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suture

Publié le 12 août 2010 par Cecileportier

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Vu : une japonaise élancée, jupe courte, juchée sur des talons étroits et pointus. Elle était dans cette rue, comme en arrêt. Elle n'était pas perdue, ni désespérée. Elle n'attendait pas, non plus. Elle était seulement retenue. Regard au sol, prenant appui sur une aiguille puis sur l'autre. L'air d'un échassier, élégante pareil, guettant sa proie avec plus de précaution que d'avidité. 

De plus près, vu que ce qui la retenait était au sol, une jonction de bitume entre deux dalles urbaines, une mince bande de goudron mou que la chaleur avait dilaté. Dans cette suture urbaine, la cruelle s'essayait, avec méthode, à laisser la marque de ses talons. Mais c'est une pâte très oublieuse. Je le sais : moi aussi, passant là les jours de chaleur, je tente toujours d'y écrire quelque chose (échec, mais il est vrai que j'ai des talons plats). Ou alors, chercher la cause de son insistance dans le plaisir pris. Sentir le sol qui légèrement s'enfonce, comme dans le ventre d'un amant un peu trop nourri. Moi aussi je pratique ces attouchements furtifs avec ma ville, moi aussi je connais le délice du sol devenu cette matière floue, érogène. Caresse faite, misères faites à cette lèvre noire : chercher à la marquer, sentir qu'elle nous accueille. Sont rares, les endroits comme ça, dans cette ville toute dure et virile, carrée grise bétonnée.

Cette fille arrêtée, piquée plantée : une belle figure de style aussi, de ce que pour moi même je cherche, savoir être aigu, se ficher dans la matière, pour pouvoir mieux fleurir par le haut. Une forme de concentration extrême, mais évasive, au sens où elle prépare une évasion possible.

Et si cette fille demeurait là, sans doute c'est aussi parce que les espaces de transition nous retiennent. Quand il faut quitter, partir, aller, on est pris, parfois, par cette mollesse. Août est cette suture entre deux espaces sûrs. Moment d'année sans cesse recommencé, projection des rentrées. Pour moi, bientôt, de nouvelles choses à faire, à inventer - j'en parlerai ici. En attendant, on passe d'une jambe sur l'autre sans trouver le moyen d'avancer vraiment. Et puis pour tous : notre présent incertain, on s'y vautrerait bien, pour ne pas voir que notre monde s'écroule.


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