Montesquieu - 1689-1755-

Publié le 20 août 2010 par Ckankonvaou
La raison contre le despotisme
A l'époque où la monarchie constitutionnelle anglaise fascine les penseurs européens, Charles de Secondat, baron de La Brède et de Montesquieu, né dans une famille noble de magistrats, devient conseiller du parlement de Bordeaux. Un an plus tard, Louis XIV meurt et Montesquieu abandonne sa charge pour se lancer dans la politique.
La monarchie plutôt que la république
Malgré son ton satirique et polémique, son premier ouvrage, Les lettres persanes (1721), est un immense succès. Portrait incisif de la société française au XVIIIème siècle, ces lettres touchent juste qui renversent astucieusement le miroir de l'exotisme et font décrire par des Persans fort civilisés et un brin ironiques les moeurs bizarres des tribus parisiennes : le succès est immédiat et durable. Cette réussite encourage Montesquieu à visiter l'Europe. Il entreprend donc dans les années 1730, après son élection à l'Académie française, un tour des pays européens. Ce voyage marque profondément sa pensée.
Il en revient avec deux ouvrages. Le premier : Considérations sur les causes et les grandeur de la décadence des Romains (1734), raconte l'empire romain, de sa naissance à sa fin, due selon lui à une trop grande extension. Dans la lignée du Discours sur l'histoire universelle de Bossuet (1681), cette oeuvre est une sorte de prélude à ce qu'il exprimera dans son oeuvre la plus célèbre, De l'esprit des lois (1748). Il y propose des principes politiques et sociaux qu'il a pu observer dans les autres pays, utiles à ses yeux pour assurer la pérennité d'un gouvernement modéré. Trop critique pour la société de son temps, l'ouvrage est interdit par l'Église mais vaut à son auteur d'être reconnu par les meilleurs esprits d'alors.
De l'esprit des lois influença les philosophes de son temps, mai aussi des monarques comme Catherine II, qui s'en inspira en Pologne. Montesquieu peut être considéré comme l'un des plus grands penseurs du XVIIIème siècle. Il participe à l'Encyclopédie et se rapproche par ses idées philosophiques et politiques des philosophes des Lumières. Mais il s'en éloigne par sa bonne intégration sociale et économique dans la société de son temps. Montesquieu ne prônait pas la révolution mais avertissait des dangers du despotisme. Ses écrits recherchent les meilleurs moyens d'accéder à la liberté politique dans la monarchie française.
En homme du passé, Montesquieu n'a pas su prévoir la révolution industrielle et s'est laissé imprégner par les préjugés de son temps, que sa théorie des climats laisse entrevoir. Sa position sur l'esclavage a ainsi toujours été perçue comme ambiguë car, s'il tourne en dérision dans De l'esprit des lois les arguments des esclavagistes, il donne dans le même ouvrage des conseils en vue de rendre l'esclavage plus doux et plus acceptable. Ce faisant, il contribue à le justifier.
Un inspirateur de la pensée publique
Les idées de Montesquieu ont été reprises par d'autres auteurs. Jean-Jacques Rousseau et Alexis de Tocqueville, mais aussi les révolutionnaires s'appuieront sur ses ouvrages. La Constitution de 1791 se fondera sur sa séparation des pouvoirs et, encore aujourd'hui, il peut être considéré comme l'un des penseurs, avec John Locke, de l'organisation politique et sociale sur laquelle nos idées modernes s'appuient. Il sera aussi reconnu par Emile Durkheim comme l'un des prédécesseurs de la sociologie. Son étude des lois comme faits sociaux, au même titre que la religion, les moeurs ou la politique, lui a permis de poser les prémices de la méthode sociologique. Raymon Aron en reprendra les grandes lignes dans Les Étapes de la pensée sociologiques (1967). En outre, en science politique, il a inspiré un renouvellement des théories classiques sur la démocratie et le parlementarisme, et ses écrits sur les différentes législations, ainsi que sa méthode comparative restent étudiés en droit.
L'apport de Montesquieu aux sciences humaines demeure incontestable.
Solenn Carof In Cinq siècles de pensée française