Trois grands moments ce dernier mardi, septième jour du Festival de Locarno. Avec un hommage à Alain Tanner, la projection du dernier film d’Eran Riklis, Le directeur des ressources humaines, et le chef-d’œuvre de Lubitsch : Trouble in Paradise.
Au huitième jour de la 63e édition du festival, on peut déjà dire que celle-ci comptera parmi les plus belles de ces dernières années, avec une rétrospective somptueuse, une foison de découvertes et des nouveaux films en compétition d’un niveau réjouissant. LE film que le public a déjà plébiscité, pour ses grandes qualités de cœur et d’esprit, mais aussi pour sa forme très maîtrisée, est La petite chambre de Stéphanie Chuat et Véronique Reymond, avec deux acteurs principaux (Florence Loiret Caille et Michel Bouquet) réellement bouleversants, mais il faut revenir aussi sur la soirée de mardi, marquée par la projection du nouveau film du réalisateur israélien Eran Riklis dont on se rappelle Les citronniers, et qui se déploie ici dans les grandes largeurs d’une tragi-comédie de haut vol.
En ouverture de soirée, Olivier Père et Serge Toubiana, directeur de la Cinémathèque française, ont conjugué les superlatifs pour rendre hommage à Alain Tanner, gratifié d’un léopard d’honneur pour l’ensemble de son œuvre, et pour lequel Jacob Berger, fils spirituel et ami, a composé un court métrage en forme de lettre de reconnaissance touchante et belle à ce maître incontesté du cinéma suisse, dont plusieurs des films les plus marquants (Dans la ville blanche, Jonas, Les années Lumière et Paul s’en va) étaient à (re)voir à Locarno.
Un jour que le poète algérien Kateb Yacine demandait, à Bertolt Brecht, comment parler de la tragédie de son pays, le dramaturge lui répondit : écris une comédie. Or, après Les citronniers, film d’impact politique évident sous ses grandes qualités humaines, Eran Riklis s’est lancé, avec Le directeur des ressources humaines, dans une comédie plus endiablée, voire folle, mais qui dégage finalement une non moins vive émotion. Tiré du mémorable roman éponyme de l’auteur israélien Avraham B. Yehoshua, le film suit les tribulations épiques du directeur des RH d’une boulangerie industrielle de Jérusalem dont une employée a été tuée dans un attentat-suicide et qui est accusée d’inhumanité par un journaliste à sensation. Pour sauver la face, la directrice de la firme boulangère ordonne au pauvre cadre (campé avec maestria par Mark Ivanir) de ramener le cercueil de la jeune femme aux siens, au fin fond de l’Europe ex-communiste (le tournage s’est fait en Roumanie) où, accompagné du journaliste crampon, il retrouvera le fils paumé de la défunte dans des circonstances illustrant superbement la déglingue des pays traversés avec le cercueil, finalement arrimé à une voiture blindée…
Il y a trois ans de ça, la Piazza Grande a été marquée par la projection de La vie des autres, d’abord inaperçue de la critique et qui a fait la carrière qu’on sait, jusqu’aux Oscars. Or, la projection du dernier film d’Eran Riklis m’a fait la même impression, voire plus forte…
Quant à Trouble in Paradise de Lubitsch, projeté en toute fin de soirée, qu’en dire sinon pour rappeler que le génial réalisateur le considérait comme un sommet de son art. Que celui-ci célèbre malicieusement les méfaits « artistes » d’une kleptomane ravissante entichée d’un escroc non moins séduisant ne laisse évidemment de réjouir la filoute ou le filou qui sommeille d’un œil en chacun de nous, quitte à attenter au passage à la propriété de telle richissime créature. Le cynisme de la belle paire, gracieuse à l’extrême, ne cesse d’électriser l’action de ce film à la mise en scène prodigieusement sophistiquée, inventive, toute de légèreté et comme nimbée, tel un cristal vaporeux, par la lumière des chairs et des étoffes, projection kaléidoscopique dont chaque plan porte la fameuse Lubitsch Touch…