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LOOKING FOR BECKIE // Épisode 4

Publié le 03 août 2010 par Brunoh
Suite de la nouvelle de l'été (4/6)
LOOKING FOR BECKIE // Épisode 4
Tu t’habilles avec des marques de luxe. Exclusivement. Casual, mais stylé.
Quand tu étais enfant, ta mère, Lucette, choisissait tes baskets au Prisunic. Elle t’y achetait également des joggings, par lots de trois. Un jaune pisse, un bleu délavé et un gris pourri. Pour faire la semaine. Confortable et pratique.
A quatorze ans, tu es entré dans un lycée parisien réputé. Non content d’être le plus jeune, tu devins immédiatement la risée des fils et des filles de blindés, qui exhibaient des fringues valant, chacune, le prix de l’ensemble de tes « tenues ». Ils évoquaient des marques dont tu n’avais jamais entendu parler, maîtrisaient des codes que tu ignorais encore... Plus pour longtemps.
Tu as vite appris. Pour commencer, tu t’es épargné l’affront de ton père venant t’attendre à la sortie du lycée, avec sa Renault 18. Sur le coup, Richard prit son air de cocker triste, regrettant que tu puisses avoir honte de tes parents. Mais il ne vint plus. Puis tu as commencé à t’intéresser de près à la course à pied. Pas par amour du sport. Mais pour semer les vigiles des boutiques sur lesquelles tu jetais ton dévolu.
Et quelques années plus tard, c’est auprès de toi que certains de tes anciens camarades venaient glaner des conseils en matière de mode. Trop tard. Le mal était fait. Tu ne les enviais plus. Tu les méprisais, sachant que ces dépenses luxueuses, que tu appelais par dérision ton « potlatch esthétique », ne servaient qu’à combler les humiliations du passé. Peine perdue.
Aujourd’hui, alors que tu es au fond de la flotte, en train de te dépêtrer de ta chemisette Armani, tu songes avant tout à te délester de tout ce qui te pèse. En essayant de conserver l’essentiel… à savoir ta respiration, bloquée le plus longtemps possible, histoire de ne pas remonter à la surface sous les yeux des gendarmes.
Tu finis par émerger, une trentaine de mètres après le Pont de Bercy. Tu tentes la brasse coulée. Plus discrète que le crawl, dont les mouvements des bras constitueraient autant d’invitations à te faire pêcher. Au sens propre. Tout en nageant, tu essayes de mettre de l’ordre dans tes pensées.
Tu élimines d’emblée l’hypothèse du suicide de Steph. Tu imagines plutôt un clone du mec venu tout à l’heure fouiller dans ton garage, passant lui rendre visite à son bureau. Ne trouvant pas ce qu’il cherchait, il aurait éliminé la source de la fuite au sujet des financements occultes du Pôle Emploi. Il en aurait été de même pour toi, si tu n’avais pas réussi à prendre la poudre d’escampette à bord de ton ex-Cougar.
A part ça, le reste te semble aussi limpide que l’eau qui t’entoure.
L’info de Steph a disparu avec lui. Tu es le suivant sur la liste : si l’un de ces types met la main sur toi, il ne s’encombrera pas de détails. Tu peux choisir de te rendre aux flics, mais rien ne prouve qu’ils ne t’abattront pas : cet été, ils ont la gâchette sensible.
Et ils ont dû moyennement apprécier le barrage forcé, ainsi que les motos renversées.
Reste le problème de l’enlèvement de Beckie. S’il s’agissait de la même équipe que les tueurs, ils ne seraient pas venus chez toi, alors qu’ils t’avaient donné rencard à 22h00, à la station de métro Jules Joffrin.
La priorité reste donc de retrouver Beckie, coûte que coûte. Et de sauver ta peau.
Si, en prime, tu parviens à comprendre ce qu’il en retourne, tu n’auras pas perdu ta journée. Et Steph n’aura pas perdu la vie pour rien.
A ta droite, tu perçois les sons des sirènes, atténués par l’eau dans tes oreilles. Sûr qu’ils sont en train de bloquer les quais de Seine. Si tu parviens à échapper à la brigade fluviale et aux hélices des bateaux mouches, il te reste deux ponts à franchir, avant de pouvoir filer entre les mailles de leur filet. Un peu moins de deux kilomètres. Soit quarante minutes de nage à ton rythme actuel. Merci l’entrainement. Ton Jean Marithée et François Girbaud colle à tes cuisses. Heureusement, l’eau n’est pas trop froide. Vive l’été parisien. Si tu parviens à dépasser le Pont d’Austerlitz, tu pourras sortir de l’eau, quasiment à poil mais incognito : au début de la voie Georges Pompidou commence Paris Plage !
Tu accostes à la hauteur du Pont de Sully, peu avant 21 heures. Heureusement, ta montre Master Compressor Jaeger LeCoultre est parfaitement étanche. La moindre des choses, pour un objet valant pratiquement 8000 Euros ! Il n’en est pas de même pour ton téléphone mobile. Quant au porte-cartes, toujours glissé dans la poche arrière de ton jean, il sèchera : au moins, tu ne te retrouves pas sans papiers, ni moyens de paiements. Paris Plage est en train de fermer. Les glaciers ont déjà plié boutique, seuls quelques retardataires profitent encore des derniers rayons du soleil.
Parmi eux, une jeune fille a observé ton arrivée. Elle te sourit. Instant suspendu de réconfort. Tu t’affales sur le bain de soleil situé juste à côté d’elle, pour reprendre ton souffle.
« - A voir votre tête, je comprends pourquoi ils interdisent de nager dans la Seine ! »
Tu la regardes. Yeux verts et rieurs, un peu rapprochés, joli nez retroussé, tâches de rousseur, nuage de chevelure ambrée, lèvres sensuelles. Vingt-cinq ans environ, ou une petite trentaine fort bien entretenue. Le genre de nana qui n’a pas froid aux yeux. Tu lui concèdes le fait que tu ne dois pas ressembler à grand-chose, après ce bain forcé. Mais tu connais ton point fort : ce sourire qui illumine ton visage, te donnant un air à la fois subtil, touchant et désirable… si, si, plein de filles te l’ont déjà dit !
Tu lui souris.
« - Je vous aurais bien proposé de m’accompagner, mais il aurait été dommage de mouiller pareille chevelure. »
« - De toutes façons, je préfère les bains de minuit, mais pas ici… » Sens de la répartie et du mystère… si seulement elle était arrivée à la fin de l’histoire, comme dans les mauvais romans, tu aurais passé une soirée géniale.
Sauf que là, tu es attendu, dans moins d’une heure, par l’homme à la voix masquée, ou l’un de ses acolytes. Tu poses près de toi ton mobile et ton porte-cartes. Inutile d’espérer que ton jean sèche en quelques minutes !
Ta compagne de plage ne t’a pas quitté des yeux.
« -Finalement, vous avez de la chance… »
« -Vous croyez ? C’est parce que vous ne connaissez pas ma vie… mais je veux bien échanger ma journée contre la vôtre ! Au fait – tu lui tends la main – Je m’appelle Burt, Burt Rosen. »
« - Burt ? Comme Lancaster ? Moi c’est Alice, Alice Johansson, comme Scarlett »
Décidément, tu la trouves de plus en plus craquante. Elle continue sur sa lancée.
« - … Et je disais que vous aviez de la chance, parce que je m’occupe d’une boutique de vêtements, juste à côté d’ici, Rue Saint Paul. Et vu votre style, ça devrait vous plaire. »
« - Alice, vous êtes une envoyée du destin ! Je ne voudrais pas tout gâcher en vous racontant ma vie, mais il m’arrive de gros problèmes, depuis ce matin… »
« - ça, vous n’aviez pas besoin de le préciser : je m’en suis douté dès que je vous ai vu sortir de l’eau. Pas la peine de vous prendre la tête, Burt. Mon mec m’a annoncé aujourd’hui qu’il en aimait un autre, eh ouais : pas une, un ! Mon meilleur pote en plus. Et mon père s’est barré il y a une semaine avec une fille qui aurait l’âge d’être ma petite sœur. Aucune de mes copines n’est disponible ce soir pour m’aider à noyer mon chagrin, alors, allez-y : distrayez-moi ! »
Tu n’as ni le temps ni l’envie de tout lui raconter dans les détails, mais tu sens bien que tu es obligé de lâcher quelques bribes d’info : journaliste, affaire, tueur, barrage, plage… Alice te regarde, bouche bée, et tu penses, de façon perfide, que ça ne doit pas lui arriver souvent.
Lorsqu’elle reprend la parole, c’est pour dire une chose vraiment intelligente.
« - Burt, vous êtes chez Orange ? »
« - Oui, pourquoi ? »
« - Filez-moi votre carte SIM : si elle est compatible avec mon mobile, on va vérifier un truc… »
(à suivre...)

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