Véritable phénomène : les réalisatrices suisses s’affirment en
nombre. Et en qualité. Un nom à retenir : Katalin Gödrös.
Jacqueline Veuve, pionnière romande du docu et chaperon de quelques
jeunes réalisateurs romands, dont un Lionel Baier, est cette année de
retour à Locarno avec un nouvel opus. Or l’octogénaire aux soixante films
est moins seule aujourd’hui, au premier rang des réalisatrices helvétiques,
comme l’illustre généreusement la programmation d’Olivier Père.
Trois d’entre elles participent ainsi à la compétition internationale, avec
des films d’une égale tenue. À savoir : Stéphanie Chuat et Véronique
Reymond pour La Petite chambre, avec Michel Bouquet; et la Zurichoise
d’origine hongroise Katalin Gödrös, dont le festivaliers ont découvert hier
le «quartet» familial intense et révélateur de Songs of Love and Hate,
plongée hypersensible dans les rapports entre une adolescente et son
père. Rien pourtant d’« un film de plus sur l’inceste », mais la modulation
d’un nouveau type de relations entre les membres d’une même famille,
vivant des rapports d’intimité accrue, parfois ambiguë, au fil de liens moins
hiérarchisés que naguère.
«La famille que je décris n’a rien de malade, précise la réalisatrice, et je
ne voulais pas traiter du fait pathologique de l’inceste. Ce qui m’intéresse,
c’est la situation qui découle de la maturité précoce des adolescents
actuels, et plus précisément des adolescentes, qui vivent la sexualité plus
naturellement, avec une force singulière, et des attitudes qui peuvent
toucher à la provocation. »
Dans la foulée, on notera que le regard de Katalin Gödrös recoupe, par le
biais de la fiction, l’aperçu documentaire de Béatrice Bakhti dans sa
formidable série de Romans d’ados, présentée aussi à Locarno.
Un regard élargi
En outre, la réalisatrice se défend d’avoir voulu illustrer une situation
«typiquement suisse», en quoi elle rejoint d’ailleurs les cinéastes hommes
et femmes de sa génération. «Les relations que nous évoquons,
notamment entre la fille et le père, sont d’aujourd’hui et de partout, mais
également de tout temps : c’est un phénomène universel, depuis la Grèce
antique». À cet égard, un personnage d’handicapé intervient dans le
drame, qu’on pourrait associer, précise Katalin Gödrös, à l’antique
Cassandre.
Plus prosaïquement, l’on relèvera l’intensité affective du film et son
ancrage social (ici dans un village au pied des Alpes, où le père est
vigneron), maiis aussi sa qualité d'écriture et de dialogues (signés par la
réalisatrice) qui en font une œuvre potentiellement accessible au grand
public, comme Das Fräulein d’Andrea Staka ou Home d’Ursula Meier,
également présentes à Locarno avec deux courts métrages.
Or ajoutant, à ce brillant générique féminin du nouveau cinéma suisse, les
noms de Séverine Cornamusaz, dont le Cœur animal est aussi au
programme de la section Apellations Suisse, et de Bettina Oberli, qui a
« cartonné » en 2006 avec Les mamies ne font pas dans la dentelle (Die
Herbstzeitlosen) et revient en force avec le thriller La ferme du crime
(Tannöd), force est de conclure à une avancée significative, combien
réjouissante.