C'est drôle, après cet évènement ce matin je me disais que j'allais faire un bon gros monologue sur ce truc idiot qui s'est passé ce matin, sur ce truc qui m'a arraché le coeur, sur la cruauté des humains, sur notre manie de dévaster la vie parce qu'à nos yeux elle ne vaut rien lorsqu'elle n'est pas humaine (...et encore...). Ben en fait je ne sais pas comment commencer. Alors je vais simplement vous raconter.
Ce matin il y avait une petite souris au labo. Ne me demandez pas ce qu'elle faisait là-bas, il n'y a absolument pas de nourriture au labo et à mon avis elle ne se nourrit pas de produits chimiques. En réalité c'est la seconde: il y en avait eu une autre il y a quelques mois et la direction s'était vite employée à la faire disparaître, ce qui somme toute, me semble assez normal, surtout quand on tient un labo d'analyses biomédicales, il est hors de propos qu'une souris se promène où elle veut. Le problème n'est pas de s'être débarrassé de la souris mais comment on s'est débarrassé d'elle.
Demandez-moi comment, allez-y.
Elle est morte collée.
Ça vous fait rire? Moi pas. Je n'ai absolument pas eu envie de rire quand j'ai vu cette petite bête tellement mignonne inerte, morte d'épuisement. Bien oui parce que la direction n'a rien trouvé de mieux que ceci: poser une petite plaque par terre enduite de colle forte. La colle ne sèche pas, depuis des semaines qu'elle est là, la colle est toujours active. Et croyez-moi elle est puissante: j'avais eu le malheur de faire tomber mon livre dessus et on a du s'y mettre a deux pour le décoller ma collègue et moi. Irrécupérable, la couverture du livre.
Bref, un beau matin, on a trouvé la première petite souris morte sur la plaque. Ça m'avait bien fichu le cafard, j'ai un vrai cœur d'artichaut, je suis ultra sensible à la douleur. Je ne supporte même pas d'entendre deux personnes s'engueuler dans la rue. Aors voir cette pauvre bête morte ainsi, c'était affreux Surtout quand j'ai commencé à m'imaginer ses souffrances.
Ce matin je l'ai réellement eue sous les yeux cette souffrance. En allant boire un peu d'eau en salle de repos, j'ai entendu couiner avec insistance. Bizarre... j'ai tout de suite pensé à la plaque et je me suis baissée... Horreur! Une pauvre petite souris brune, toute affollée, toute collée a plat sur la plaque, en train d'essayer par tous les moyens de s'en sortir. Oui mais le moindre mouvement la collait davantage. C'était affreux... la pauvre bête faisait des efforts monstres, ses petite pattes tordues dans tous les sens impossibles à déplacer, ses poils pris dans l'enduit, son museau ramassé sur le côté, complètement englué, ses pauvres petits yeux noirs affolés...! J'ai les larmes aux yeux en vous reparlant de ça...
Certains d'entre vous vont bien rire de moi. Vous allez me prendre pour une véritable nounoune.
Ok. Eh bien on va faire un petit exercice.
Mettez-vous en situation: que se passe-t-il lorsque vous vous collez deux doigts avec de la super glue et que vous essayez de les séparer hein? Eh bien non, vous ne les séparez pas! Oui parce qu'on est pas stupides, on sait que la colle est si forte qu'on risque de s'arracher la peau des doigts en tirant pour les décoller. Alors on prend de l'eau ou un autre produit, mais jamais jamais on ne tire pour décoller!! Vous vous êtes déjà amusés à vous arracher la peau? Non sans doute, je n'espère pas pour vous. Si vous êtes assez malade pour le faire, essayez, vous verrez ce que ça fait. Mais pas en coupant et en arrachant hein. Non. Vous prenez la peau et vous tirez jusqu'à temps qu'elle s'arrache toute seule.
Eh bien c'est ce qu'a vécu ma pauvre souris. Elle avait tiré si longtemps et si fort qu'elle s'en était arraché la peau et en saignait. Mais je suis un coeur d'artichaut, hein, c'est rien de s'arracher la peau a en saigner. On m'avait faite passer pour une véritable idiote la dernière fois quand j'avais eu de la peine pour la première souris.
Je ne peux m'empêcher de me mettre a la place de cette pauvre bête qui a lutté des heures durant dans le noir, seule, en criant de tous ses petits poumons, prise dans un piège dont elle ne peut saisir ni la conception ni le sens, où chaque effort l'amène à se faire prendre davantage, sans pouvoir y comprendre quoi que ce soit. Comme dans ces rêves où l'on tente de bouger et que rien ne répond, ni les membres, ni la tête et où on tente désespérément d'appeler à l'aide sans qu'aucun son ne sorte de la gorge. On se sent happé par une sensation indéfinissable, comme enveloppé dans quelque chose qui empêche tout mouvement.
La différence c'est qu'on finit par se réveiller... avec cette drôle de sensation oppressante... celle qu'on était en train de mourir.
Toute la matinée, cette petite bête m'a trotté dans la tête. Je ne peux m'empêcher de penser à tous ces animaux (devenus) nuisibles et contre lesquels on utilise toutes sortes de produits et de pièges. Je comprends eu égard à la santé, la sécurité, la propreté etc que l'on doive se débarrasser de ces bêtes. Mais pourquoi le fait-on avec une telle cruauté? N'existe-t-il donc pas en l'an 2010 des produits indolores pour ces pauvres bêtes qui ne font pas davantage que nous - survivre?
Les animaux envahissent bien souvent notre "territoire" et nous devons nous en débarrasser. Mais bien souvent parce que nous sommes nous-mêmes responsables de gros déséquilibres qui les amènent à se déplacer. Ou bien nous faisons des choses qui les attirent. Parfois même nous les chassons pour mieux nous installer. Alors pourquoi s'étonner de les voir revenir et se servir de nous pour survivre?
En gros nous créons les pronlèmes et nous nous en donnons les solutions. Mais c'est toujours "le nuisible" qui paie... Quand changerons-nous?
Sinon pour la petite souris, je n'ai pu la laisser ainsi. J'ai tout de suite été mettre des gants et avec un mouchoir humide j'ai tenté de la décoller. Je sentais son petit corps chaud bouger entre mes doigts, cette petite vie qui avait si peur de moi et qui essayait de griffer et de mordre alors que je tentais de la sauver... j'avais si peur de la blesser davantage!
Mais j'ai réussi... elle avait encore plein de colle dessus et de la plaque c'est au mouchoir qu'elle est restée collée. Mais j'ai été dehors et j'ai versé un grand verre d'eau sur cette pauvre bête qui s'est libérée de ses entraves et qui a filé sans demander son reste. La colle prendra la poussière et finira par ne plus lui causer de tourment. Blessée mais en vie... suffisamment pour guérir, peut être. J'espère.
C'est idiot... c'est juste une souris. Je suis trop sensible.
Possible.
En attendant je ne vois pas pourquoi elle aurait moins le droit de vivre qu'un chat ou un oiseau.
Ou moi.
Et encore moins pourquoi elle aurait celui de mourir dans de si atroces souffrances.
Justifiez-moi ça si vous le pouvez.