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(7) The Study Room

Publié le 26 juillet 2010 par Luisagallerini

Sa première pensée étant pour l' amulette, la seconde pour l'énigme, Marie se leva aussitôt, s'empressant d'oublier ce fâcheux incident. Les yeux gonflés de sommeil, elle se hissa dans le minuscule bac à douche qui occupait la moitié de la salle d'eau. Lorsqu'elle actionna le robinet, elle découvrit, atterrée, un mince filet d'eau tiède, s'écoulant avec peine du pommeau encrassé. En l'absence d'aération, des colonies entières de moisissure avaient pris possession du carrelage et de la robinetterie. Elle sortit de la cabine à cloche-pied, roulée comme un vieux mégot dans une immense serviette rêche. Un quart d'heure plus tard, portée par l'odeur du graillon qui parfumait la cage d'escalier, elle gagnait la salle de déjeuner. Toutes les tables étant prises, une petite femme morne l'accueillit et la plaça face à un homme bouffi, occupé à engloutir un œuf poché.


- Bien belle la p'tite dame, eh ! m'en f'rais bien mon p'tit déj té ! Helouuu ! Pleazeuh to meet you, ajouta-t-il avec un clin d'œil, certain d'avoir en face de lui une jeune représentante de la race anglaise.

- Et vous gobez toujours l'œuf poché tout rond, vous ? répliqua Marie sèchement.

Vexé, il s'absorba dans la contemplation de son assiette. Il n'y avait décidément que des français dans cet hôtel, le guide touristique avait fait mouche. Mais le plus étonnant était que nombre de victimes semblaient non seulement consentantes, mais satisfaites. Marie était perplexe. Bien sûr, ils n'avaient pas eu droit à la chambre numéro un, salle de pause du personnel fumeur et dortoir des étudiants hollandais. Son voisin fit disparaître ses flageolets dans un tel va-et-vient de bajoues qu'elle détourna la tête, au comble de la honte. Il y avait évidemment de fortes chances que l'on pensât que ces deux-là, assis face-à-face, formaient un couple. Elle ruminait, impuissante, quand on lui servit une grande assiette avec saucisses, œuf au bacon, flageolets et champignons.

En partant, quelques minutes plus tard, elle ne manqua pas de souffleter son compagnon de fortune, par bonheur devenu muet, à l'aide d'un vieux mouchoir qui jaillit de sa poche au moment opportun. Celui-ci était justement occupé à se déboîter le cou dans l'espoir de voir sous les jupes d'une adolescente, et de fait, il ne protesta pas. De retour dans sa chambre, elle rassembla ses affaires, inspecta une dernière fois les lieux puis régla la nuit après avoir confié ses bagages à l'hôtelier pour le reste de la journée.

(7) The Study Room

Le Bristish Museum venant tout juste d'ouvrir ses portes, elle patienta plusieurs minutes devant la Study Room après avoir actionné la sonnette. Sur le panneau de présentation qu'elle lut en attendant, elle apprit que dans cette salle Karl Marx avait mené ses recherches pour Le Capital, jour après jour pendant près de trente ans, que Lénine y était venu deux fois, que d'autres politiciens l'avaient fréquentée, parmi lesquels Sun Yatsen et Gandhi, et que des écrivains comme Kipling, Thackeray, Swinburne ou Yeats y avaient travaillé. Un homme d'une quarantaine d'années, souriant, lui ouvrit enfin. Elle lui laissa sa carte d'identité, ainsi que son manteau et son sac. Elle signa ensuite un registre où elle indiqua la raison de sa venue, et prit la vieille paire de gants émoussés en laine qu'il lui tendait. Elle pourrait ainsi manipuler les gravures et les dessins sans les abîmer, et les déposer sur l'étendoir en bois pour les apprécier à son aise. Lorsqu'il l'invita à le suivre dans la salle d'études, elle s'exécuta sur la pointe des pieds, n'osant troubler le silence religieux de la somptueuse pièce aux remarquables boiseries. Après lui avoir indiqué une place, il partit chercher la première pochette regroupant les œuvres d' Albrecht Dürer.

Accoudée à l'interminable table, longue comme un meuble de banquet, Marie observa, éblouie, les lieux solennels, surprise qu'un tel endroit demeurât secret pour le commun des mortels, pour ces milliers de visiteurs qui s'égaraient chaque jour dans les galeries surpeuplées, ignorant tout de cette facette insolite du musée que ne connaissaient que les étudiants et les chercheurs. Assise en face d'elle, une jeune femme consultait des pièces religieuses. Nerveuse, Marie enfila les gants. Allait-elle trouver "l'écrit sous le crayon" ? Enfin, la pochette arriva. L'homme l'ouvrit avec précaution, lui montra comment disposer les gravures et les ranger dans le bon ordre, puis s'esquiva.

Dans le prochain épisode, vous saurez si oui ou non, Marie a bien fait de traverser la Manche...

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