Magazine Journal intime

Jouer dans la neige

Publié le 18 décembre 2007 par Pierre-Léon Lalonde
J'attendais cette soirée de tempête avec impatience. Pas pour l'entrée d'argent que ça représente — à ce temps-ci de l'année les partys de bureau couvrent amplement cet aspect de la chose —, mais surtout pour affronter ce que les aléas de la route allaient m'offrir. Un beau défi. Si certains tripent sur le snowboard ou le ski, moi mon sport extrême, c'est la conduite hivernale.
Je ne perdrai pas de temps pour vous parler de la demi-heure que j'ai passée à sortir le taxi du banc de neige. Le char a beau être encore frette, le répartiteur est en feu. Déjà, il n'appelle plus les postes. Tout part au vol. Aucun taxi ne répond. Une de ces rares soirées où ce ne sera pas les chauffeurs qui vont se battre entre eux pour avoir des clients, mais le contraire. D'ailleurs, je n'ai pas un coin de rue de fait, qu'un quidam se plante devant moi en plein milieu de la rue. Le soupir de satisfaction qu'il pousse en s'assoyant m'en dit long sur la soirée que j'aurai.
L'état de la chaussée ne m'inquiète pas autant que ceux qui se trouvent dessus. J'ai de bons pneus d'hiver et les accumulations font en sorte de ralentir le véhicule ce qu'il faut pour que ce soit vraiment dangereux. Pour être glissant, ce l'est, surtout après le passage des grattes, mais si j'avais voulu jouer ça pépère, je serais resté à la maison. D'ailleurs, beaucoup de chauffeurs ont choisi cette option. Je peux comprendre.
Les courses durent le double sinon le triple du temps. Ça avance lentement, faut faire avec les piétons dans la rue, la machinerie qui s'affaire, les autos mal parquées, les monticules laissés aux intersections et les convois sur les autoroutes qui raclent à pleine largeur. En ville, les rues rétrécissent rapidement et faut mêler agressivité et courtoisie pour affronter les véhicules à contre-sens.
Le truc de la conduite hivernale c'est d'avoir bon pied, bon oeil. Il faut éviter d'utiliser les freins, toujours placer les roues dans la direction où l'on veut que le véhicule aille et jouer du gaz. Ne faut surtout pas trop se coller près d'un véhicule stoppé, en particulier, dans une côte. Toujours se laisser un peu de jeu pour avancer et reculer même si parfois, ce n’est pas évident. En même temps, il faut se battre avec des essuie-glaces qui s'encroûtent et se taper les doléances des passagers qui viennent d'attendre parfois quelques heures pour avoir un taxi. Un petit dérapage contrôlé est excellent pour leur faire comprendre la situation sans trop parler.
Faut aussi se colletailler à ceux qui se croient invincibles à bord de leurs 4X4 — le premier soir de neige, il y a beaucoup de petits contacteurs qui se chargent de déblayer les entrées privées et les stationnements des commerces — dans la soirée je mène un client vers le centre-ville par la Côte-des-Neiges (ça s'invente pas ;-)) et j'ai un immense pick-up qui me colle au cul en flashant ses hautes. Je le laisse me dépasser et me mets dans son sillon en restant en retrait. Un peu plus loin quand ça se met à redescendre, le camion perd le contrôle et va s'appuyer contre le parapet. Je me demande si je lui ai flashé mes hautes en le dépassant? J'pense que oui! ;-)
Sans trop de temps mort, les clients se sont succédé, m'offrant chaque fois un nouveau parcours, une nouvelle course à obstacles. Et quel bonheur de pouvoir observer Montréal dans cette froide frénésie! D'avoir le sentiment de se frotter à ce tumulte et de vivre à fond l'intensité de cette saison. Et comment rester de glace devant la beauté des bourrasques qui font danser la neige avec les arbres? Une suite de scènes en rafale dont je raffole.
Une nuit remplie à ras bord. Une de celles qui laisseront des traces. Une des belles expériences de route que j'ai vécu.

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