Magazine Journal intime

Ladakh sinistré

Publié le 11 août 2010 par Alainlecomte

« Kiki soso largyalo » ne peut pas ignorer ce qui vient de se produire comme catastrophe naturelle au Ladakh, puisque là est en quelque sorte son origine (Je veux dire par là que la phrase en question fleurit aux frontons des maisons et des lieux publics, ou bien se déclame au sommet des cols dans cette région, d’habitude heureuse, qui coiffe le coin supérieur gauche de l’Inde. Je crois qu’elle a sa source dans la très vieille épopée de Gesar de Ling , qui est aux pays de culture tibétaine ce que l’Iliade et l’Odyssée sont pour nous autres occidentaux). 

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Comme toujours en de tels cas, les chiffres grossissent de jour en jour, des morts et des disparus. Pour un peu, nous aurions choisi encore cet été de nous rendre là-bas et puis nous avons renoncé, pour rester au plus près de nos petits-enfants. Connaissant le terrain : les pentes abruptes et désertiques où aucune végétation ne retient rien, les plaines d’altitude traversées par des ruisseaux qui sont en général paisibles mais peuvent d’une heure à l’autre se transformer en petits amazones, les maisons toutes de terre battue, revêtues de toits de chaumes et ne reposant sur aucune fondation, j’imagine ce qu’a pu être cette nuit de jeudi à vendredi dernier, quand 2,50 mètres d’eau se sont déversées en une heure sur ce territoire magique. Je pense au pauvre berger de la plaine de Nimaling, qui passe l’été à ramasser les bouses de yack pour se chauffer l’hiver, je pense à cet autre qui garde en son alpage de Hundar Dok un impressionnant troupeau de petites chèvres pashmina et vit dans une hutte de pierres branlantes et se sert d’une outre en peau de mouton pour baratter le lait. Et bien sûr aussi à tous ces guides et conducteurs de chevaux dans la montagne qui prennent des risques pour conduire des touristes (comme nous) vers leur paradis d’altitude.

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berger près de Hundar - paysanne à Leh

Mais comment expliquer ce qui vient de se passer ? Les informations occidentales répondent très vite en invoquant une mousson particulièrement forte cette année puisqu’elle aurait franchi la frontière naturelle constituée par diverses chaînes himalayennes. Or, le journal « Economic Times » de New Delhi, relayé par le bulletin WTN (« World Tibet News »), avance une explication beaucoup plus détaillée. Selon l’analyste de ce journal, la mousson n’y serait pour rien, mais le phénomène serait typique des climats tropicaux, où une forte chaleur provoque une forte évaporation à partir de masses d’eau locales, qui retombe en pluies torrentielles dès qu’un contact a lieu avec des masses d’air froid. Le problème est : pourquoi cela se produit-il maintenant au Ladakh ? Premier élément de réponse : le réchauffement climatique qui a augmenté la température moyenne de 3 degrés et a amené en ces altitudes des températures estivales inconnues auparavant (il n’est pas rare qu’il fasse 30° C à Leh en plein mois d’aout, ce qui ne se voyait jamais autrefois). Mais cela ne suffit pas… Où trouver l’eau nécessaire à l’évaporation dans un pays réputé si désertique ? Deuxième changement : la transformation de la population, d’un mode de vie essentiellement nomade à un mode de vie agraire aurait étalé des réserves d’eau que l’on ne connaissait pas autrefois, par le biais de l’irrigation. De fait, tout visiteur du Ladakh est surpris pas ces champs d’un vert dense aux abords des maisons. La culture s’est intensifiée. En partie pour le bien de la population locale, mais aussi pour celui des visiteurs étrangers dont le nombre n’a cessé de croître depuis « l’ouverture » de ce pays au début des années quatre-vingt. Ces deux facteurs réunis seraient la cause de la formation d’énormes cumulo-nimbus se déversant sous forme torrentielle…

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champ cultivé près de Hundar - maison près du Khardang la

Pouvait-on l’éviter ? Cela est d’autant plus surprenant que jusqu’ici, on a loué le système de développement économique du Ladakh, synthèse astucieuse de tradition et de modernité. Et voilà que ceci nous apprend que nous nous trompions… encore une fois ( !). Il n’est pas simple de contrôler le développement, si développement il doit y avoir….
Il semble, selon l’article, que des avertissements aient été donnés par un groupe écologique local dès 1992-93, lors de premières chutes de pluie… « But nobody paid heed to this ».
Cela pose une fois de plus la question de notre responsabilité en tant que touristes lorsque nous nous répandons à notre aise en des lieux qui sont certes d’une grande beauté mais… qui n’ont jamais été conçus pour nous accueillir.

NB : je ne parle ici que du Ladakh, à cause d’un lien affectif qui me lie à ce pays, il va de soi que les malheureux Pakistanais souffrent tout autant que les Ladakhis, sinon plus.


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