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A l'est rien de nouveau

Publié le 11 août 2010 par Kranzler

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Je me rappelle très bien le jour où j‘ai découvert, par pur hasard, l‘arrondissement de Prenzlauer Berg à Berlin.
Et quel hasard... C‘était le lendemain d‘une cuite phénoménale prise à quelques jours de mon trentième anniversaire, c‘est à dire au tout début du printemps 92 - un printemps qui, cette année-là, s‘était montré particulièrement précoce et incisif. C‘était, s‘il faut le préciser, deux ans après la chute du mur et un an après la réunification, dans un contexte politique où toutes les  utopies semblaient  possibles.
A l‘époque, Penzlauer Berg s‘éveillait à peine d‘un  long passé communiste qui n‘avait guère autorisé de fantaisies. Partout, on commençait à lire et à entendre dire que c‘était là que tout se passait. Tout, quoi ? Et bien tout, c‘est tout de même facile à comprendre : un grand bouillonnement culturel, l‘éclosion de dizaines de bars et de galeries plus déjantés les uns que les autres, quelque chose qui se voulait être trés festif et très subsersif. Une sorte de folie totale, en quelques mots. Une grande dinguerie à laquelle se devait de partciper tout les esprits libres et éclairés de la terre, et c‘est sûrement ce programme, énoncé très clairement comme une vérité évidente, qui m‘avait longtemps fait hésiter à me rendre à Prenzlauer Berg : fondamentalement, les acteurs de la sphère culturelle m‘on toujours semblé être des individus tuants, épuisants, pour ne pas dire mortellement ennuyeux, et,  pour je ne sais quelle raison, parfaitement rabougris dans leur esprit. En un mot : d‘infréquentables brise-couilles suant d‘autosatisfaction.
Une cuite magistrale, disais-je. C‘est à ce hasard-là que je dois d‘être entré dans Prenzlauer Berg. Une cuite, nous savons pratiquement tous ce que c‘est. Vomir tripes et boyaux sur le premier trottoir venu, en pleine nuit, n‘est pas une chose agréable, c‘est le moins qu‘on puisse dire, et la musique qui accompagne l‘expulsion de l‘excédent de vodkas n‘a elle non plus rien d‘irrésisistiblement mélodieux. Mais, l‘un dans l‘autre, Prenzlauer Berg m‘avait tapé dans l‘oeil. Pas pour ses idées, non : les idées se démodent et n‘ont en soi rien de révolutionnaires. Ce que j‘avais aimé, ce matin-là, c‘étaient les façades, les pans de murs. Car Prenzlauer Berg, c‘étaient avant tout de vieux immeubles crasseux qui n‘avaient jamais respiré et semblaient sortir d‘un sommeil de cent ans. Chacun aura compris : les pierres me parlent plus que les âmes, car elles savent se taire et ne rien dire de superflu. On s‘emmerde moins, à leur contact, qu‘à écouter certains esprits déblatarer. Enfin, c‘est que je pense. Et si ca ne vous emmerde pas trop, je le pense très fort.
Il y a un mois, je suis retourné à Prenzlauer Berg.  A peine étonné, j‘ai constaté que ce que j‘avais lu et entendu dire partout était vrai. Prenzlauer Berg est devenu un sorte de Disney Land pour gauchistes friqués. Quelque part, cela a du charme. On y trouve des cafés branchés et cradingues. Des épiceries alternatives où on ne vend que de boissons en bouteilles de verre, car le verre est noble, écologique et recyclable. Quand tu entres dans ces boutiques, on te tutois comme si tu faisais partie d‘un club. Et toi, stupidement, tu as l‘air d‘un con en faisant remarquer que, l‘un dans l‘autre, le verre est peut-être un piège à cons puisque qu‘il pèse quatre fois plus lourd que le plastique. Et donc, à transporter, il polue plus que le plastique - cette matière perverse qui est très légère. Quant tu dis ça, on te regarde comme si tu étais un martien capitaliste.
Mais pas grave. Prenzlauer Berg est tellement cool. On peut y trouver, côte à côte, une de ces boîtes à pédés que je fréquente et un magazin pour future parturiante de gauche. Cela ne choque pas, ici. Tout est possible. Il y a même un café alternatif qui fait fleuriste en même temps. On y sert des bières issues de l‘agriculture consciente :  totalement insipides, pour la bonne cause. Mais le bon aspect des choses est que sur vingt mètres le trottoir dégueule de plantes. Une vraie flaure en pleine ville, presque magique. Et c‘est là que j‘ai failli pleurer, un après-midi de canicule en plein mois de juillet.  Trente-huit degrés à l‘ombre: le garçon qui tenait le bar était occupé à arroser les plantes : avec un jet très discret qui dispersait une douce une douce brise fraîche. Si j‘ai été à deux doigts de pleurer, c‘est parce que j‘ai vu deux connasses à bicyclette, mal habillées et qui devaient donc être gauchistes. De l‘eau, tout le monde en voulait ce jour-là. De l‘eau pour respirer, se sentir mieux. Elles ? Elles n‘étaient pas fraiîchement permanentées. Elles n‘avait pas pas passé une heure chez l‘esthéticienne. Leurs aisselles n‘étaient pas non plus rasées. On pouvait donc dire qu‘elles ne couraient aucun danger. Les pauvres sont toutefois descendues de leurs vélos. Immobiles commes des dromadaires, stupidement, elles ont attendu. Attendu que le garçon dirige leur tuyau ailleurs que vers elles - ce qu‘il a fait. Et ce faisant, tandis qu‘il croisait mon regard, il n‘a pu réprimer un soupir de sourde incompréhension. „Les  pauvres filles”, a-t-il commenté. A quoi j‘ai ajouté , par tente-huit degrés : „C‘est pour cela que nous sommes tous pédés.”


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