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18 août 1922/Naissance d'Alain Robbe-Grillet

Publié le 18 août 2010 par Angèle Paoli
Éphéméride culturelle à rebours

     Le 18 août 1922 naît à Brest, dans le Finistère, Alain Robbe-Grillet.

Alain robbe-grillet 2

  Diplômé de l'Institut national d'agronomie, chargé de mission à l'Institut national des statistiques, Alain Robbe-Grillet fait, en 1953, une entrée détonante en littérature avec Les Gommes. Au centre de cette nouvelle « Querelle des Anciens et des Modernes », qui oppose notamment Alain Robbe-Grillet à François Mauriac, l'auteur des Gommes inaugure l'une des polémiques les plus durables que la littérature ait jamais connue. Dès l'écriture de ce roman ― le premier roman, Un régicide (1949), ayant été refusé par les éditeurs ―, Alain Robbe-Grillet manifeste la volonté de remettre en question de manière radicale les techniques romanesques traditionnelles jusqu'alors en vigueur. Fondé sur le souci quasi exclusif d'objectivité, ce « Nouveau Roman » ouvre un champ inexploré pour l'écriture romanesque.

  Le Voyeur (1955), La Jalousie (1957), Dans le labyrinthe (1959), puis l'écriture cinématographique de L'Année dernière à Marienbad (1961), Instantanés (1962) s'inscrivent dans la même perspective d'une écriture minutieuse, mécanique, vidée de substance psychologique ou analytique. La réflexion d'Alain Robbe-Grillet sur la matière romanesque et cinématographique est rassemblée dans ses essais théoriques. Pour un nouveau roman est publié en 1963.

  En décembre 1984 ― mais il y a eu entre temps Projet pour une révolution à New York (1970), Topologie d'une cité fantôme (1975), Souvenirs du triangle d'or (1978), Djinn (1981) ―, Alain Robbe-Grillet surprend à nouveau la critique avec la publication, toujours aux Éditions de Minuit, d'un texte inattendu, touché par la « tentation humaniste ». Le Miroir qui revient réintroduit, en une subtile autobiographie fictive, « images, noms, phrases, obsessions, objets fétiches » propres à la chambre obscure d'Alain Robbe-Grillet.


EXTRAIT DU MIROIR QUI REVIENT

  J'ai longtemps cru, étant enfant, que je n'aimais pas la mer. Cherchant à la dérive, chaque soir, la douceur d'un jardin sans barrière, où j'allais m'endormir, c'est l'image du Haut-Jura paternel qui se formait le plus souvent dans ma tête : creux de rochers moussu ou garni de saxifrages en coussinets, pente aux courbes atténuées, vallonnement à l'herbe rase, unie comme celle d'un parc semé de gentianes et de soldanelles, où de grandes vaches beiges se déplaçaient avec lenteur dans un silencieux tintement de clochettes, entre des pans de forêt immuables, plantés comme un décor. Ordonnance. Repos. Éternité tranquille. Je pouvais m'abandonner au sommeil.
  L'océan, c'était le tumulte et l'incertitude, le règne des périls sournois où les bêtes molles, visqueuses, se conjuguaient aux lames sourdes. Et c'est lui, précisément, qui emplissait les cauchemars au fond desquels je sombrais dès que j'avais perdu conscience, pour me réveiller bientôt dans des hurlements de terreur qui ne suffisaient pas toujours à faire disparaître ces fantômes aux formes brouillées, que je n'arrivais même pas à décrire. Ma mère me faisait boire des sirops de bromure. Ses yeux inquiets confirmaient en quelque sorte les dangers auxquels je venais d'échapper, provisoirement, et qui m'attendaient à nouveau dans la nuit, tapis derrière mes propres paupières. Hallucinations, délire nocturne, somnambulisme intermittent, j'étais un enfant calme au sommeil agité.
  Nous vivions une partie de l'année dans la demeure de ma famille maternelle, où je suis né, grande maison entourée d'un jardin clos de murs qui nous semblait vaste à l'époque, située aux environs immédiats de Brest dans ce qui était alors la campagne. Des fenêtres de la chambre où je dormais, par-dessus les arbres, on apercevait la rade. Nos marches à pied, qui duraient parfois plusieurs jours, s'étendaient depuis Brignogan, les abers, Saint-Mathieu et l'île d'Ouessant jusqu'à la pointe du Raz, dans le vent, tout au long des grèves froides, à travers les entassements de roches en désordre, ou sur les chemins de douaniers, éboulés et glissants, qui bordent le précipice.
  Le mois d'août, nous le passions dans un petit village de la presqu'île de Quiberon et, là aussi, notre faveur allait à la Côte Sauvage, qui l'était encore vraiment, avant la guerre, et ne rendait que trop vraisemblable sa légende : trous d'eau agités de remous qui communiquent par des failles souterraines avec la mer libre, où l'on se noie les jambes tirées vers le bas par l'enroulement de longues algues lianes, marée montante qui vous cerne au pied d'une paroi verticale et sans prise, vagues de fond que l'on ne voit pas venir en surface, mais dont l'aspiration irrésistible vient nous chercher, pour vous engloutir, jusqu'au sommet de la plus haute falaise. Bien entendu, je n'ai pas appris à faire du canoë ou de la voile, je n'ai même jamais su nager. À la montagne, dès ma douzième année, sans pistes damées ni remontées mécaniques, j'étais parfaitement à l'aise sur mes skis et volontiers téméraire.
  N'importe quel psychanalyste amateur aura reconnu, non sans plaisir, dans cette opposition facile du Jura et de l'Atlantique ― doux vallon au creux garni de mousse, versus trou sans fond où guette la pieuvre ― les deux images traditionnelles et antagonistes du sexe féminin. Je ne voudrais pas qu'il s'imagine l'avoir découvert à mon insu. Signalons-lui, dans le même goût, la ressemblance phonétique de la vague et du vagin ; et aussi l'étymologie du mot cauchemar, dont la racine mare désigne la mer en latin, mais en néerlandais les fantômes nocturnes.

Alain Robbe-Grillet, Le Miroir qui revient, Les éditions de Minuit, 1984, pp. 13-14-15.



■ Voir aussi ▼

→ (sur Terres de femmes) 25 juin 1961/Sortie du film d'Alain Resnais, L'Année dernière à Marienbad (+ un extrait de Pour un nouveau roman d'Alain Robbe-Grillet)



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LES COMMENTAIRES (1)

Par fifik
posté le 13 mai à 00:49
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ou se situe l'influence de la jalousie de robbe grillet dans le cinéroman le cas de l'année dernière à marienbad merci