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C'est une ville qui compte plus de grands bourgeois que quoi que ce soit d'autre. A croire que c'est d'ici que les grands bourgeois viennent. Il y a des villes connues pour leurs étudiants qui animent les grandes places et les ruelles mais toujours en terrasse, d'autres pour leurs retraités qui viennent y couler leurs derniers jours. Ici, ce sont les grands bourgeois. Et la grandbourgeoisie de la ville, attendu qu'elle se sent surreprésentée, a une drôle de façon, inimitable, de se montrer grandbourgeoise. Une façon unique et désarmante qui en devient touchante, pour qui viendrait d'une ville où la grandbourgeoisie se limiterait aux trois commerçants qui se partagent la place de l'église ...
Ma grandbourgeoisie se presse aux cocktails, aux conférences, aux avant-premières, aux soirées théâtrales ou aux grands concerts ; surtout si quelque édile de la ville, du département voire du pays s'y trouve présent. Elle serait capable de tuer un de ses congénères pour être présente à sa place et ratez un évènement et vous reculez de trois cases. La grandbourgeoisie de la ville ferre ses weston, se barboure dès l'automne et ondule sur les boulevards en fumant des dunhills. La grandbourgeoisie de la ville a un singulier manque d'imagination. Mais elle rayonne au delà de la région.
Elle serait capable de vous faire appeler un chat un chien si cela lui devenait instamment essentiel - et si elle était pourvue d'un semblant de fantaisie. Mais au lieu de cela elle préfère lancer successivement les modes de la planche à roulettes, de la coupe mini vague et de l'aquarium de salon. Et le reste du monde de partager l'étonnement, l'agacement puis le mépris le plus vide pour chaque nouvelle lubie qui vient animer les esprits creux de ces gens en attente de rien. La grandbourgeoisie de ma ville a quelque chose d'immuable, de rassurant, pour qui vivrait ici sans envie d'en sortir. Je sais qu'il y en a, même dans la dite grandbourgeoisie.
Un jour, certain d'entre eux se pique de se raconter un peu. Etalant ses feuilles de papier à 110mg, les lissant sur le sous main en cuir posé sur le grand bureau qui peine à occuper un des dix-sept coins que compte cette pièce de son hôtel particulier - où est-elle déjà, au troisième sur le côté est ou au deuxième dans l'aile ouest? Faisant jouer entre ses dents soigneusement peignées le bouchon de son stylo à plume Parker plaqué argent - auquel il tient plus encore qu'à la Patek Philippe qu'il a reçue à sa communion puisque c'est Pétronille qui le lui a offert - il cherche par quoi il pourrait bien commencer une oeuvre qu'il imagine déjà à mi chemin entre Blondin et Dumas. Finalement, il écrit ça : "C'est une ville qui compte plus de grands bourgeois que quoi que ce soit d'autre..."****
Jeu de briques
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