Cinquième épisode du mini-roman chick lit écrit par bibi et paru dans le Summer Flair 2009 (un an déjà, que le Tampax vite hein ma bonne Dame). Publié avec l’aimable autorisation de l’équipe de Flair, afin que vous, mes lectrices de pas la Gelbique, puissiez enfin en profiter… Keskon dit ? Merci Flair. A suivre durant six semaines sur ce blog… Bonne lecture.
L’heure du retour sur le bateau approche et Marc, à qui j’ai raconté ma mésaventure avec Fredo, a perdu tout espoir de péché de chair en ma compagnie. Transformé en mouton, il est aux petits soins pour moi, durant le retour vers le bateau. Lors du départ ce matin, je n’avais pas réalisé à quel point le chemin était pentu. Redescendre vers la plage à dos d’âne me semble impossible, mais je n’ai pas le choix, si je ne veux pas passer le reste de mes jours sur Santorin. Mon âne, téméraire, se lance dans un semblant de cavalcade, tandis que je m’agrippe comme je peux aux rennes afin de le faire ralentir, en vain. Cette sale bestiole est aussi têtue … qu’une mule. Dans un élan de désespoir, je lui plante mes talons dans les flancs, espérant lui faire comprendre par la force qu’il a intérêt à m’obéir. Ce qu’il fait illico, stoppant net sa course vers la plage et me projetant vers l’avant dans un vol plané mémorable. J’atterris lourdement sur le sol, dans un geste d’une élégance rare, sous le regard de tous les célibataires, toujours juchés sur leur monture, ainsi que de quelques touristes hilares.
Ce n’est qu’une fois les quatre fers en l’air, tenant ma cheville douloureuse et me lamentant auprès de Marc sur ce foutu destin qui m’en veut vraiment aujourd’hui (faut dire aussi que quand j’ai mal, je me transforme en mur des lamentations), que je repère Renaud, adossé à un muret, carnet de notes dans une main, appareil photo dans l’autre, qui me regarde de loin. Je rêve où il a l’air plus inquiet qu’amusé de mes déboires « ânesques » ?
Je n’ai pas trop le temps de m’interroger, puisqu’un infirmier arrive à ma rescousse, pour m’escorter vers le bateau, où le verdict du médecin de bord est sans appel : « une petite entorse ma bonne Dame. Quelques calmants. Un tube d’anti-inflammatoires. Du repos, du repos, du repos. Et demain, ce sera presque oublié. ».
Droguée par les calmants, j’échappe à nouveau, à regret cette fois, au repas du soir ainsi qu’à la séance de cinéma. J’ai faim ! Et j’avais bien envie de voir « Ce que pensent les hommes », avec le si brun si ténébreux Ben Affleck. Vie cruelle. Je me sens seule. Et j’ai mal à la cheville, qui a doublé de volume. Et j’en ai marre. Et puis je n’ai plus revu Renaud depuis la plage. Journaliste de malheur, où es-tu ?
Mardi
Aujourd’hui est un grand jour : j’ai décidé de profiter de mon entorse pour échapper au troupeau de célibataires dont je fais, bien malgré moi, partie. Une fois certaine qu’ils sont tous partis sur Mykonos en compagnie de Lauranne, j’abandonne mon expression « chuis paaaaaaaaas bieeeeeeeeeeeeeeeeen, ai si maaaaaaaaaaaaaaaal, veux mouriiiiiiiiiiiiiiiiir », je fonce dans ma cabine enfiler ce maillot noir qui me donne l’allure d’un top model et je me précipite au bord de la piscine, si tant est qu’il est possible de se précipiter en boitillant, pour y squatter un transat. Au programme : manger, dormir, lire, manger, lire, dormir, lire, dormir, manger… Sans devoir écouter Marc me parler de lui, sans devoir subir les assauts éhontés de Fredo. Seule, entièrement seule.
C’était sans compter sur Renaud qui, étrangement, fait immédiatement son apparition. A croire qu’il m’a greffé en douce un GPS dans le fessier ! Mais qu’est-ce que je suis contente de le voir apparaître. Qu’est-ce qu’il est craquant, torse nu, avec ses trois poils perdus dans son léger bronzage. Qu’est-ce que son sourire, ses yeux rieurs et sa bouche gourmande provoquent en moi des réactions que la morale chrétienne réprouve. Bon. Ressaisis-toi, Chloé, n’oublie pas qu’à chaque rencontre avec cet homme, c’est une nouvelle prise de tête qui s’annonce.
Etonnamment pourtant, Renaud semble être dans un bon jour.
Il me tend un cocktail, s’installe à mes côtés et prend des nouvelles de ma cheville. Attendrissant, non ? Nous nous lançons ensuite dans une discussion animée sur les croisières et son métier de journaliste, sur notre amour partagé pour notre Belgique, sur ma passion immodérée pour les macarons, sur son job dont il rêvait depuis l’enfance, sur mon job d’illustratrice, sur mon père qui a mis trop tôt le cap sur le paradis, sur sa mère qui a tout tenté, en vain, pour le caser avec une blonde insipide (pléonasme), sur nos envies d’enfants (un pour moi, deux pour lui, oups…), sur sa passion pour les séries américaines, sur ma passion pour les séries américaines (merci, le destin). Sur tout et n’importe quoi, tout cela sans nous disputer, en personnes civilisées que nous sommes soudainement devenues. Enhardi, il évoque ensuite les croisières pour célibataires et l’opinion qu’il en a : un marché aux bestiaux. Tiens tiens, j’ai déjà entendu cette expression quelque part finalement.
Après un repas dégusté ensemble au bord de la piscine, suivi d’un plongeon digestif, nous lisons, moi un roman, lui un magazine professionnel, comme deux bons amis. Comme si nous nous connaissions depuis toujours. Ou plutôt comme si nous étions un vrai couple. Il s’assoupit même un bref instant et je me surprends à le regarder avec une pointe de tendresse.
Sentant sans doute mon regard posé sur lui, il entrouvre les yeux et me lance :
« Dire qu’il a fallu que tu t’inscrives à une croisière pour célibataires pour sympathiser avec un célibataire qui ne fait même pas partie de ton groupe ! »
Et moi de penser « il me tutoie ! ». Puis de penser encore « il est donc toujours célibataire ! »
Je ris. Il rit. Nous rions.
En silence, nous nous regardons. Nous nous dévorons du regard, pour être honnête.
(Suite mercredi prochain)