La liberté pour le journaliste Fahem Boukadous

Publié le 16 août 2010 par Khanouf

Fahem Boukadous le Panda 15 juillet - 15 août

Tout un mois long. Tout un mois loin, très loin de chez toi. Longtemps. Tout un mois en prison. Trente jours sans Afef, ta little big woman. Trente jours loin des petites ruelles poussiéreuses d'Erdayef. Sans la poussière blanche sale du phosphate qui te cause peut-être ton asthme. Mal. Très mal.

Trente jours en prison pour un homme né libre. Comment tu les passes ? Est-ce que tu les comptes comme nous, les captifs du dehors ? Est-ce qu'Afef te prépare tes bons petits plats pour les partager avec tes codétenus tous pauvres ? La douche c'est mercredi ou samedi ? Qui lave ton linge propre ? Combien dure la visite ? Juste pour dire « ça va » pour rassurer Afef. Pour qu'elle tienne bon et flan...Au cachot. Finis les salamalecs.

Comment ça fonctionne pour toi en prison ? Tu es un gibier rare. Les matons te bichonnent sans cesse. Je suis sûr qu'après un mois, ils ont pondu un quintal de rapports sur toi. Sur ton moral, sur ton comportement en captivité ! Normal. Tu es le premier gorille né dans un zoo, un poisson sur terre et un oiseau sans ponte. Un tigre blanc.

C'est quoi d'être tout le temps sous contrôle ? Mais peuvent-ils contrôler ce qu'il y a sous ta caboche ? Peuvent-ils acheter chez l'épicier du coin tes pensées, ta volonté? Tu es fils de mineur. Tu as tes propres galeries souterraines. La terre t'offre ses propres entrailles. Tu n'as que faire de la surface. Plonge alors pour échapper à la superficialité des autres. Ces autres qui ne comprennent pas ton langage. Un langage d'E.T.

Je sais que dans ta tête il y a toujours un arc en ciel, que le mariage du loup s'est consommé et que la rencontre de troisième type a lieu.

Dans ta tête, il y a ce leitmotiv : maison...maison...Pendant ce mois loin de chez nous, près de chez vous, la terre entière a parlé de toi. L'Etat français, l'Etat américain, RSF, CPJ, HRW, AI, FIDH, CDHLT, FTCR, LTDH, CNLT, IFEX, Pen Club, Al Jazira, FR 24, TV5, The Economist, Le Nouvel Observateur, le Monde, Libération, JDD, El Watan, Tel Quel, Al Mawquif, Tunizine, Kalima, Takriz, Mouatinoun... jusqu'à Tunis 7. Qui dit mieux ? Bon boulot, mon gars !

Il y a surtout ton infatigable Afef qui ne se lasse pas d'ameuter la planète entière. Mention spéciale pour Mohieddine Cherbib, Tunisnews, le site d'El Badil qui font le relais.

Ton incarcération, c'est du pain béni. Une juste cause gagnante. "Un bon client" diront de toi les ONG. Qui aurait cru qu'on peut capter l'attention des média en ces mois-festivals. Tu as réussi là où toutes les organisations confondues ont failli : pousser l'Amérique à blâmer Ben Ali. Depuis tu es devenu le Tunisien le plus googolisé du pays. C'en est fini de ta petite stature de journaliste local. Ici et maintenant tu traduis à toi tout seul la tragédie tunisienne. Tu fais peur. Tant que tu étais un pygmée, tout le monde te trouvait beau et gentil. Maintenant que tu as poussé comme un arbre géant, tu dois gérer les petites convoitises. (Pourquoi lui et pas moi ? Qu'est-ce qu'il a fait de plus qu'on a fait déjà). Jalousie et autres mesquineries. Mesquin est un mot arabe. Tu les connais mieux que moi les Nabaras de quat' sous.

Ben ! C'est comme ça. Il ne suffit pas de trimer, de labourer le champ. Il faut savoir être au bon moment et au bon endroit pour rafler la mise. Il faut aussi pour « crever l'écran » avoir de la chance de son côté. La chance t'a élu. Bienheureux ceux qui sont nés sous une bonne étoile. Ceux que la chance a oublié resteront à jamais dans l'ombre. Désolé les Salieri ! Sur le rocher de l'éternité, il n'y a de place que pour Mozart. Les historiens de la résistance diront qu'il y a un « avant » et un « après ». To be or not to be.

Reste cette sensation d'impuissance qui nous gangrène. Qu'est-ce qu'on peut faire de plus pour faire plier Ben Ali ? Danser la danse du ventre peut-être ? Mais tu sais qu'on ne sait que danser le Fazzani Mertah. Mais pour toi on va s'initier à toutes les danses du monde. Tango frangin.

Un texte du journaliste et dissident tunisien Taoufik Ben Brik paru ici :

http://www.e-joussour.net/fr/node/5448