16. Meeting THE legend…
Le type sonné reprit ses esprits au moment où on finissait de le ligoter. Je m’étais emparée de son arme, cela me faisait tout drôle de tenir cet engin. Y’a que des mecs pour aimer ce genre de joujou, c’est lourd, c’est froid, c’est dangereux et terriblement attirant à la fois …J’avais le doigt posé sur la gâchette qui portait si bien son nom. Quel gâchis se serait de céder à cette pulsion …J’allais donc ranger la carabine dans le coffre pendant que Picoti cherchait un bâillon au cas où le mec s’avérerait être un soprano ou autre castra…
Non, Picoti, pas le chiffon dégueu, c’est de l’huile de vidange..
- Ah ? Tu prends des précautions maintenant ? C’est nouveau…
- C’est à dire…, je crains que ce gisant ne soit mister Bill, regarde son permis de chasse..
- William N’Paï, oh ! Comme son pseudo !
- Détachez-moi, grossières harpies !
- Oui, oui…Y’a pas l’feu…Vous êtes pas bien là, le cul dans les fougères ? Dites nous d’abord pourquoi vous retenez Blab’…
- Et surtout où est Slévich ! J’espère pour vous que vous ne lui avez fait aucun mal, postillonnait Picoti, passablement énervée et jouant de la bûche qu’elle faisait passer d’une main à l’autre….
- Oh tout doux la greluche ! J’suis pas un palet et on joue pas au curling, c’est Solutricine qui vous a formée au combat ou quoi ? C’est pas des manières d’accueillir tonton Bill….
- C’est pas la peine de prendre ce ton mielleux avec moi ; les fleurs bleues et tout ça c’est fini, j’ai mis le temps mais j’ai bien compris que la poésie ne pouvait s’inscrire que dans l’action, voire l’action directe !
- Je vois ça et je vous félicite ! En attendant, allez donc finir de confectionner votre bouquet pour la matrone, on a à parler entre grands…
Picoti marmonna mais je lui fis signe d’obéir ; pendant qu’elle s’éloignait dans la prairie, j’avais allumé une clope et l’avais placée dans la bouche de Bill, histoire de lui faire comprendre qu’il pourrait très bien s’agir de la dernière, celle du condamné…Puis, adossée à ma caisse, j’en avais fait de même et le toisais comme j’avais vu le faire par tant d’héroïnes au cinéma des grandes années de Hollywood… J’avais toujours rêvé de les imiter en tapant de mes petits poings un large torse masculin…, mais bon, cela faisait partie de ces abominables images phallocrates contre lesquelles je luttais tout en me navrant de leur persistance dans mes fantasmes les moins élaborés…
Je suis très déçu.
- Et moi donc !
- Je m’attendais bien à un genre de Scarlett O’hara, mais où est donc passée votre crinoline ?
- J’ai pas d’ombrelle non plus, vous aurez remarqué mais un vieux parapluie dans le coffre, vous voulez y goûter ?
- Ahhahahha ! Vous êtes si prévisible !
- Ça va comme ça pour les préliminaires, passons aux choses sérieuses ! Vous m’avez trahie !
- Trahie ? Carrément ! Vous aurais-je promis la lune ou une comète quelconque ? Allons, c’est pas parce qu’on s’est amusés un moment que j’aie quelques comptes à vous rendre que ça !
- C’est pas ce que je veux dire alors m’embrouillez pas ! Le FLP, pourquoi ne pas m’en avoir parlé, vous savez bien que je peux être efficace pour ce genre de truc…Tout le monde semble être au courant, sauf moi ! C’est un comble !
- Arrêtez votre cinéma deux secondes, vous voyez une caméra quelque part ? Il s’agit pas d’une performance cette fois, il s’agit de survie, mais ça, évidemment ça vous passe au dessus de la tête ; qu’est-ce que vous voulez que je vous dise, vous n’êtes pas fiable…
- Bon, ok, puisque vous le prenez comme ça, j’me casse…Débrouillez-vous
- D’accord, vous voulez pas me détacher maintenant ?
- Arrangez-vous avec Picoti ! Et bonne chance !
- Attendez ! Vous allez pas me laisser avec cette gamine, qu’est-ce que je vais en faire, hein ? J’ai jamais préparé de biberon, moi et j’connais aucune comptine, non déconnez pas, et emmenez-la….
- Pas question ! Elle doit rencontrer Slévich, c’est une question cruciale, mais ça, ça vous passe au dessus de la tête ! Allez ciao !
- Soit, vous avez gagné. Je vais vous y mener à votre Slévich chéri ! Mais après, vous déguerpissez, promis ?
- C’te question ! Plus tôt je quitterai ce lieu chlorophyllé, mieux je me porterai…y’a un tabac dans ce trou ?
- Pardi ! C’est moi qui le tiens ! Un bar tabac tout ce qu’il y a de bien, avec confort moderne et tout, y’a même un juke box avec les meilleurs pastiches des plus belles chansons du répertoire
- Manquait plus que ça !
17. Au Rubber Doll
Bill me conseilla de garer mon auto trop voyante dans la grange située à l’arrière de l’édifice et nous fîmes à pieds le tour du pâté de maisons pour rejoindre le Rubber Doll, dissimulé sous un échafaudage des plus impressionnants. Au sommet de la structure métallique, un homme coiffé d’un couvre-chef en papier journal, le héla en sifflant :
Ça vous convient cette fois ?
- Mais ! Qu’est-ce que c’est que ce bordel encore ? J’avais pas proscrit le rose, je l’ai pas assez répété ? Vous le faites exprès ou quoi ?
- C’est pas du rose, c’est du lilas…
Bill haussa les épaules et nous fit entrer dans le bar, éclairé chichement ; nous distinguions à peine une silhouette derrière un long comptoir qui barrait la grande salle. Picoti et moi, nous hissâmes sur un tabouret et pendant que je balayais du regard les pièces en enfilade, à la recherche du fameux juke boxe, Picoti s’amusait à tourner sur elle-même, se servant de la bûche qu’elle avait adoptée pour donner plus d’élan à son nouveau manège.
Je réprimai un fou rire en découvrant que l’homme astiquant les cuivres de la tireuse de bière, vêtu d’un petit tablier rose vichy des plus seyants n’était autre que Blab’.
Je t’avais bien dit que tu ne t’en débarrasserais pas si facilement, cette fille est une vraie teigne..
- Putain Blab’, j’t’avais pas dit se surveiller Zack ? C’est pas pour ça qu’il nous paie ? Ras le bol de ces couleurs pastel qui donnent envie de gerber…
- Quelle idée d’embaucher un daltonien, aussi…
La suite de ces micro-événements de plus en plus absurdes me laissait circonspecte et bien lasse subitement… Je doutais de plus en plus de l’existence du groupuscule résistant, versant dans la déco dégueu….Le gang des pastiches, oui ! Les pieds nickelés de la littérature de cabinet, voilà à qui j’avais affaire, et cela justifiait parfaitement ce bannissement jugé incohérent jusqu’ici. Ces mecs inconscients cherchaient simplement à se biturer entre eux, et c’est tout ! Je ne comprenais toujours pas ce que Slévich avait à voir dans cette mascarade, lui qui avait toujours considéré que je perdais mon temps en m’adonnant à l’exercice douteux du pastiche…
Il ne veut voir que Picoti ; désolé…Tu peux monter, petite, il t’attend dans la mansarde, nous informa le Blab’, qu’est-ce que je vous sers ?
Sur l’étagère derrière lui, les bouteilles colorées s’alignaient sagement ; ça manquait cependant de variété : Suze, Anisette et gnôle, rien de bien ragoûtant…Puis je découvris une bouteille qui attira mon regard, une bouteille de Talisker trônant sur un coussinet pourpre sous une cloche de verre. Je la pointais du doigt :
Un whisky, ce sera bien
Blab’, quelque peu gêné, toussota légèrement :
Cuvée personnelle, du patron, c’est pas pour les clients…Navré
Alors là, je me laissais aller au rire le plus gras :
Ma parole, mais vous êtes un gourou ! J’y crois pas ! Le FLP ! Laissez-moi rigoler ! J’suis tombée dans une secte, oui! Comment faut-il appeler le maître ? Ahhahaha !
- Ça va, Blab’, sers-la…Bon, écoutez, vous : ce soir a lieu une réunion de premier plan ; je vous donne l’autorisation d’y assister à la seule et unique condition que vous fermiez votre gueule, pigé ? De toute façon, j’peux plus vous laisser partir maintenant, vous en savez trop…
- Oui, je comprends, j’imagine la gueule des R.G s’ils apprenaient que des caves se retrouvent dans une gargote rosâtre pour se livrer à de redoutables exercices de pastiches… Ils feraient intervenir la haute milice armée, sans aucun doute….Ahhahhaha, vous m’avez bien eue, le ballet rose is back ! ça va saigner ! hahhahaha
J’étais soulagée finalement, tout ça n’était pas bien méchant…quand je remarquais, au beau milieu du comptoir un buste en bronze, représentant l’ours Balloo ; je m’en approchai pour lire l’inscription :
« A la mémoire de notre précurseur, Max-Louis Marceteau, et sa fraction Oniris. Le 24 VII 2008. Ne l’oublions pas »
Ce nom me disait vaguement quelque chose, sans plus, mais cette effigie ne put que me convaincre que Bill était salement atteint. J’acceptais donc sa proposition puisque je n’avais pas le choix, comptais sur cet après-midi pour en apprendre un peu plus sur cette communauté hippie et me demandais encore pourquoi Slévich refusait de me voir. Bill me conduisit dans la salle des billards et je m’affalais sur une banquette de moleskine bordeaux ; je n’aurai peut-être pas dû boire le breuvage cul sec….
18. C’est Djian qu’on assassine !
Je ne dormais pas vraiment, je divaguais dans cet entre-deux familier, persévérant à interroger une idée que j’essayais en vain de développer depuis des mois. Idée soufflée par Djian dans son roman « Impardonnable », paru l’année dernière. Sa « remarque ayant trait à la ressemblance confondante entre le physique d’un écrivain et son écriture (les mêmes adjectifs leur collaient exactement) se vérifiait tous les jours (donnez moi le portrait d’un écrivain et je vous dirai comment il écrit) ». Je n’étais pas loin de penser comme lui, sauf que n’ayant pas accès à ces portraits, je forgeais au fil de mes lectures des inconnus du site Le Plumart, une sorte de portrait-robot de chacun d’entre eux. C’est ainsi que l’apparition de LBK, Maria et Picoti m’avait confortée dans l’idée tandis que constater que Bill n’avait rien du demi-dieu imaginé, allait à l’encontre de ce précepte un peu simpliste, je l’admets…
Je fus interrompue dans ma réflexion par ce que je pensais être le benêt du village, s’acharnant à balayer en rond la salle où je me trouvais, tout en psalmodiant son leitmotiv : « donnez vos voix à Momo… »
« Pas ici, Retrovirus ! Ça t’a pas suffi d’éventrer la feutrine des billards ? Tu prends ton balai pour une queue, et mon cul c’est du poulet ? Allez, va faire la cave, plutôt…
- Oui chef, pardon, j’le f’rai plus, sur la tête de Sacamot, le vénéré pseudo
J’étais interloquée ! Ainsi le méchant Bill versait dans la psychothérapie laborieuse ! En prenant le gogo sous son aile, il dévoilait pour la première fois une faille sur laquelle je pourrais travailler…Nobody’s perfect, soit, mais pousser l’humanisme dans ses limites c’était fort de café tout de même ! Au même moment, et à mon non étonnement, (je devenais de plus en plus blasée), LBK fit son entrée en chantant à tue-tête sur l’air de Collargol :
C’est un p’tit gars qui rigole
Lourd, il rime en s’moquant d’Sol
De Blab, d’Air et même de Zol’
En s’pliant devant Zackmol
L’pap’ du pastich’rococo
Vous l’devinez, ses écrits
M’ont donné le mot
Celui qui fait naître l’envie
Voui voui voui voui voui voui voui !
C’est le p’tit gars qui rigole
Mais faut croire qu’il a pas d’bol
On l’accuse de drôle de dols
C’est juste un gars qui rigole…
C’est lui, le gars qui rigole
Qui se fout du protocole
Fuyant l’arnaque,
A coup d’vitriol
S’payant le lux’ d’la gaudriole
Le roi du pipeau
Se jure d’être vot’ pir’ ennemi
Grâce à ses gros mots
Vous les avez lus aujourd’hui
C’est lui, le gars qui rigole
Sûr’ment un cancr’à l’école
Il balance des torgnoles
C’est lui, le gars qui rigole
http://www.youtube.com/watch?v=R7cw2ODLA3U&feature=related
LBK faisait danser son ours borgne dans une valse folle et ponctuait les couplets de rires étranges ; j’avais bien échoué dans l’antre du Pastiche, ressemblant finalement à l’asile dont je venais d’échapper. Triste destin que le mien…
19. Rien ne va plus…
LBK n’était pas arrivée comme un cheveu sur la soupe toute seule, vous l’avez déjà compris. Tof’ et Air Nama la suivaient et formèrent aussitôt une farandole à laquelle je refusais de participer. Question de principe. Alors Air Nama, s’avança, m’offrit son sourire le plus éclatant et m’annonça la bonne nouvelle :
J’ai réparé ta combi ! Tu pourras la mettre ce soir, et grâce à toi j’ai eu l’idée d’y coudre deux poches, tu vois t’es utile aussi, parfois….
- Mais où est passée Maria ? Vous l’avez laissée ligotée au grand chêne ou quoi ?
Les trois visages s’assombrirent brusquement. Ils me racontèrent alors comment Maria avait succombé à son énième caprice, sur une aire d’autoroute, en croisant le regard de matamore d’un pompier de Paris. Elle était aussitôt montée à la grande échelle, avait improvisé un de ses poèmes qui colle aux dents et salué ses compagnons d’un ultime geignement.
Mais comment avez-vous réussi ce tour de force ? M’enjouais-je en regrettant aussitôt cet enthousiasme que visiblement personne ne partageait. Ils n’y étaient pour rien ! Au contraire, leurs tentatives pour la sermonner avaient lamentablement échoué et ce qu’ils redoutaient à présent, c’était la réaction de Zack. Comment prendrait-il la nouvelle, lui qui construisait depuis bientôt deux ans, leur petit nid d’amour ? Il faudrait le ménager, lui taire la vérité par trop cruelle et enrober tout ça d’une ode à son chéri, rédigé pas plus tard que la veille par cette fantasque égérie.
J’étais à peine remise du discours de Bill qui, après avoir congédié Retrovirus, était parti dans une diatribe sur le trio de héros qu’il formait jadis avec Max et Davidovich, genre la nostalgie camarade sur fond d’effluves échappées du port de Saigon. Il ne voulut rien entendre au sujet de ce dernier, que j’aurais accaparé sans vergogne, montrant là une facette d’un ego surdimensionné doublé d’une mythomanie plus ordinaire. Le héros avait succombé au même titre que Max, point. Il n’en démordait pas et n’avait fondé le FLP que par égard pour ses camarades, ou par honneur, je ne sais plus ; il était assez difficile à suivre, il faut dire, souvent perdu dans ses pensées et son lent débit n’était pas pour aider à la compréhension.
Picoti ne revenait pas et c’est surtout cela qui me préoccupait ; je craignais que Slévich n’ait fini par succomber à l’épanchement généralisé et que dans sa fougue, il livre nos secrets. Je luttais contre l’envie de grimper l’escalier et voir enfin le visage de ce frère éthéré. Au moment, où, n’y tenant plus, je m’apprêtais à le faire, je la vis descendre en trombe, se ruer sur moi, les yeux exorbités, la bûche à la main :
Espèce de salope ! Viens te battre si t’es un homme !
J‘échappai de justesse au lancement de bûche précédé du cri tonitruant TIMBER. Tof’ l’avait prise en tenaille, effaré lui-même par cette violence subite. Blab’, Bill et même le benêt avaient rappliqué suite au vacarme produit par la bûche qui avait fini sa trajectoire sur le buste en bronze qui s’était mis à résonner comme une cloche à Pâques.
Et moi, interdite, face au groupe encerclant Picoti pour tenter de la calmer, et bien, j’en profitais pour monter à la mansarde et découvrir enfin ce que ce traître de Slévich avait bien pu raconter sur mon compte.
Je marquai une pause à la porte de sa chambre barrée d’une inscription « À quoi bon encore des poètes ? » , puis entrai sans frapper. Dans une chambre vide ! Je m’écroulais sur le lit encore tiède, quand j’entendis une voix fluette que la douche couvrait de ses clapotis. Je m’emparai du peignoir posé sur une chaise et attendis tranquillement que le petit sorte le bras du rideau pour s’en emparer…J’en riais d’avance….
20. Mauvais remake
La scène de la douche dans Psychose vous rappelle quelque chose, non ? Ben c’est à peu près ce que je vivais, de l’autre côté du rideau en plastique ; sauf que…nul Hitchcock à l’horizon pour me mettre en scène : je suais à grosses gouttes, sentais une crampe s’installer dans mes bras tendus sur ce peignoir informe et quelque peu douteux. Bref, j’aurais bien aimé entendre « coupez », j’avais une envie furieuse de fumer une cigarette et j’étais là à entendre les vocalises approximatives de cette personne qui se complaisait sous la douche. Mon imagination marchait à fond : ces deux-là avaient baisé, j’en étais sûre à présent ! Picoti remontée à bloc et Slévich récurant joyeusement chaque centimètre carré de son corps d’anachorète, oui décidément la poésie n’était plus ce qu’elle était….
Lorsqu’enfin le bras se dégagea du rideau collant pour chercher à tâtons l’éponge, je retins ma respiration mais avant que je n’aie le temps ne serait-ce qu’avancer d’un pas pour faciliter sa sortie, je me trouvais la tête prise dans le peignoir puant et le corps ceinturé . La prise de karaté se fit en moins de temps qu’il ne faut pour la décrire et le temps que je me débarrasse de ce chiffon sentant le chien mouillé, j’étais à nouveau seule dans la petite pièce, ne pouvant que constater la fenêtre grande ouverte ; je m’y précipitai, en vain : personne à l’horizon ! Si deux énormes ecchymoses ne commençaient de colorer mes bras, j’aurais encore pu croire à une hallucination. Ce petit frère avait levé la main sur moi et ça, il le paierait cher, tôt ou tard….
Toujours postée à la fenêtre, je fumais la clope propre à me remettre d’aplomb ; j’entendais les bruits familiers des préparatifs d’une fête monter : les rires en ponctuation, les grincements de meubles qu’on déplace, les essais de sono…Tout ça était parfaitement anachroniques, je me sentais larguée, pas du tout en phase, meurtrie même, n’ayons pas peur des mots….Je ne savais pas si de cette attaque sournoise du frère imaginé ou de l’ingratitude crasse de la jeune écervelée, j’étais le plus affectée. Si on ajoutait à ça le mépris de Bill, la couardise de Blab’ et la servitude béate de Zack, et bien la travailleuse honnête que j’étais avait de quoi péter un plomb !
Je fermai la fenêtre, histoire de ne plus entendre cette bande de dégénérés, m’assis sur le petit lit décoré d’images de manga et commençai de fouiller consciencieusement la chambre. Le Mac posé sur le bureau était verrouillé et je n’avais ni le temps ni la patience de chercher un mot de passe ; j’essayais tout de même à tout hasard les trois mots qui revenaient dans nos conversations d’un autre âge, sans succès. Dans le tiroir de la table de nuit, je trouvai une carte d’état major que je planquais à tout hasard sous mon pull, mais rien d’autre.
Je devais me rendre à l’évidence : en trente et une pages et 15 738 mots, je n’avais pas avancé d’un pouce mais au contraire subi les pires revers humiliants depuis des lustres. On eut dit qu’une force maléfique faisait tout pour décourager cette vocation tardive et j’étais littéralement abattue. Si Eifeilo était là, il ne manquerait certainement pas de tourner le couteau dans la plaie en insistant sur mes faiblesses, mes tergiversations i tutti quanti. Cette évocation éveilla un doute en forme d’espoir ; pourquoi ne nous avait-il pas rejoints lorsque nous le lui avions demandé ? Il n’avait même pas cherché à feindre une inquiétude, maintenant que j’y pensais plus sérieusement cela ne collait pas du tout avec sa nature angoissée. Il fallait que je reprenne l’enquête du début en commençant par m’intéresser à ce cas précis. Eifeilo, le roi du polar ! Bon sang mais c’est bien sûr !
Rechignant à emprunter le même passage que ce cinglé de Slévich, j’allais déverrouiller la porte et affronter la petite effrontée quand on frappa à la porte.
C’est moi, c’est Picoti. Excuse-moi, j’voulais pas…
-……
- Allez, sois pas vache ! J’te demande pardon ! Je me suis emportée et c’était bête, ok, je reconnais ; mais on a le droit de changer d’avis, non ? C’est pas interdit que je sache ?
- ……..
- Bon, écoute, c’est la faute à Slévich aussi, il m’a raconté des conneries. Mais Blab’ vient de me prouver par A+B que ça ne tenait pas la route…. J’ai eu tort ! Allez, descend, on va pas gâcher la fête ! Ils sont tous si heureux…. Allez, viens faire un bisou à Picoti, on fait la paix et tout est oublié…
Avais-je d’autre choix que jouer la mansuétude ? Déjà qu’on me prenait pour une diva capricieuse…J’allais me poster devant le miroir de la salle de bain pour me recomposer un visage présentable quand elle reprit :
En plus, tu vas être contente…Eifeilo vient d’arriver…Il va nous lire la suite de son feuilleton
Un large sourire se dessina, que je réprimais aussitôt pour modeler plutôt le masque de la femme bafouée qui pardonne. J’ouvris la porte et Picoti se jeta dans mes bras…
22. Back to Zack
J’opérais alors une volte face afin de la coincer derrière la porte que je claquais pour la forme :
Ok, n’en parlons plus ! Mais dis moi ce qui s’est passé ici entre toi et Slévich…Attention, j’veux pas de détails scabreux, entendons-nous mais je voudrais au moins savoir à quoi il ressemble. J’y ai droit non ?
- Euh, j’sais pas quoi dire ; il est plus jeune que je ne pensais, plus beau aussi mais tu vois, enfin j’connais pas tes goûts mais ….
- Allez, n’aie pas peur, quoi ! Il t’a semblé efféminé, c’est ça ? Je n’ai entendu que sa voix, et effectivement…
- Non, pas efféminé, ça, pas du tout…Il est plutôt viril, dans le genre sec mais les muscles saillants, tu vois…?
- Viril, hein ? Épargne-moi les détails, concentre-toi sur son visage
- Il porte les cheveux longs qui cachent ses beaux yeux de chat, des yeux dorés…
- Ah ! Et sa bouche ?
- Sa bouche ? Euh, j’en sais rien moi, peut-être un arrière goût de framboise…
- Bon, ça ira comme ça, que t-a-t-il dit ?
- C’est-à-dire qu’on n’a pas beaucoup parlé…
- Arrête hein ! tu vas pas me dire que ton geste assassin était 100% irrationnel, t’avais tes raisons…n’aie pas peur j’te dis, j’voudrais juste comprendre…
- Non, c’était idiot j’te dis, il a eu comme un blocage, quoi et ça m’a énervée toutes ses questions à ton sujet….Oui, allez, j’avoue, j’étais jalouse…
- Ah, ça m’rassure mais pourquoi cette prise de karaté, j’aurais répondu à toutes ses questions, moi….J’comprendrai jamais ce type…
- Tu pourrais si tu te mettais au russe…
- C’est quoi cette salade ?
- La pravda ! voilà son idée fixe, mais moi j’avais anticipé, ça fait deux ans que je prends des cours de russe dans ma cabane au Canada…
- Voilà aut’chose ! Et t’aurais pas pu le dire plus tôt ! Bon, descendons maintenant, de toute façon tout ça n’a aucun sens…
Etait-il possible qu’ils s’entendent tous pour la seule raison de me la faire perdre ? C’était assez débile pour être plausible, mais tout de même…Il était temps que je confie mon malaise à Zack, lui seul connaissait les petits secrets des uns et des autres, il n’avait jamais éveillé la moindre méfiance et était un exemple d’intégrité. Je montai donc à l’échafaudage instable, surmontant mon vertige et enjambant la fenêtre pour y accéder. Je compris alors que c’est le même itinéraire qu’avait dû emprunter Slévich, c’est pourquoi je ne l’avais pas vu cavaler dans la rue ! Quelle idiote j’étais !
Zack était assis à même la planche de bois et considérait son pot de peinture tel Hamlet son crâne :
Too bête, il est parti…
- A quoi tu joues Zack ? Toi aussi tu te fous de moi ? A quoi ça rime ce rôle de peintre en bâtiment ?
- Du haut de mon échafaudage j’ai une vue imprenable sur tout ce qui se passe, c’est passionnant, mais laisse-moi d’abord te féliciter, je dois dire que tu t’es montrée magistrale ! Je t’adore !
- Quoi ? Oui bien sûr voir me vautrer à chaque paragraphe doit t’enchanter…
- Non, j’suis très sérieux ! J’avais deux boulets au pied et tu m’en as gentiment soulagé, sincèrement, c’est brillant !
- Mais de quoi tu me parles à la fin ?
- Ne me dis pas que t’as fait ça inconsciemment, ça me décevrait
- Quoi ça ?
- Ben mes deux plaies : Bill et Maria. Plus tu parles du premier, moins il apparaît, en un mois j’ai économisé j’te dis pas combien, c’est indécent….Quant à Maria, même motif, même punition, j’étais à deux doigts d’porter ma Remington au clou…J’devenais fou, fou….Je sais pas si tu te rends compte, non, tu es ma petite perle dont je ne saurais me passer…
- Je croyais que tu me détestais…
- Pourquoi ? Non au contraire…Ok, j’t’ai rien dit au sujet de ton bouquin là, mais comprends moi aussi, j’me suis senti trahi…
- Mais tu es un des principaux personnages !
- Tu parles ! Un ado pré pubère, rouquin en plus !
- Oh ! Mais Anita, elle t’a pas plue ? C’était une private joke…
- Ahhahha, oui là j’avoue que la grand’mère de Maria était plus vraie que nature…
- C’est vrai qu’il y a comme une ressemblance, mais ça je l’avais pas prévu…
- Bon, j’t’explique mon plan ?
- Ok, j’’técoute little chicken
à suivre…