W.H. Auden/None

Publié le 10 août 2010 par Angèle Paoli
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DICHTUNG UND WAHRHEIT

XXVII


  Le sentiment-Je : un sentiment d'être-responsable-de. (Il ne saurait accompagner un verbe passif.) Je me réveille le matin avec une violente migraine et je crie: « Aïe ! ». Ce cri est involontaire et dénué de tout sentiment-Je. Puis je me dis : « J'ai une gueule de bois » ; une certaine dose de sentiment-Je accompagne cette pensée ― l'acte consistant à localiser et identifier la migraine est de mon fait ― mais une dose très faible. Puis je me dis : « J'ai trop bu hier soir. » Maintenant, le sentiment-Je est beaucoup plus fort : j'aurais pu boire moins. « Une » migraine est devenue « ma » gueule de bois, un incident de mon histoire personnelle. (Je ne peux pas identifier ma gueule de bois en montrant ma tête du doigt et en gémissant, car ce qui la rend mienne est mon acte passé et je ne peux pas montrer du doigt le moi d'hier.)

W.H. Auden, Dichtung und Wahrheit (An Unwritten Poem), in Quand j'écris Je t'aime, Éditions du Rocher, 2003 ; Collection Points Poésie, 2009, page 56. Traduit de l'anglais par Béatrice Vierne. NONE (extrait)

The Madonna with the green woodpecker,
  The Madonna of the fig-tree,
The Madonna beside the yellow dam,
  Turn their kind faces from us
And our projects under construction,
  Look only in one direction,
Fix their gaze on our completed work:
  Pile-driver, concrete-mixer,
Crane and pick-axe wait to be used again,
  But how can we repeat this?
Outliving our act, we stand where we are,
  As disregarded as some
Discarded artifact of our own,
  Like torn gloves, rusted kettles,
Abandoned branch-lines, worn lop-sided
  Grindstones buried in nettles.

This mutilated flesh, our victim,
  Explains too nakedly, too well,
The spell of the asparagus garden,
  The aim of our chalk-pit game; stamps,
Birds' eggs are not the same, behind the wonder
  Of tow-paths and sunken lanes,
Behind the rapture on the spiral stair,
  We shall always now be aware
Of the deed into which they lead, under
  The mock chase and mock capture,
The racing and tussling and splashing,
  The panting and the laughter,
Be listening for the cry and stillness
  To follow after: wherever
The sun shines, brooks run, books are written,
  There will also be this death.


La Madone au pivert,
  La Madone au figuier,
La Madone près d'une digue jaune,
  Détournent de nous leurs doux visages
Et de nos projets en cours,
  Elles regardent dans une autre direction,
Fixent leurs yeux sur notre travail achevé :
  Pilon et bétonnière,
Grue et pioche attendent qu'on s'en serve à nouveau ;
  Mais comment répéter cela ?
Survivant à notre acte, nous restons où nous sommes,
  Aussi oubliés que certains
De nos propres produits mis au rancart,
  Gants déchirés, bouilloires rouillées,
Voies à l'abandon, meules déformées,
  Enfouies dans les orties.

Cette chair mutilée, notre victime,
  Explique trop visiblement, trop bien,
Le sortilège du carré d'asperges,
  Le but des jeux dans la carrière ; les timbres,
Les œufs d'oiseaux sont différents par-delà la surprise
  Des sentiers de halage et des chemins creux,
Par-delà le ravissement sur l'escalier en vis,
  Désormais, nous serons toujours conscients
De l'acte vers lequel ils mènent,
  Sous la fausse poursuite et la fausse capture,
La course et la mêlée, les éclaboussements,
  Les halètements et les rires
Nous guetterons le cri et le silence
  Qui vont suivre : en quelque lieu
Que brille le soleil, que courent des ruisseaux, que soient écrits des livres,
  Il y aura aussi cette mort-là.

W.H. Auden, Horae canonicae, in Poésies choisies, Gallimard, Collection Poésie, 2005, pp. 156-157. Préface de Guy Goffette. Traduction de Jean Lambert.



W.H. AUDEN


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■ Voir/écouter aussi ▼

→ (sur Wikipedia) la page consacrée à W.H. Auden (telle qu'agréée le 13 mai 2010 par The W.H. Auden Society)
→ (sur le site de la BBC) une notice bio-bibliographique (en anglais) sur W.H. Auden
→ (sur le site de la BBC-Radio 3) l’intégralité d’Horae canonicae lue par Tom Durham (6 avril 2007)
→ (sur YouTube) W.H. Auden disant Funeral Blues



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