PRÉAMBULE :
Un grand merci à toutes mes muses à roulettes: William N’Paï, Slevich,VernonZola, LBK, Picoti, Maria, Air Nama, Hosannam, Blabaptiste, Zackmorel, Tof’EnfantdeNovembre&ses enfants, Stipe, Aziyadé, LeFilCéleste, Callyméraux, Néovers, Sacavers&Cie…
Après Les retraités du Plumart, et On a tiré sur Slévich, il est de mon devoir de rappeler les fondamentaux chers à Desproges :
« Ce texte est une œuvre de fiction. Toute ressemblance avec la réalité est à imputer à cette dernière. Toute coïncidence ou ressemblance avec des personnages réels n’est ni fortuite ni involontaire.
Je ne dis pas « ami lecteur » : on n’a pas gardé les Écritures ensemble.
DANS LA PEAU DE BILL OU SLEVICH…
8. De la musique avant toute chose.
Le concert dura près de deux heures. C’est la première fois que je voyais Vernon sur scène et on peut dire qu’il assurait. L’énergie déployée se baladait de la scène à la salle par ondes acoustiques et les vagues crées formaient une spirale au centre de laquelle Vernon irradiait. J’en avais la chair de poule par moments et cette parenthèse de pure poésie qui trimballe son lot de violence finit de me convaincre du talent incroyable de ce jeune fou sur scène, se livrant entièrement, exultant même, s’esclaffant régulièrement…Bref, j’étais sous le charme comme les autres spectateurs, ébahis par une sensation collective qui les dominait : ce sentiment un peu gênant aussi d’assister à la naissance de quelque chose dont on ignore tout, qu’on ne sait même pas définir mais qui semble avoir toujours existé.
Bien sûr, l’appel qui avait précédé devait participer de cette envie viscérale de tout envoyer bouler et chaque chanson m’y renvoyait. Va, vis et deviens, apprécie le chemin, n’oublie pas qui tu es… c’est ce que j’entendais un peu comme à la messe quand j’étais petite, et me fondre dans l’hystérie collective qu’engendrait le discours m’apparaissait comme un compromis acceptable.
J’avais affaire à un débutant, ce qui me rassurait. Je l’avais déconcerté à la première réplique et pendant que je me déchaînais au rythme endiablé de la musique de Vernon, cette pauvre cloche cherchait une parade, ce qui me faisait rigoler franchement. Enfin, franchement, pas tout à fait…Je riais jaune comme on dit trivialement. Ce type semblait cinglé, c’était une évidence mais connaissait mes faits et gestes, mon numéro de téléphone et surtout cette relation un peu hors norme que j’entretenais avec un parfait inconnu que j’avais adopté, je ne sais même pas en vertu de quoi… Ce rapport 100% virtuel n’était connu que par ces gens se réclamant du même univers, ce qui n’était pas pour clarifier la situation, même si paradoxalement elle énumérait la liste d’une dizaine de pseudos qu’il me faudrait passer au peigne fin, tâche rébarbative pour le moins….
Après le cinquième rappel, je rejoignis Vernon dans les coulisses, enfin, la petite cabine qui en tenait lieu et je ne pus que constater son inaccessibilité ; il était abattu physiquement mais toujours excité comme une puce, incapable de se concentrer sur une conversation « sérieuse » ; il l’admit sans peine, d’autant que la troupe avait encore du pain sur la planche avec tout ce taf qui les attendait, le rangement du matos en passant par la signature d’autographes et même le ménage, me dit-il en riant ; c’est bien toi qui me dis de garder les pieds sur terre, non ? Et bien, tu vois, j’suis pas près de chopper la grosse tête …
Nous nous quittâmes ainsi avec l’incontournable promesse de nous voir au plus vite et régler la question Hosannam. Je ne lui dis rien de l’appel reçu, c’eut été aussi inapproprié que vain et je fis le chemin du retour, le corps enveloppé d’une pellicule étanche, le cerveau traversé d’images un peu psyché, les oreilles bourdonnantes, le pas léger, la clope au bec sur un sourire sûrement niais, mais il faisait nuit, j’étais seule sur les quais et je n’avais aucune raison de ne pas me réjouir de cette chance incroyable, d’être en vie tout bonnement.
C’est donc avec une nonchalance qui m’étonna moi-même que je répondis sans trembler à l’appelant inconnu :
Vous avez réfléchi ?
- A quoi ?
- A qui, voulez-vous dire ? Qui d’autre que votre frère ?
- On ne se tutoie plus ?
- N’essayez même pas de m’amadouer, vous seriez la première à vous le reprocher.
- Bon, si vous me disiez dans ce cas ce que vous voulez, hein ? Ce serait plus clair…
- Moi, je ne veux rien ; mon seul rôle dans cette histoire c’est vous mettre en garde
- Mon dieu ! Serais-je en danger ?
- Pas pour le moment mais tout change si vite dans ce monde instable, ne trouvez-vous pas ?
- Oh, vous savez, moi…Je ne trouve plus grand-chose une fois minuit passé…
- Vous bluffez !
- Et vous tergiversez ! Où est Slévich ?
- Là, à côté
- Passez le moi !
- Ce serait avec plaisir mais comment vous dire, il en est comme empêché…
- Empêché ? Comment ça ?
- Votre frère est frappé d’aphasie ; je ne suis ni un bourreau ni un kidnappeur, juste un de ses lecteurs, tout comme vous…
- Dans ce cas pourquoi cette mise en scène grotesque ?
- J’avoue que c’était une erreur ; je pensais gagner du temps
- Mais qu’attendez-vous de moi au juste ?
- Je voudrais que vous l’aidiez comme j’essaie de le faire moi-même. Il n’est pas beau à voir vous savez…Et le seul mot qu’il ait réussi à prononcer, c’est votre nom.
- Un nom tellement courant qu’il est probable que je ne sois en rien concernée…
- En effet, mais les trois homonymes trouvés n’ont rien changé à son état alors que l’appel de tout à l’heure a suffit à le sortir un instant de sa léthargie…Essayez de comprendre….
- J’aimerais beaucoup, croyez-le….
- Dans ce cas, venez le voir. Demain matin. Clinique des Roses. Demandez le docteur Céleste. Phil Céleste.
- Quoi ? C’est vous ? Vous êtes docteur ?
- Neurochirurgien, oui, que cela ne vous mette pas mal à l’aise…Vous n’avez rien à craindre…
- Et cela vous arrive souvent d’appeler au sujet de vos patients après minuit ?
- Quand il le faut oui. Vous n’êtes pas facilement joignable, vous savez…
- Mais dites m’en un peu plus ! Slévich est hospitalisé c’est ça ? Suite à une aphasie ? C’est une maladie psychiatrique ?
- Vous en saurez plus demain. Vous saurez tout, je vous le promets
- D’accord ; j’espère que ce n’est pas une blague de mauvais goût…
- J’ai passé l’âge de me prêter aux canulars…
- Si vous le dites…
- A demain alors ; je compte sur vous. Venez seule. Les travaux que je poursuis sont confidentiels…
- Attendez ! Slévich n’est pas un cobaye ! Allo ! Allo ! »
9.Drôle d’endroit pour une rencontre
La clinique des Roses portait mal son nom ; un bâtiment délabré s’élevait au fond d’un jardin qui n’avait pas été entretenu depuis des lustres. S’il subsistait, de chaque côté de l’escalier envahi de salpêtres, quelques bosquets de la plante éponyme, c’était sous forme fantomatique. De drôles de boules décolorées pointaient au sommet de bouquets d’épines dépourvus de feuilles. Tout était gris, du ciel au parterre. Je ne croisai âme qui vive du parking à l’entrée et j’étais sur le point de rebrousser chemin quand l’horrible grincement d’une porte rouillée qu’on maltraite me fit lever la tête. Une jeune femme d’une étonnante beauté venait à ma rencontre. Cette incongruité accentua mon malaise mais plus question de me défiler.
Merci d’être venue ; je craignais que vous n’ayez changé d’avis …
- Est-ce vous que j’ai eu hier au téléphone ? Votre voix…
- Oui, on me le dit souvent mais cela doit rassurer les patients. Vous fumez ? Venez, faisons quelques pas ensemble dans le jardin, les murs ont des oreilles, ici plus qu’ailleurs
- Pourtant ce lieu me semble vide…
- Ne vous fiez pas aux apparences. Et puis, il est encore tôt.
- Que les choses soient claires, docteur, je suis curieuse de nature mais je ne crois pas en cette histoire d’aphasie…C’est tellement délirant ! Slévich frappé du même mal que Baudelaire, comme par hasard ….Et moi ? Je suis Jeanne Duval, peut-être ? Quoi ?
Le docteur Phil Céleste (qui semblait décidément s’amuser à brouiller les pistes en masculinisant son prénom Philippine) me dévisagea un moment, un étrange sourire aux lèvres. Elle était d’une beauté d’autant plus attirante qu’elle semblait avoir sciemment effacé toute trace de féminité dans son allure, sa coiffure, l’absence totale de maquillage. Elle me fit penser à George Sand, droite dans ses bottes de cavalière, son jodhpur mettant en valeur de longues jambes fuselées et sa chemise immaculée fermée au col était recouverte d’un petit gilet moulant sans manches. Ses cheveux coupés à la garçonne soulignaient l’exquise délicatesse de ses traits et ses yeux ibis se passaient sans problème de khôl comme ses longs cils de mascara. Elle dut se rendre compte de mon trouble et crut bon d’excuser son jeune âge en déclinant son CV, brillant, ses diplômes prestigieux et ses recherches qu’elle entamait à peine après avoir travaillé pour des professeurs émérites plus intéressés par sa plastique que sa tête bien faite.
Vous devez savoir ce que c’est…
- Pardon ? Non, j’avoue que ce genre de désagrément m’est totalement étranger, presque autant que la raison de ma venue ici…
- Pourtant vous êtes là, c’est bien que cette histoire vous intrigue…
- Mais quelle histoire à la fin ? Si on arrêtait de tourner autour du pot, maintenant ?
- Je ne vous ai pas fait venir ici pour autre chose que cerner une vérité. Slévich dépérit, cela va au-delà de sa santé psychique, vous comprenez ? Comme s’il était en état de choc. Je cherche à le replacer dans un état similaire.
- Les électrochocs n’ont rien donné ?
- Allons, soyons sérieuses ! Cela n’a rien d’une plaisanterie vous savez… Votre frère…
- Slévich n’est pas mon frère
- Pourtant il ne fait aucun doute qu’il associe votre prénom à celui de sa sœur, ce sont d’ailleurs les deux seuls mots compréhensibles qu’il sache exprimer « ma sœur »
- Mais tout ça est un jeu ! Si je vous dis que je ne sais même pas à quoi il ressemble, vous me croirez ?
- Je croirai en la sincérité de vos propos, mais tenez, que dites-vous de ça ?
Elle sortit de la petite poche de son gilet un petit papier plié en quatre, que je défis en lui lançant un regard incrédule. Il s’agissait de mon portrait, esquissé au fusain, plus ressemblant que nature. Je restai interdite.
« Vous pouvez le garder si ça vous fait plaisir, il passe ses journées à reproduire le même dessin, dix, vingt fois par jour, les yeux mi-clos, sans prononcer le moindre mot. Une fois son dessin achevé il en fait un autre, identique…
Allons-y dans ce cas et réglons cette histoire une fois pour toute !
Phil jeta son mégot par-dessus ses épaules et me pria de la suivre. Une odeur de soupe montait dans les étages et nos pas résonnaient dans l’escalier comme unique écho au silence inquiétant qui régnait. Arrivées au troisième étage, elle sortit un trousseau de clés et je ne pourrais dire combien de porte elle déverrouilla jusqu’au bout du couloir interminable, parcouru de multiples courants d’air glacés dont je n’arrivai à cerner l’origine. Enfin, une porte capitonnée me séparait de Slévich, mon cœur battait à tout rompre. Et si ? Non, je n’avais plus le temps de me perdre en hypothèses controversées, je retins mon souffle, rassemblai mes esprits (c’était le cas de la dire..) et…
A peine franchi le seuil de la petite pièce, un ultime déclic me fit tressaillir. La porte venait de se fermer derrière moi et je me retrouvais seule dans une pièce minuscule jetée dans la pénombre. Le seul mobilier qui la constituait était ce lit en fer sur lequel un homme était sanglé. Je ne distinguais que ses cheveux aussi noirs que les miens ; le reste de son corps qui me semblait démesuré était caché sous des draps d’une blancheur presque phosphorescente. J’avançai à petits pas, terrorisée mais curieuse de connaitre enfin le visage de ce poète aussi mystérieux que familier.
J’aurais dû hurler, je pense mais je semblais à mon tour frappée par cette aphasie qui se révélait contagieuse. Sous mes yeux horrifiés, gisait paisible un homme, certes plus jeune que moi, mais aux traits similaires. J’étais face à mon double masculin et c’est le reflet le plus épouvantable qu’il m’ait été donné de contempler. Je perdis connaissance.
10. Mon double et moi
A mon réveil - était-ce une heure ou une nuit qui s’était écoulée ? – une forte sensation d’entravement, de celle qui fait penser à une fièvre tropicale, s’étouffa dans ma gorge. Je mis quelques minutes à faire le point, et l’absence d’objets ou meubles alentour n’était pas pour aider à cet atterrissage que personne n’applaudirait. Je me rendis très vite compte qu’il m’était impossible de bouger ne serait-ce qu’un doigt. Ma nuque était prise dans une sorte de minerve et mes quatre membres solidement attachés à ce lit où j’étais couchée. Je me souvins alors de la dernière image reçue, celle-là même qui m’avait fait sombrer. Slévich ! Slévich qui avait disparu, Slévich que je venais de retrouver et Slévich à nouveau évaporé !
Tandis que la colère, nourrie de l’incompréhension, son ingrédient favori, montait inexorablement, un bruit métallique précédé de pas me força un peu bêtement à mimer le sommeil.
J’entendis des chuchotements absorbés par un nouveau clic d’une porte qu’on ferme à clé, avant de sentir un souffle tiède sur mon visage alors qu’une main soulevait une de mes paupières et qu’un aveuglement violent me pousse au réflexe d’un cri.
Je vous l’avais dit, Phil, elle est bien réveillée ! Notez la dissimulation comme première réaction, c’est fort intéressant….
- Oui docteur.
Cette fois, j’ouvris les yeux, chassai les papillons lumineux faisant barrage et criai :
Détachez-moi !
- Dès que vous serez calmée. Nous ne vous voulons aucun mal, ma chère. Nous sommes là pour vous aider ; tenez, pour preuve de notre bonne foi, je vais libérer votre nuque, ça va mieux comme ça ?
Constater que j’occupai le seul lit de la pièce ne me rassura aucunement.
- Où est Slévich ?
- Ah ! Toujours ce Slévich ! Si vous nous parliez un peu de lui….
- Ne me prenez pas pour une conne ! Vous vous en êtes servi d’appât et je suppose que vous pouvez être fiers de ça ! Bravo, je suis tombée dans le piège, mais …
- Oui ?
- Plusieurs personnes sont au courant de ma visite ici, vous pensez vraiment que j’aurais agi aussi inconsidérément ?
- Parlez nous de ces personnes justement… Tous ces personnages auxquels vous vous échinez à donner vie, Slévich bien sûr, au sommet de la pyramide mais il en reste beaucoup : Vernon, c’est ça ? Et ce Bill, bien sûr…Qui d’autre ?
- Allez vous faire foutre !
- Allons, ne sombrez pas dans cette vulgarité qui a fait le lit de votre ersatz de popularité. Vous devez renouer avec la réalité, Sophie, nous sommes là pour vous y aider. Nous sommes vos amis, vous auriez tort de nous considérer différemment….
- J’aimerais voir votre tronche, c’est trop demandé ? Approchez-vous, s’il vous plait.
- Bien sûr. Voulez-vous un verre d’eau ? »
Le docteur portait bien une blouse blanche mais il ne faisait aucun doute que j’avais affaire à un imposteur. Je le sentis immédiatement et lorsqu’il se pencha pour me donner à boire, la vérité éclata au même titre que le verre sur le lino.
SLEVICH !!!!!
Il recula de deux pas puis se tourna vers son assistante qui avait troqué sa tenue de cavalière pour une blouse lui arrivant à mi-cuisse et sous laquelle, visiblement, elle était nue. Il hocha la tête d’un air triste et donna ainsi son accord pour l’administration de je ne sais quelle drogue contenue dans une seringue astronomique.
Non ! Pas ça ! Ok, je me calme ! Mais dites-moi au moins ce que je fais là….Je veux comprendre
- A la bonne heure ! Nous sommes d’accord. Alors, chère Sophie, si je vous suis bien, ce mystérieux Slévich qui constitue votre obsession principale, je le personnifierais, c’est bien ça ? Je lui ressemble ?
- Non ! J’en sais rien. Qui était dans ce lit ?
- Qui ? Mais vous, qui d’autre ? Auriez-vous vu une autre personne dans cette chambre, hormis mademoiselle Céleste et moi-même ?
- Oui, parfaitement ! J’ai vu Slévich à cette même place…
- Alors ? A quoi ressemble-t-il ce Slévich ?
- …………….
- Vous ne répondez pas ? Pourquoi ? Qu’est-ce qui vous gêne ?
- Je deviens folle…C’est vous qui devez avoir raison…
- Continuez…
- Je suis entrée seule dans cette pièce, je me suis avancée vers Slévich mais c’était mon visage … Où sont mes affaires ? Le dessin ! Le dessin qu’il a fait de moi !
- Phil ?
- Ses affaires sont rangées dans la penderie ; voulez-vous que j’y jette un œil ?
- S’il vous plait….
Je suivais du regard les gestes mesurés de cette sorcière qui avait su me mettre en confiance. Lorsqu’elle sortit le papier de la poche de ma veste, je poussais un soupir de soulagement. Enfin ! Cette fois-ci, ils seraient bien obligés de me croire, je ne sais pas dessiner ! La jeune femme déplia lentement le papier et lut :
- Huile- PQ- cholocat-Kfé-Papel de fumar….. Je crois qu’il s’agit d’une liste de commissions, docteur…
Les larmes de rage brouillant ma vue m’empêchèrent de prévenir le danger qui pointait et j’eu tout juste le temps d’apprécier l’aiguillon qui se planta dans le gras de mon épaule.
11. Tayaut !
Renouer avec la réalité revenait à perdre la notion de temps. Je ne saurais dire depuis combien de temps je suis ici, dans cette clinique clandestine, à jouer le rôle de cobaye entre les mains de ce couple de cinglés. Les journées s’enchainent, identiques et monotones, rythmées par les repas insipides, les promenades en rond dans le parc minuscule et les séances de prise de parole, tout ça agrémenté par les médocs filés avec générosité par le bon docteur Lubrik.
Nous sommes cinq, assis en rond ; face à moi la sorcière outrageusement maquillée désormais, totalement soumise à son mentor apprenti-sorcier lui-même. Il distribue la parole :
Alors, qui veut commencer aujourd’hui ? Honneur à notre jeunesse, alors ?
- POLLUTION !
- Oui, d’accord, mais encore ?
- Pollutionpollutionpollutionpollution
- Bon, ok… Allez-y Veronez, enchaînez s’il vous plait
- Je m’insurge contre ces jaloux qui envient mon Art ! Hier encore cette folle m’a traité !
- Oui ? De quoi donc ?
- Ça ne vous suffit pas ? Mais dans quel camp êtes-vous donc ? Et quand vient l’aurore ?
- Bon, à vous Sophie…Quelles sont les nouvelles de ce brave Slévich ?
- Aucune depuis trois jours docteur, d’ailleurs je ne rêve plus, c’est normal ?
- Très bien ! Enfin une bonne nouvelle ! Mais rassurez-vous, vous rêvez toujours, simplement vous effacez les images insoutenables dès votre réveil, je suis très content, vous progressez, c’est bien…. Kira ?
- Caca mou, caca mou, cakamoulox !
- Ah, toujours en pleine effervescence scatologique, je vois….Très bien, je vous demande d’accueillir notre nouveau venu, faites lui bon accueil ; vous voulez bien vous présenter Blabla ?
- Je suis là par erreur ! on m’a dénoncé ! et je vous chie à la raie…
- Ben voyons ; comme vous pouvez le constater, mes amis, notre nouvel invité réagit parfaitement, j’ai grande confiance en ses capacités ….D’ailleurs très certainement sera-t-il le premier à nous quitter, notre artiste n’est là que pour un surmenage, rien de bien méchant en l’espèce, n’est-ce pas ?
- Cause toujours tu me gaves !
- OH ! Comment osez-vous parler ainsi à notre bon docteur ? C’est une infamie, votre provoc à deux balles, vous pouvez vous la garder libertin refoulé ! Mais dites quelque chose, enfin ! Dois-je donc être le seul à prendre systématiquement la défense de la Poésie médicinale ?
- Calmez vous Veronez, pensez à une image et décrivez la moi, s’il vous plait
- Voilà : je vois un tableau, immense
- Tu m’étonnes !
- Sophie ! Laissez Veronez s’exprimer…
- Castratrice ! Je poursuis, je dénombre une centaine de personnages, 132 pour être précis
- 1, 2, 3, j’irai dans les bois…
- Chut Picot’
- Rrrrrrrrrr ! Au centre de la grande table, un couple, je crois que c’est moi, je reconnais ma barbe
- Et la dame ? Mais, Veronez, que se passe-t-il ?
- Maman ! C’est maman ! Môman, pourquoi m’as-tu abandonné ?
- Oh le con, c’est les noces de Cana qu’il est en train de décrire ! Hé, j’ai rien à voir avec ces fous, moi ! Sortez moi d’ici, j’me prends ni pour Véronèse ni pour la Joconde, allez hop, j’me casse….
- Blabla ! Merci de nous éclairer sur l’histoire de l’Art, mais comprenez que notre ami n’a pas réglé son problème d’Œdipe, essayez de vous respecter les uns les autres, d’accord ?
- Œdipe, mon cul ! Si vous vous prenez pour Freud, c’est sûr qu’on est plutôt mal barrés. Bon, j’peux allez cloper maintenant ?
- Soit, mais à l’extérieur, dans le parc, Sophie allez donc montrer à notre ami les myosotis que vous avez découvert ce matin….
Je me levai prestement avant que le toubib ne change d’avis. C’est maintenant qu’il fallait agir, et vite ! Une pareille aubaine ne se présenterait pas deux fois.
Alors, t’es un historien de l’Art, c’est ça ?
- Pff, pas du tout, t’occupes !
- Bon écoute, je t’emmène au coin des myosotis et j’me casse ; sois sympa de fumer au moins cinq six clopes avant de retourner voir les fous, ok ?
- Eh ! Attends ! Moi aussi j’me casse
- Mais tu viens à peine d’arriver !
- Justement !
- Bon, allez, suis-moi mais après, je te préviens c’est chacun pour soi
- Aucun danger de mon côté, j’te connais pas mais j’peux déjà pas te blairer
- Tant mieux, allez go !
12. Rencontre avec l’artiste
Et si on foutait le feu, histoire de s’amuser un peu ?
- Ah d’accord, j’vois le genre, t’es un pyromane, c’est ça ? Fais ce que tu veux, mais attends que j’aie pris un peu de champ, j’ai pas envie de tomber sur la case « allez tout droit en prison, ne touchez pas 20 000 boules »
- J’aurais dû m’en douter, t’es une vénale, ça se voit tout de suite. L’Art total, ça te dit rien ?
- Que dalle ! Surtout m’explique pas, je hais les artistes !
- Oh ! Moi aussi ! C’est bien pour ça que je me suis retrouvé dans ce trou à rats d’ailleurs, quand je vais raconter ça à Slévich….
- Quoi ? Qu’est-ce que t’as dit là ?
- Du calme, j’ai pas de cachets sur moi…Ok j’ai rien dit, pas la peine de le prendre comme ça
- Non, tu vas raconter ça à qui ?
- T’occupes, j’te dis, un pote, tu connais pas
- Tant que ton pote est pas poète tout baigne….
- C’est pas qu’il est poète, c’est que c’est LE poète !
- Non ! Tu déconnes là ! Tu parles bien de Slévich, l’auteur de Strangulations Artificielles ?
- Originelles, pas artificielles !
- Ça alors ! J’avais fini par croire qu’il n’existait que dans mon cerveau dérangé ! Les enfoirés ! Et tu sais le loger ?
- Je te ferai l’amour comme un enfant sauvage…
- Pas le temps, là, on verra plus tard pour ce genre de conneries…
- Ah, alors c’est vrai ce qu’on dit ? T’es une vraie nympho ? Hahhahaha, j’y crois pas !
- Quoi ? Oh ça va , si on peut même plus rigoler ! Moi aussi je le connais, le poème hein, pas la peine de s’la péter : « j’étranglerai le cou de la lune et des fleurs »….
- Ok ! Un partout …non mais on raconte tellement de trucs aussi, en deux heures j’en ai appris plus sur toi que sur ma propre mère, dis donc…
- Ah ouais, ben fais gaffe car j’en ai autant à ton service : artiste dégénéré !
- Ouais, ben je m’en glorifie de ce titre ! Qui eut crû qu’au 21ème siècle, on repartirait pour un tour de fascisme, hein ? Et oui, on en est là, on enferme les peintres qui refusent de faire le portrait de l’oiseau
- du moineau, tu veux dire, mais c’est bon y’a son père qui s’en charge !
- En attendant, on est mal ! J’suis pas le seul concerné. Ça a commencé par les restrictions budgétaires, la suppression des cours d’art plastique et maintenant c’est carrément les musées qui ferment les uns après les autres, les galeries, j’t’en parle même pas…
- Putain ! J’avais pas pensé à ça, mais pour l’écriture c’est pareil alors ?
- Ben comment crois-tu que j’ai connu Slévich ? Il a été un des premiers à tirer la sonnette d’alarme alors il est devenu l’homme à abattre et moi, ben j’ai l’âme d’un résistant quoi, c’est génétique, alors j’ai organisé mon réseau, j’ai formé des agents de liaison et puis j’ai dû commettre une bourde puisque je suis arrivé là. Je me demande bien d’où vient la fuite…
- Il faut absolument que tu me conduises à Slévich, il doit s’inquiéter pour moi, il ne t’a rien dit ?
- Slévich ne parle plus ! T’es vraiment à l’ouest, hein ?
- Quoi ? C’est vrai cette histoire d’aphasie ? Raison de plus pour que je le voie. Mais réfléchis, c’est impossible qu’il ne t’ait pas parlé de moi…
- ah, c’est toi Maria Vitavi, la poétesse défaillante ?
- Mais ça va pas la tête ! Je suis Solucide !
- so quoi ?
- Il t’a jamais parlé de sa sœur ?
- Il est fils unique !
- Non, j’veux dire de sa sœur d’écriture, tu le fais exprès pour m’énerver ou quoi ?
- Ouais, on m’a dit ça aussi : mégalomane, paranoïaque et nymphomane
- just a woman !
- T’as une caisse ?
- Je veux mon neveu !
- C’est vrai aussi cette manie familiale, t’es orpheline ou bien ?
- Faut crocheter la serrure, j’ai un double des clés dans la boîte à gants, t’as pas un fil de fer ?
- Evidemment, quelle question ! Qui serait assez con pour sortir sans son fil de fer, hein ?
- Passe ! ù$*ù&<²*µ de sa race ! Ça y est, allez grimpe !
- Mince, allez démarre, bordel, j’crois qu’on est repérés, look at the rétro
- Oh Picoti ! Faut qu’on l’embarque
- T’es sûre ? C’est une enfant…
- Raison de plus pour pas la laisser aux mains de ces fous furieux, et puis elle pourra nous être utile, tiens regarde, elle fout le feu !
- Ah, cool ! Une vraie artiste ! Allez dépêche !»
13. Résiste !
Le voyage en bagnole fut des plus instructifs. Côté Blab’ j’appris que Slévich n’était nullement frappé d’aphasie mais qu’il résistait à sa façon, dans le silence le plus total. Il avait refusé la publication chez les éditeurs asservis qui lui promettaient la lune pourvu qu’il efface les références mythologiques qui étayaient ses poèmes. Ce fut l’affront de trop. Il avait rejoint le Front de Libération de la Peau&Scie, dirigé d’une main de fer par qui ? Je vous le donne en mille, évidemment c’est facile, par mister Bill himself qui vivait ainsi une seconde jeunesse. Bien que sa radicalité effraye un tantinet les timides littérateurs, il ne prenait aucun risque inutile et avait ses entrées dans quelques ministères, rapport à ses faits de jeunesse trotskyste.
J’étais un peu vexée, je dois dire de ne pas avoir été informée de cette résistance à l’ennemi mais il paraît que je représentais une menace, que je ne savais garder un secret, enfin bref, encore ses mensonges éhontés qui me dessinaient une auréole superficielle basée sur mon goût du luxe et autres fadaises intolérables…Si j’en jugeais ce que Blab’ rapportait j’aurais tué père et mère pour être éditée…. Evidemment ! S’ils n’étaient déjà clamsés…Ma vie, décidément m’échappait par lambeaux… Ok, j’avais vendu mon âme au diable, à l’astronome et même à une certaine naine rouge, et alors ? On voyait bien que ces gens-là n’avaient jamais crevé la dalle… Bref, je refermais la parenthèse pour me concentrer sur la joie des retrouvailles avec mon cher Slévich et la tempête annoncée ne m’empêcherait aucunement de découvrir enfin celui à cause de qui ma vie partait dans tous les sens…
Picoti, quant à elle me tira une larme de l’œil, à moins que je ne fusse victime d’une énième escarbille. Moi qui pensais qu’elle avait jamais pu me sacquer, j’appris, éberluée, qu’elle m’avait suivie depuis le début, cachée dans le coffre de la voiture, tout ça parce qu’elle était certaine que je finirai par la mener vers son idole dont elle récita les poèmes pendant tout le trajet.
Je partageais tout de même une qualité avec l’artiste : notre inclinaison à la paranoïa qui nous poussa à changer cinq fois de caisse durant le parcours, en plus ça nous évitait de vider le cendrier, ce que la Nature ne manquerait pas de nous être redevable. Les arbres s’abattaient mais nous n’en avions cure comme disait le bras droit de Blab’, un privé qui avait réussi le tour de force de créer en Alsace-Lorraine, une fraction armée jusqu’aux dents, indépendante du FLP et ne s’exprimant que dans son patois qu’il chérissait bien plus que ce concurrent rencontré une seule fois ; le courant n’était pas passé et Zack l’instinctif ne se fiait qu’à sa première impression sans en démordre même s’il admettait en son for intérieur que le bougre de Bill n’était pas un mauvais…
Le maquis ; rien que prononcer ce mot mettait Blab’ dans tous ses états. A une centaine de kilomètres de notre destination finale, il nous prévint qu’il ferait seul la dernière fraction du trajet ; trop de danger, pas de papiers….Plus on approchait et plus notre comparse s’exprimait en langage télégraphique, voire totalement incompréhensible, tandis que son visage se voilait comme s’il entrait dans la peau de son personnage en rappelant les ambitions qui régissaient son entreprise.
L’heure H du jour J c’est tout ce qui l’excitait. La jonction tant attendue entre le FLP et le FL (pour Front libertaire). Sa seule appréhension tenait dans un schisme éventuel avec Bill qu’il ne connaissait que de réputation, qu’il admirait tout en le craignant. Il misait tout de même sur quelques atouts de poids : d’abord le dégoût qu’il partageait avec nombre de membres pour le recours à la violence. On murmurait dans les milieux autorisés que plus ça allait plus ce Bill se montrait ingérable, tellement sûr de son fait qu’il rechignait à la négociation et même à la discussion. Ainsi Zack avait recueilli les résistants déçus et Blab’ comptait bien argumenter là-dessus pour garder la main. Le réseau qu’il avait étendu à la force du poignet s’étendait bien au-delà de celui de Bill, confiné dans ce maquis, justement ; le sien de réseau pouvait, en cas de danger, compter sur les ramifications qui s’étendaient du Maroc en Belgique en passant comme il se doit par la Lorraine.
C’est donc dans une petite auberge longeant la nationale que nous nous séparâmes. Je m’installais en compagnie de Picoti à une table recouverte d’une nappe à carreaux rouge et blanc ornée d’un bouquet de fleurs artificielles poussiéreuses après avoir longuement hésité à remettre entre les mains de ce quasi-inconnu les clés de mon bolide chéri. J’avais précédé cette concession de mille précautions jugées inutile par ce conducteur toujours affublé de ses 6 points de permis réglementaires. Admettons….Il nous avait juré sur la tête d’Azi, la résistante tombée au combat et symbolisant la lutte, qu’il viendrait nous chercher avant la nuit. Nous avions topé là et aurions presque jubilé si le menu du jour n’avait pas affiché : « tête de veau ravigote »
14. Une arête dans le gosier.
Pendant le déjeuner, Picoti me parla un peu de sa vie d’étudiante en lettres modernes et beaucoup de l’incroyable talent de Slévich…
Amour, amour, je t’aime tant….*
- Pfff, même pas vrai ! Mais j’aimerais beaucoup soutenir ma thèse sur sa Poésie, j’ai bien étudié son dernier recueil « Echos de Silences »
- Mais ? Il n’a jamais été publié !
- Je suis le poète depuis plus de deux ans maintenant ; disons que ça crée des liens…
Puis elle s’était perdue dans ses romanesques pensées, le regard vague, les joues rosies, les cheveux dans le vent…OH ! Stop ! On n’est pas là pour se mettre à rêver, on est v’nu pour enfin résister…
Je sortis fumer une clope pour ne pas gêner l’inspiration de cette étudiante énamourée de mes pensées fumeuses. Je n’arrivais tout simplement pas à avaler cette réclusion inique, assortie de l’abomination de ne pas connaître les tenants et aboutissant de cette opération Corned Beef .
Que Zack ne me fasse pas confiance, passe encore ; j’avais bien compris depuis mon enfance passée dans la région schizophrène que je n’avais rien à attendre du vocable éculé d’ « intégration »…Mais Bill ? Mon poteau en compagnie duquel j’avais taggué plus de cathédrales et autres chapelles de purs slogans poético-pollutionnaires???…ça me faisait l’effet d’une arête dans le gosier.
La seule explication valable m’apparut aussi simple que la quadrature du cercle: j’étais victime d’une machination visant justement à empêcher l’action que je réclamais à grands cris depuis mes débuts hasardeux en poésie… Les dégâts occasionnés par notre dernier happening, couronné d’un succès sans précédent puisque la cathédrale où venaient se repaître les poètes faméliques avait purement et simplement fini par être dégommée, et bien ces dégâts devaient faire peur à quelqu’un. Mais qui ? Telle était la question que je mâchais et remâchais, tel un ruminant névrosé sentant l’abattoir s’approcher…
A la veille d’une action de grande ampleur, l’ambiance est tirée au couteau ; la méfiance généralisée n’augurait rien de bon et si on se mettait à saboter nous-mêmes les grandes ambitions par salves égocentriques, nous étions mal barrés. Devais-je d’ailleurs accorder le moindre crédit aux propos de ce Blab’ arrivé comme par hasard et me menant gentiment au lieu névralgique des tergiversations ? Se jouait-on de ma légendaire paranoïa excentrique pour me mener en bateau ?
J’eus une pensée émue pour ma chère bagnole mirobolante que j’avais abandonnée sans réfléchir, aveuglée comme toujours par une confiance un peu niaise pour mes contemporains dont je savais pourtant qu’il ne fallait miser sur eux le moindre kopek… Ah, bravo, madame, vous avez bien manœuvré et voici que vous vous retrouvez à pieds dans cette contrée sauvage, dépourvue de la moindre usine à youyous à proximité ! Elle était belle la Poésie ! Me disais-je en moi-même comme une petite vieille dont plus personne ne se soucie.
Hauts les cœurs, murmurais-je tandis qu’au loin montait le vrombissement adoré, le seul, l’unique ! Ma BM était saine et sauve et avalait les lacets déroulés comme autant de rouleaux de réglisse….Qui eut cru qu’une telle vision me rendrait un jour si euphorique ? J’exultais en jurant, mais un peu tard, qu’on ne m’y prendrait plus….
http://www.youtube.com/watch?v=LSJzp9oXFgA
15. Oh putain, y’a un blème avec ma béhème …
Blab’ ne cachait pas sa colère et le fit savoir en claquant sauvagement la portière. Il n’avait pas l’habitude qu’on joue ainsi de sa crédibilité et me trouvait bien négligente vis-à-vis de son personnage qui tenait pourtant un des rôles majeurs de cette histoire…
Faudrait voir à pas m’envoyer à Pétaouchnock pour un oui pour un non, tout ça pour reprendre la main !
- Et t’as fait demi-tour rien que pour me dire ça ?
- Moi j’veux bien la conduire ta BM, c’est pas un blème mais t’oublie qu’on a changé 5 fois de caisses au chapitre précédent, alors explique-moi comment c’est possible, hein ?
- Merdalors ! T’as raison…
- Ouais, et qui perd la face ?
- Assez perdu de temps ! On y va tous maintenant ! T’as raison, on bouffe, on devise et pendant ce temps la Poésie est en danger…J’me dégoûte, tiens !
- Et tu fais bien. Bon, en voiture, Simone
- Va chercher Picoti, je vais conduire.
Le trajet fut consacré au choix de maintenir la première version ou conserver la BM. Comme de bien entendu Picoti et Blab’ s’entendaient pour préférer l’idée du braquage de caisse, assorti du non-vidage de cendrier, mais c’était ma caisse et mon histoire et leur avis ne servait finalement qu’à remplir trois lignes, ce qui leur fit baisser la tête tandis que je montais le son de la radio.
Nous évoluions dans un paysage grandiose, croisions peu de voitures et il flottait dans l’air une impression de vacances. Le bled où nous nous rendions était perché dans la forêt qui couvrait la montagne, ce qui nous fit ralentir et descendre les vitres. L’air était vif mais embaumait le sous-bois.
Blab’ nous avait demandé de le laisser seul ouvrir le chemin, à pieds. J’avais stoppé la bagnole à l’entrée du village, à ce que j’imaginais un antique arrêt de bus. Picoti était sortie en trombe et gambadait dans une clairière vert pomme en se penchant régulièrement pour cueillir je ne sais quelle plante aromatique poussant ici ou là.
Ohhhhhhhh ! Comme c’est beau, ça me rappelle chez moi. Criait-elle dans la nature muette.
- Ça te plait ? Ton pays ton manque ?
- Oh non ! Je vais rester ici je crois ! C’est là que je veux vivre, chantonnait-elle gaiement ;
La jeunesse insouciante est toujours un spectacle renouvelé et ça me fit sourire. Tant mieux si la notion du danger lui était encore étrangère. J’allumais une clope en la surveillant d’un œil, lui enjoignant de ne pas trop s’éloigner, on ne sait jamais….quand une ombre se profila dans la fumée qui semblait plus dense, peut-être sous l’effet de l’altitude, j’en savais rien mais je me retournai pour vérifier. Un homme se dressait à deux mètres, jambes écartées, une carabine dans les bras. Son sourire n’avait rien d’engageant et l’espace d’un instant j’espérai que Picoti reste dans les champs encore un moment.
Bonjour, entamais-je bravement, vous habitez une bien belle région
- Elle est encore plus belle quand elle n’est pas envahie par les touristes idiots qui balancent leur mégot sans vergogne…
- Oups, pardon, fis-je en ramassant l’objet du délit, …une habitude…
- Mouais, l’habitude courante ici c’est de faire déguerpir les gêneurs, allez du balai, à quelques vingt kilomètres de là vous trouverez sensiblement le même paysage, ici c’est privé, allez oust !
- Ok, nous attendons quelqu’un et nous partons, promis…
- Nous ?
- Euh, excusez-moi c’est encore une de mes mauvaises habitudes de dire nous pour je…
- Monarchiste ?
- Oh non ! Loin de là….
- Vous attendez qui au juste ? Le chauve ?
- Pas très sympa comme épithète…
- Bon, j’suis pas là pour tenir salon, pas la peine de l’attendre…
- Comment ça ?
- Le Blab’ a commis une erreur, fallait bien qu’il la paie un jour et comme il n’est pas dans mes habitudes de remettre au lendemain…
- Mais qui êtes-vous ? Vous connaissez Blab’
- Mieux que vous on dirait…
- Possible, je n’ai fait sa connaissance qu’il y a peu….
- M’intéresse pas, dégagez !
- Dites moi au moins votre nom…Nous sommes venus à la recherche d’un ami, Slévich, peut-être le connaissez-vous ? Un poète…
- Ahhhahhahaha ! Sachez qu’ici la seule Poésie c’est la nature qui en tient lieu, foutez le camp j’vous dis…Bill aime pas trop se répéter….
Avant qu’il n’achève sa phrase, il s’écroula sous le coup de bûche que Picoti lui asséna.
Bien joué, Picoti !
- Ce type avait l’air dangereux et tu faisais une de ces têtes !
- Tu as bien fait…Tu sais qui c’est ?
- Ben non, tu le connais ?
- Non, mais ce péquenot se fait passer pour Bill, encore un usurpateur…
- J’le fouille ?
- Bonne idée.
à suivre….