Je prends rarement le train. Il est révolu le temps où je faisais la navette matin et soir vers la capitale et retour. Ce fut l’enfer. L’horreur.
Donc, je prends rarement le train. Mais j’aime ça. Enfin quand j’ai tout le compartiment pour moi.
Parce que, dans le train, si l’on fait abstraction des problèmes techniques, des retards et de la chaleur insupportable l’été, ainsi que des courants d’air sur les quais, ben ce qui est insupportable, ce sont les autres. Un train vide, c’est chouette. Un train bondé, c’est l’enfer. Un train quasi vide, mais avec juste ce qu’il faut d’enquiquineurs, c’est l’enfer aussi.
Vécu, testé et pas approuvé.
Retour de vacances donc, après un Pastis et une course effrénée pour pas rater mon train.
Apparemment, tout le monde a eu la même idée que moi : aller à la mer. Et tout le monde semble en revenir le même jour, avec le même train. Un train double, mais cependant hyper bondé.
Et moi, je suis seule.
Avec mes sacs. Un grand sac plein de fringues, passqu’à la mer, on sait jamais quel temps il va faire, alors on prend des pulls, des gilets, des jeans, des t-shirts, des maillots, des tongs, des bottes en caoutchouc, un coupe-vent, un parapluie, un chapeau de soleil, ainsi que tous les produits de beauté destinés à survivre aux coups de soleil ou … aux engelures. Ensuite, un second sac, emporté vide, plein de brol supplémentaire, passqu’un sac au retour est toujours moins bien fait qu’à l’aller, et passque j’ai acheté, souvenez-vous, de la vaisselle Boch indispensable à mon bonheur. Puis mon sac à dos avec de quoi boire et manger durant six jours, des fois qu’il y aurait une grève, des congères, un tremblement de terre ou un détournement par des terroristes jusqu’à Milan.
Je dégotte une place et m’installe tant bien que mal, avec tout mon barda, dont j’extrais immédiatement mes tartines (la course folle jusqu’à la gare m’a donné faim, ma bouteille de coca light (idem, mais soif) et mon livre (ah oui, j’avais emporté quatre livres, au cas où, j’ai lu trois lignes, comme toujours quand je pars en vacances), savoir le second Katherine Pancol dont je vous ai parlé, Le bazar lent des turtles. Je mange, je bois, je lis. Bref, je me donne une contenance.
Sauf que, bien sûr, avec toutes ces émotions, et accessoirement tout ce Pastis, je dois faire pipi moi.
Mais comment faire pipi quand on est seule avec un grand sac, un moyen sac, un petit sac, à la merci des arracheurs de sacs qui rodent dans les trains, tels des pas gentlemen cambrioleurs ?
On fait pas.
On se retient.
Jusqu’à ce que ce ne soit plus possible.
Alors on part à la recherche d’une toilette dans ce train à étage, laissant ses sacs à la merci des cambrioleurs pas gentlemen, rhaaaaaaaa.
Et on trouve pas de toilette.
On revient pieusement s’asseoir. Et on se retient. Et on est persuadée que tous les gens se disent « elle a pas trouvé la toilette, nananère ».
Tant pis, j’assume.
En face de moi, mais de biais, enfin vous voyez le topo, une maman avec ses deux petits blondinets. Elle a passé la journée à la côte. Zen ont bien profité, ça se voit. Elle discutaille avec le couple de personnes âgées en face d’elle. Toute mignonne, la conversation. J’écoute. J’aime. Elle parle trois langues, dont deux nationales, qu’elle apprend à ses petits bouts. Mignon je vous dis. Jusqu’à ce qu’un des petits bouts se mette à hurler pour je ne sais quelle raison. Il ne hurle pas, il rigole. Mais fort. En hurlant. Striiiiiiiiiiiiiiiident. Qu’on l’étouffe, qu’on le noie dans la cuvette du WC, qu’on m’en débarrasse… Bref, qu’il mette les bouts. Et oui, il met les bouts, avec maman, ouuuuuuuuf. Mignon blondinet, mais bruyant…
Gare de Bruxelles, premier arrêt.
Je me rue vers les WC, of course. Près d’un Quick, mais je résiste vaillamment à l’appel des chicken dips et du cheese. J’ai mangé mes tartines, je n’ai pas faim je n’ai pas faim je n’ai pas faim.
Ensuite, je rejoins le quai et m’installe pour une petite demi-heure de lecture, en attendant ma correspondance.
C’était sans compter un gentil jeune homme qui vient s’installer contre, tout contre moi, et me conter, raconter, et conter encore sa vie. Je sais tout de lui. Malgré mes nombreuses tentatives pour lui faire comprendre que j’ai envie de lire (mettre mon livre devant mes yeux, me plonger dedans, tourner une page, faire des « mmmh mmmh » systématiques…). Donc je sais tout : sa copine, les stars qu’ils prennent en photo (et de me montrer les photos), l’anniv dont il revient, en train car son pote trop saoul pour le ramener comme prévu, sa maladie grave dont il est en rémission… tout tout tout je vous dis. Il m’a demandé si je n’avais pas peur de lui, j’ai marmonné que non, mais je veux du silence, de la paix, de la quiétude.
Et quand le train arrive, il est galant, veut m’aider à porter mon gros sac. Rhaaaaaaaa, et s’il voulait me le piquer, si c’était un non gentleman cambrioleur ? Et l’idée de subir son monologue durant une heure, non, ça n’ira pas. Je prétexte une scission du train pour m’éloigner à grands pas. J’ai honte, chuis une asociale, c’est clair.
Je m’avachis dans mon compartiment, et je comprends immédiatement ma douleur. Peu de monde, mais l’enfer. Dans le fond, une famille avec un enfant tout jeune tout hurleur, ça me poursuit. Au milieu deux jeunes filles bien calmes. Au début un père avec sa fille, une gamine hystérique et hyperactive. Et moi et moi et moi. Les jeunes filles s’enfuient rapidement. Moi je résiste, envers et contre tout. Et cet enfant de hurler, et cette gamine de bouger sans cesse, au point que la mère de l’enfant hurleur rappelle le père de la gamine à l’ordre (ça va, vous suivez ?).
Je résiste vaillamment jusque Gembloux. Là, le compartiment se vide… pour mieux se remplir. Enfin mieux, dans le sens « du monde », mais pas dans le sens « des gens mieux ». L’enfer continue. Le bruit. Et ils mangent un Quick, j’ai faaaaaaaaaaaaiiiiiiiiiim. Pourkwaaaaa j’ai pas pris des chicken nuggets ou un cheese au quick ? Oui, bon les nuggets c’est au Mac Do, mais vous pigez ce que je veux dire hein.
Bon, l’arrivée est proche, je résiste encore.
Une fois à Namur, je descends avec joie de cet enfer, et je rentre chez moi, non sans avoir eu envie d’une pizza aux scampis tomates fraîches basilic, mais je résiste, je n’ai pas faim je n’ai pas faim je n’ai pas faim. J’ai mangé mes tartines.
Je rentre chez moi, nourris le rat, caresse le rat, et file au dodo, du sable plein les cheveux, des rires, du pastis et des mouettes plein la tête.