Il s’appelait Cédric, mais il aurait pu être Kevin ou Lucien. Il avait 18 ans et c’était son premier scooter, offert par ses parents pour son anniversaire. Sa jeune vie s’est achevée brutalement sur la route, alors qu’il rentrait d’une soirée avec des copains. Il n’avait pas bu plus que de raison, pas trop fumé non plus. Enfin… on n’a pas vraiment cherché. Ce n’était plus important. Rien n’était important que le manque et le chagrin, inconsolable. Que s’est-il passé ? Un camion l’aurait-il serré d’un peu trop près ? Ou bien est-ce une voiture, qui ne l’a pas vu ou dont le conducteur avait, lui, trop bu ? On ne ne saura jamais. Mais l’automobiliste de passage ne manquera pas de voir l’effigie de ce jeune, sur le bord de la route, droit comme un i, presque comme une menace. Pour lui donner davantage de réalité, elle a été revêtue du tee-shirt que Cédric portait le soir de son accident. Oh, pas tel qu’on l’a trouvé, plein de sable et de sang. Sa maman l’a soigneusement lavé et repassé et l’a enfilé sur ce mannequin trop plat. Désormais, seule la pluie le mouille mais ce sont le soleil et le vent qui le sèchent, comme autrefois sur la corde à linge du jardin. Le rouge vif s’éteint doucement. Sur la tête sans visage, on a placé le petit casque du jeune homme, barrière dérisoire et illusoire, objet inutile aujourd’hui comme hier, mais qui nargue le motard trop pressé en lui rappelant combien est mince la frontière entre le plaisir de la vitesse et l’éternité silencieuse. Cédric est mort ici, d’autres se sont tués là et seules subsistent ces représentations sans âmes que l’on voit désormais se multiplier.
Il y a parfois quelques fleurs, un ours en peluche ou une petite bougie que la brise a bien vite soufflée.Il faut prendre les routes nationales pour mesurer l’ampleur des accidents de la route, le nombre de vies perdues. Les autoroutes sont anonymes et froides, les routes traversent villes et villages et racontent des histoires, belles ou tragiques. Les arbres, les bosquets, les virages ont quelque chose à dire, même à la vacancière anonyme, qui contemple le monde.
Je ne pourrai jamais oublier Stéphane Berloin, mort lui aussi dans des circonstances analogues. Nous avions 17 ans, je crois. Il s’était acheté une moto avec les sous gagnés pendant les vacances, à travailler avec sa grand-mère. Il s’est fait renverser non loin de chez lui, par quelqu’un qui ne s’est pas arrêté. Notre vie à nous, ses amis, filles comme garçons, s’est un peu arrêtée lorsque nous avons appris la nouvelle. C’était hélas après la rentrée des classes et je n’ai pas pu aller à son enterrement. Mais, avec mon amie Claudine, nous allons de temps à autre lui faire une petite visite dans son cimetière. Nous déposons sur sa tombe quelques fleurs des champs cueillies sur le chemin, ou une branche de rose trémière. C’était il y a plus de trente ans et pourtant, les larmes nous envahissent toujours. Comment oublier ? Chacune de nous, silencieusement, pensons à nos fils respectifs, qui ont aujourd’hui une vingtaine d’années et nous prions, fort, pour que ce sort leur soit épargné et que ce chagrin jamais ne nous advienne.