Magazine Journal intime

Monsieur le Maire de Paris…

Publié le 06 août 2010 par Stella

Vous le savez : je suis une gentille fille. Mais de temps en temps, je pique une petite crise. Vous l’avez constaté dans Le coup de la planche de surf , je vous le confirme ci-dessous. Voici en effet le texte intégral de la lettre que j’adresse aujourd’hui à un homme qui, je le reconnais à l’avance, n’est certainement pas responsable de tout ce qui se fait dans sa ville mais que voulez-vous, c’est lui le chef!

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Monsieur le Maire de Paris

Vous chouchoutez les cyclistes et je vous en sais gré. Oui, je le reconnais : depuis que vous vous occupez de nous, notre santé s’est améliorée : les autobus roulent à l’électricité. Lorsque, logée entre le 83 et le 91 sur le boulevard de Port-Royal, j’assiste à un double démarrage en côte (oui, je sais, modeste la côte, mais quand même…), je ne cours plus le risque de succomber d’un excès d’aspiration d’oxyde de carbone.

Bien sûr, il faudrait être un fâcheux diablement malchanceux pour heurter le gentil muret de protection que vous avez bien voulu faire construire à hauteur de pédale – pour nous séparer des automobiles – juste au moment où le 91 nous double avec emportement pour ne pas rater le feu vert, sans un regard pour notre sort misérable car trop occupé à faire un signe à son copain de l’autre 91 qui le croise, justement, avec non moins de vélocité et pour la même raison.

Seulement voilà : depuis que je suis rentrée de vacances, je m’interroge sur les motifs qui vous ont conduit à nous autoriser à prendre les sens interdits. Serait-ce une mesure de régulation (de notre durée de vie) ? Pourtant, en stoppant abruptement les pistes cyclables lorsqu’elles débouchent sur les places de la Bastille, de la République ou de la Concorde, vous disposez d’un outil d’éradication qui me semble non négligeable. Ceux qui sont parvenus à se faire toute la rue de Rivoli sans renverser – ni se faire renverser – par un piéton qui traverse, sans se taper le fameux gentil muret, sans se faire faucher par un taxi qui tourne à droite ou un client dudit taxi qui ouvre sa portière, ceux-là ont gagné le droit de se trouver au milieu de la circulation sans même un marquage au sol. Ils sont alors l’objet du dédain d’automobilistes excédés par la subtile synchronisation des feux qui leur a fait parcourir trois kilomètres en vingt-cinq minutes. Sachez que je n’ai rien contre la rue de Rivoli, j’aurais pu dire « boulevard Saint-Marcel et place Mazas »…

Je m’interroge, disais-je, d’autant que vous avez particulièrement soigné ma rue, une pauvre rue minuscule qui ne demandait rien à personne et où, bon an mal an, cohabitaient calmement nos vélos (ma voisine de palier et moi-même) et les autos. Vous avez donc fait retirer lesdites sur l’un des côtés. Bon, pourquoi pas. Oui mais : ma rue est à sens unique ; elle commence par une ligne droite d’une centaine de mètres puis fait un coude à 90° pour, vingt-cinq mètres plus loin, déboucher sur le boulevard de Port-Royal. Lorsqu’on la prend dans le sens habituel, on longe les voitures toujours autorisées à droite ce qui, soit dit en passant, ne change rien au risque de la portière ouverte inopinément, que nous prenons en permanence. Mais bon, nous avons l’habitude de vivre dangereusement.

Là où c’est intéressant, c’est quand on décide – pour faire honneur à votre initiative – de prendre ma rue en sens interdit. Déjà, il faut quitter le couloir réservé (vous savez, celui du 91…) et traverser ex abrupto la double file de circulation des voitures. Nul passage clouté, nul marquage au sol, rien que cette merveilleuse motivation et ce désir fou qui nous colle au corps : prendre un sens interdit. Passée cette épreuve, nous abordons le petit morceau de rue où – et c’est le nœud de l’affaire – les voitures sont toujours garées des deux côtés de la chaussée… Force est donc de nous tenir plus ou moins au milieu, avant de se rabattre à droite, là où un joli dessin nous indique que nous pouvons rouler.

J’attends avec un intérêt non dissimulé le jour où, profitant de cette belle rue si large, une voiture ou même un scooter abordera ce coude à la vitesse réglementaire de 50 km/h – mais même à 30 km/h, je ne parierais pas un centime – pour se trouver nez-à-nez avec un (ou une) cycliste…

Monsieur le Maire de Paris, je crois que là, vous avez marqué un point. Je fais du vélo dans Paris depuis près de vingt ans. Je n’ai jamais eu d’accident, sauf un bref accrochage, un jour, sur la voie sur berge (autre idée géniale, mais je ne voudrais pas vous lasser), et je pense que vous m’avez repérée. Vous voulez ma peau ? Bien, seulement sachez-le : vous ne l’aurez pas facilement. Je vais résister. Comment ? En masquant par du gros scotch votre petit panneau autorisant les cyclistes à venir se faire tuer dans ma rue. J’en ai six rouleaux d’avance : voyons qui de nous deux se lassera le premier !

Respectueusement vôtre,

Stella Maris


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