Une soirée idéale avec Chiara Mastroianni, Hugo Koblet et les zombies berlinois du formidable Rammbock.
Alliant la douceur d’une soirée d’été, la ferveur du public de la plus grande salle de cinéma du monde (8000 spectateurs), un hommage mérité à une actrice faisant honneur à ses parents, la projection du film consacré à Hugo Koblet en présence de quelques vieux de la vieille équipe du champion, pour finir dans le huis-clos terrifiant d’une bâtisse berlinoise décatie assiégée par des zombies: tel fut le menu copieux et savoureux de vendredi soir à Locarno, présenté par un Olivier Père en costume blanc et assez à l’aise nella lingua di Dante…
Chiara Mastroianni fait du cinéma depuis une vingtaine d’années et pourtant, chose étonnante, l’Excellence Award Moët & Chandon, assorti d’un léopard d’or, est la première distinction qui est attribuée à cette interprète intelligente et très librement sensible, qui a joué avec les plus inventifs des réalisateurs contemporains, de Manoel de Oliveira (en princesse de Clève, dans La Lettre) à Raul Ruiz, André Téchiné, ou Xavier Beauvois dans N’oublie pas que tu vas mourir (« in which she was sublimely beautiful, a real Renaissance madonna », précise Olivier Père en locarnais dans le texte), jusqu’à l’Homme au bain de Christophe Honoré, en compétition à Locarno.
Pince-sans-rire, Olivier Père a souligné le fait que cet hommage à la belle Chiara, tout émue devant l’immense assistance en tenues d’été sans chichis, suffisait à faire de Locarno le festival le plus « glamoureux » de la planète, avant que Melvil Poupaud, membre du jury et superbe acteur, complice en outre de la première heure, ne vienne dire son admiration et son amitié à la comédienne.
Dans la foulée de ces salamalecs frottés d’ironie bon enfant, l’arrivée de l’équipe de Daniel von Aarburg, débarquée de Zurich en procession vélocipédique (avec une étape ferroviaire due à la pluie...) avait elle aussi quelque chose d’émouvant puisque plusieurs papys de la petite reine y étaient associés, que l’on retrouve en témoins directs dans Hugo Koblet, pédaleur de charme, dont c’était la première projection.
Mélange d’archives filmées et de séquences reconstituées avec des acteurs (dont Manuel Löwensberg, fils de Moritz Leuenberger, dans le rôle principal, le film de Daniel von Aarburg nous fait suivre les étapes du champion de ses débuts de fils de boulanger fonçant sur son petit vélo à ses victoires au Giro et au Tour de France, après une ouverture dramatique rappelant immédiatement la fin tragique de cette « icône » drainant des foules, avec la course d’une Alfa blanche se crashant contre un arbre. Cette alternance du documentaire et de la fiction réserve la meilleur part à celui-là, notamment avec quelques témoignages en plans-fixes, dont celui du nonagénaire Ferdy Kübler. Paradoxalement plus statiques, surtout plus lisses, les séquences jouées font bien ressortir, pourtant, la part d’ombre de la carrière du champion, avec le rôle peu glorieux d’un entourage n’hésitant pas à pousser le champion à ses limites, voire à les dépasser, par appât du gain…
Autres suceurs de sang vif, à la fois plus et moins inquiétants que les rapaces du sport: les morts-vivants de Rammbock, premier film de zombies allemand à la connaissance d’Olivier Père, signé par le jeune réalisateur (né en 1980 à Vienne) Marvin Kren, et constituant un exploit de mise en scène et d’interprétation. On pense à Polanski (mais plutôt celui de Répulsion ou de Rosemary’s Baby que du Bal des vampires) dans cette saisissante évocation d’un grand immeuble décati où les vivants se claquemurent tandis que les zombies déferlent de toute part, porteurs d’un mystérieux virus. Le protagoniste, un prénommé Michi (Michael Fuith, réellement épatant), type parfait d’amoureux niaiseux, débarque à Berlin pour y retrouver sa petite amie adorée Gabi, supposée vivre dans cette maison de plus en plus hantée. Avec un humour noir de haute volée et un dosage formidable de terreur et de répit, réduisant la part des zombies à des apparitions fulgurantes en gros plans ou en plongées vertigineuses, à des clameurs et à des mouvements de groupes endiablés, Marvin Kren construit un espace labyrinthique extraordinairement prenant et stressant, en maîtrisant une image également envoûtante et belle (la découverte des toits de la ville enfumée, à un moment donné), sans se départir d’un humour complètement dingue. Bref, si Locarno vise à la découverte, celle de Rammbock, dans un genre délicat, valait absolument une fin de soirée sur la Piazza…