L’événement demain soir sur la Piazza Grande de Locarno: un docu-fiction sur Hugo Koblet le « pédaleur de charme », signé Daniel von Aarburg. Interview.
Le champion cycliste Hugo Koblet fut un mythe vivant, ignoré des jeunes d’aujourd’hui mais toujours présent dans la mémoire des plus de cinquante ans. Elégant en course autant qu’à la pose, véritable « star » médiatique avant la lettre, très aimé des dames et le leur rendant en véritable Casanova de la petite reine, le rival (et complice) de Fredi Kubler (91 ans) connut une gloire mondiale après ses victoires au Giro en 1950 et au Tour de France en 1951. Mais le poids de la célébrité fut aussi ce qui le fit déchoir, avant sa fin tragique. Fasciné par le personnage, Daniel Von Aarburg, 45 ans, a vu dans cette trajectoire le sujet d’un film « romanesque » à souhait.
- -- Comment avez-vous « découvert » Hugo Koblet ?
- - C’est mon père qui m’a parlé le premier, maintes fois, de la fameuse paire K et K, mais j’ai plutôt grandi avec Russi et Colombin. Fan de foot et cycliste amateur, j’ai découvert en 2005 un album de photos consacré à Koblet et ce matériau visuel m’a tout de suite épaté, que j’ai ensuite étoffé en faisant des recherches dans les archives télévisées. S’il y a peu d’interviews de Koblet, il restait encore quelques témoins vivants, dont Fredi Kubler et la veuve – l’épouse « officielle » qui le menaçait de divorce à la fin de sa vie pour ses innombrables infidélités. Son témoignage m’a été précieux, mais elle n’a pas désiré apparaître dans le film.
- La légende du séducteur n’est donc pas un mythe…
- Absolument pas ! Au point même que son besoin de femmes avait quelque chose de « pathologique », selon ses proches. Son rapport avec les femmes est d’ailleurs l’un des « trous noirs » du portrait, de même que les rapports avec la mère et, sujet combien actuel, le rôle que le dopage a joué dans l’accélération de son déclin.
- Plus précisément ?
- En 1952, alors qu’il devait participer au Tour de Suisse, Koblet était malade, mais ses médecins ont fait en sorte qu’il puisse courir et ont probablement forcé la dose. Ce qui est sûr est que son cœur en a pâti et qu’il a fini par s’effondrer.
- Comment Fredy Kubler parle-t-il de son rival ? En ami ?
- Certainement, et c’est émouvant de l’entendre évoquer ces années légendaires et cette rivalité mythique. On sent que les deux hommes s’estimaient beaucoup, et Kubler raconte ça comme s’il avait encore vingt ans. Un vrai gamin malgré ses nonante ans ! Hélas, je crois qu’il n’est plus en état, aujourd’hui, de faire le voyage de Locarno…
- Quelles parts respectives le film réserve-t-il aux documents et à la fiction ?
- À peu près moitié-moitié. On peut ainsi parler d’un « drame documentaire ». C’est d’ailleurs un mélange que j’ai déjà pratiqué dans mes autres films, et qu’on retrouve chez beaucoup de réalisateurs suisses...
- Concluez-vous au suicide de Koblet ?
- Non. Nous laissons la question ouverte, même s’il y a des fortes présomptions en faveur de cette explication de sa mort. L’idée du suicide a été réfutée, sur le moment, par les gardiens de l’icône. Nous avons actuellement plus de recul, mais un certain mystère peut demeurer sans trahir la "vérité" de Koblet…
Koblet alias Leuenberger Jr
Le public romand n’y verra que du feu en découvrant l’affiche de Koblet pédaleur de charme, où apparaît, dans le rôle de Koblet, le nom de l’acteur zurichois Manuel Löwensberg, comédien déjà bien connu de nos Confédérés, notamment pour sa prestation dans la film à succès Tag am Meer, de Moritz Gerber.
Il s’agit donc, au moment de passer la Sarine et le Gothard, de préciser que Manuel Löwensberg n’est autre que le fils d’un certain Moritz Leunberger, conseiller fédéral annoncé comme bientôt sortant. Coup de pub du réalisateur ou ressemblance avérée entre le pédaleur et son double ?
« En fait, explique Daniel von Aarbourg, Manuel Löwensberg s’est montré le meilleur à l’épreuve cyclo du casting ! C’était quand même important que l’acteur jouant Koblet sache se tenir sur un vélo, mais il y avait autre chose qui comptait : c’est que le fils du ministre pratique un züritütsch absolument conforme à celui de Koblet. Enfin, il y a une vaie ressemblance physique entre ces deux grands maigres également séduisants… »
Quant à Manuel Löwensberger, qui a été suivi de très près par les médias alémaniques durant le tournage du film, il s’est dit impressionné par ce rôle, et même « tout petit » à l’idée d’incarner le champion, n’était-ce que parce que Koblet atteignait le mètre nonante tandis que l’acteur ne mesure que son mètre septante-sept et ne se fait aucune illusion sur la comparaison que feront les dames entre les beau visage régulier du champion et le sien. Ainsi a-t-il crânement concentré son identification « par l’intérieur », dont le public jugera…
Bio-express de Daniel von Aarburg
Daniel Von Aarburg, né en 1965 à Zurich mais établi avec sa famille à Coire, a passé par l’ancien DAVI (Département des arts visuels) de Lausanne, après une licence de lettres à Zurich. Sensible aux questions de société, il s’est intéressé au sort des réfugiés de l’ex-Yougoslavie en Suisse (Lettres à Srebrenica ou Ina, Amer et Elvis) autant qu’aux retombées possibles d’un médicament nouveau (Nebenwirkungen), notamment. Autant dire que son intérêt pour Koblet ne se borne pas à l’aspect anecdotique du personnage mais touche à l’ensemble d’une destinée avec son éclat et sa part d’ombre.