vague murmure.
L'aube vint. J'étais seul. Vers l'est, de grands nuages
Se tordaient souplement, annonciateurs d'orage.
Je me suis relevé après une longue attente;
J'ai arraché des fleurs de mes deux mains tremblantes;
Très loin, je le savais, le principe destructeur
Se réorganisait. J'ai marché dans la peur.
Michel Houellebecq - La poursuite du bonheur - J'AI LU Poésie n° 5735