Magazine Journal intime

J’aurais voulu être une brillante sociologue...

Publié le 28 juillet 2010 par Lalou Rdlp
J’aurais voulu être une brillante sociologue...
Un article écrit pour un atelier d'écriture sur le thème les jeunes d'aujourd'hui.
Notre allure est très différente, notre allure est très importante.
Nous montrons nos aspirations à travers l’image, nous sommes excellents en sémiologie...
Nos profils sur les médias sociaux en témoignent. Je suis une jeune fille qui aurait bien envie de devenir mannequin, ce qui explique ma moue boudeuse, censée être sexy sur mes photos sous une fausse identité. Je porte le voile pourtant dans la vraie vie, pour que mon père me laisse ma liberté et pour qu’on me juge comme étant une prude et vertueuse jeune tunisienne, bonne à marier.
Sur ce même site web, je regarde ce garçon, qui s’affiche en boîte de nuit, avec une tripotée d’amis, habillé en chemise noire très classe, une ceinture Gucci, made in China, et un verre à la main, contenant un breuvage dont la bouteille coûte un Smig.
Qu’est ce que j’aimerais le connaître, et aller avec lui dans cette ambiance feutrée qui sent la cigarette, comme ses filles habillées en mini jupes et avec de longs cheveux teints en blond !
Nous sommes tous étudiants. De nos jours, nous le sommes encore à 29 ans. Un bac +4 ne suffit plus à avoir un bon niveau de vie. Les journaux en parlent « Allongement de la durée des études qui change complètement le schéma des actifs dans l’économie tunisienne ». Nous serons actifs, un jour... puis des ménages....Je n’attends que cela, devenir un ménage, pour arrêter de le faire chez moi.
Dans ma famille, une fille a des rôles bien définis, elle est la fille de son père dans la perspective de devenir la femme de son mari. Les études ce n’est que pour élever le niveau de la future mariée et d’augmenter une dot estimée implicitement à la location d’un appartement, ou la possession d’un étage de villa au dessus des parents, du mobilier incluant de l’électroménager, un mariage dans une salle des fêtes...
Mon père me mariera avec un homme bien sous tous rapports alors que je regarde encore les garçons de mon âge, ceux dont l’argent flambe sous l’effet de l’alcool qu’ils ingurgitent alors que leurs parents sont, soit dans l’immobilier, soit en prison pour des chèques sans provisions.
Cet homme sera un bon mari, ayant la foi, respectueux des valeurs, mais je ne l’aurais pas choisi par amour. Je serais une bonne femme d’intérieur, c’est une seconde nature, vu l’éducation que j’ai reçue, mais il ne m’aura pas choisie par amour. Nous procréerons et vivrons conformément aux normes sociales ou religieuses qui nous sont imposées. Mais sommes-nous heureux ? Il aura des difficultés à ramener de l’argent à la maison en contournant les failles qui confronte le système économique aux règles religieuses. Et j’aurais du mal à reproduire ces somptueux plats vus à la télévision avec mon faible pouvoir d’achat. J’utilise les mots clés appris à l’université dans un cadre domestique car je n’aurais jamais eu à entrer dans le monde du travail puisque je serais mariée.
Et, le soir, je regarde les autres... ce site est ma fenêtre sur le monde. Ils continuent d’aller en boîte de nuit, sur les bateaux, au ski... ils ont pris un coup de vieux, mais ont toujours les mêmes jeux.
Hommes et femmes travaillent : de l’enseignement à la reprise des projets familiaux en passant par la communication et l’évènementiel. On les voit partout, les expositions, les concerts, les soirées, les conférences... Il suffit de taper leurs noms sur un moteur de recherche.
Les femmes deviennent de plus en plus féministes, elles n’ont pas l’air pressées de se marier puisqu’elle génère un revenu à elles seules, voyagent et disposent d’une entière liberté. Les hommes deviennent de plus en plus machistes, ils s’affichent avec des filles qu’ils n’épouseront jamais. Puis, du jour au lendemain, l’un d’entre eux s’avoue « Marié » sans préciser avec qui, pas de photos d’elle et d’ailleurs, plus de photos de lui non plus. Il s’est rangé, et personne ne connaît sa femme !
Quelques profils plus loin, une ancienne copine de classe avec qui je n’avais en commun que les projets en binôme, affiche « est désormais célibataire » alors qu’elle était bel et bien mariée. Le plus étonnant est de voir la série de « Félicitations » dans les commentaires de son entourage, et un « Enfin » ajouté par elle-même à la fin des commentaires.
La société tunisienne est-elle plus tolérante vis-à-vis de la femme divorcée ? Ce qui, pour nous autres, est inenvisageable, est-il une délivrance pour d’autres ? Le référentiel a-t-il changé ? L’échelle de valeurs est – elle en pleine mutation ?
Dans les jours qui suivent, elle publie des reportages sur la violence conjugale... Tout s’explique. Ceci me rappelle cette femme qui racontait dans son blog que son mari buvait tous les soirs puisque son patron lui faisait subir un harcèlement moral impossible à dénoncer. Lorsqu’il rentrait, elle faisait l’objet de son défoulement, des cris, des humiliations, de la violence physique et sexuelle.
Elle ne divorçait pas à cause du « qu’en dira-t-on » parce qu’elle est connue, qu’elle a une entreprise où elle emploie et gère une vingtaine d’hommes avec une main de maître. Le seul qu’elle n’arrive pas à gérer est celui qu’elle a choisi par amour et qui a tant changé.
Mais pourquoi change-t-il ? N’a-t-il pas assez de principes et de foi pour battre la mère de ses enfants ? N’a-t-il pas assez confiance en lui pour quitter son emploi ? Sa femme refuse-t-elle de le prendre en charge financièrement puisqu’elle réussit si bien sa vie professionnelle ? Son égo de mâle accepterait-il de se faire « entretenir » ? Doit-elle payer pour ses échecs ?
Chaque soir, J'irais me coucher près de cet homme, que je n’aimerais pas comme dans les films, mais qui ne m’aura pas fait de mal. Pendant que les autres s’empoisonnent dans l’évènementiel et dans une émancipation non assumée, non maîtrisée. Je sais ce que je veux être, je veux être une brillante sociologue.

Retour à La Une de Logo Paperblog