Magazine Journal intime

Lettre ouverte à mon chauffeur de bus

Publié le 06 août 2010 par Anaïs Valente

Ou plutôt à ce chauffeur de bus là, en particulier, oui, celui-là, avec sa tête de crabe qui n'en pince pour rien dans la vie.

Oui, c'est à vous que je m'adresse...

Vous qui étiez à l'arrêt bien en avance, genre deux minutes.  Et deux minutes ça fait soixante seconde fois deux, donc cent vingt secondes.  Ça paraît peu mais dans un jeu de cache-cache, ça fait compter jusque cent vingt, c'est long comme un jour sans melo-cakes.

Vous qui m'avez vue me précipiter vers vous, mes deux sacs en main.  Oups, non, mes trois sacs, sans compter celui que j'ai à l'épaule.  Mes quatre sacs, donc.  Comme le baudet de Jean de Floreffe transportant l’eau si précieuse.

Vous qui m’avez remarquée, vue, regardée, inspectée, bien assis, peinard, sur votre siège de conducteur pas gentil pas beau.

Vous avez remarqué, non, que j'étais chargée, avec mon livre Les âmes vagabondes, 600 pages, un kilo, avec ma bouteille à eau vert pomme Tupperware, même que j'aurais voulu la rose fuchsia mais on la vend qu'en France, si une Française passe par là, je l'aimerais en roooose, pitiééééé, avec mon portefeuille rempli de bons de réduction et de billets, sans oublier mes cartes de fidélité, mes pièces et mes cartes de banques, avec ma boule de mozzarella reçue gratuitement because l'Italie a marqué beaucoup au mondial, avec mes deux bouteilles de Vitalinéa frizzi lemon coco cherchées dans tous les magasins, avec ma bouteille de vin rosé pour le barbecue de dimanche, avec mon paquet de bichoc pour la soirée Romantic girls & the city d’hier soir, avec mes chips pour la même soirée, avec mon poulet rôti pour demain, avec mes patates rôties pour demain aussi passque chuis trop fade pour les cuire moi-même, avec ma fiche de paie qui comporte des erreurs sur mes jours de congé passque j’ai fait des heures sup à récupérer et passque j’avais encore des jours de 2009 à reporter je sais c’est compliqué mais suffit d’expliquer, avec un livre La beauté du mal reçu le matin même sur une meilleure qui est diabolique je vais adorer, avec mon fromage light pour mes tartines c’est ridicule car après les tartines je m’empiffrerai de chocolat blanc spéculoos, avec mon chocolat blanc spéculoos, avec mes Petits Coraya sauce cocktail même que c'est plus cher que sauce mayo c'est nullissime et infondé, avec mes pins Disney reçu avec mes courses, courses payées avec les bons gratuits suite aux achats 100 % remboursés du mois dernier youpie, avec mon lecteur mp3 imitation iPod reçu chez Test-Achats qui repasse en boucle la même chanson doit y avoir un souci technique, avec mon ciné télé revue que je rachète pour la première fois passqu'avant j'avais le Vif mais que maintenant j'aurai le ciné télé revue qu'on se le dise à moi les potins d'enfer, avec mes 500 grammes de spaghettis que je préparerai avec un genre de boursin à l’ail acheté pour les achats 100 % remboursés dont question ci-avant il est temps que je le mange et je le ferai avec une courgette et des scampis, avec mon sandwich mou décongelé pas bon du tout spongieux tout plein et avec la sueur qui me coulait en dessous des bras tellement je courais vite malgré tous mes sacs.

Vous qui avez attendu que je me précipite vers vous, que je sois bien épuisée, tremblante, au bord de la crise d'asthme, passqu'en plus ça montait jusqu'à l'arrêt.

Vous qui avez refermé la porte alors que je n'étais qu'à dix mètres.

Vous qui avez démarré bien avant l'heure, passqu'il n'était que 43 et que vous étiez censé démarrer à 44.

Vous qui êtes venu vers moi au volant de votre mastodonte qui gonfle votre ego dans la même proportion.

Vous qui m'avez lancé un coup d'oeil goguenard, enfin ça je l'imagine, vu que j'avais le reflet du soleil dans le pare-brise, mais je sais que vous étiez goguenard.

Vous qui avez pris votre pied en vous sentant investi d'un super pouvoir.  Le superman du bus, qui a le droit de décider s'il sera gentil ou mesquin.

Vous qui avez été mesquin.  Vil.  Filou.  Hautain.  Narquois.  Dépourvu de conscience professionnelle ;

Soyez maudit durant treize générations.

Vous le sentez, ce petit mal de tête ?  Vous la sentez, cette petite nausée ?  Vous le sentez, ce gros vertige ?  Vous le sentez, ce crabe qui en pince pour vous et vous rappelle les ulcères gastriques dont votre organisme est friand ?  Vous la sentez, votre jambe qui tremblote et frétille ?  Vous la sentez, votre aubergine qui ne frétille plus et ne frétillera plus jamais ?

Ben c'est moi, avec ma poupée vaudou made expressément for you.

Bien mérité.

Fallait pas commencer (comme disait Lio).

Na.

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