Magazine Journal intime

Retour à Copenhague

Publié le 21 août 2010 par Alainlecomte

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Une participation à une Ecole d’été annuelle de « logique, langage et informatique » (ESSLLI2010 ) me donne encore une fois l’occasion de passer une semaine d’ambiance presque monacale dans une grande ville européenne. C’est chaque année une autre, mais pourrait-on dire, presque toujours la même, tant nos villes désormais se ressemblent. Mais celle-ci, Copenhague, me rappelle nombre de souvenirs, du temps où j’allais panser mes déboires amoureux et mes déceptions politiques au pays de Hamlet. C’était vers 1968, vous vous en doutez bien, et l’effervescence était ici joyeuse autant, voire plus, qu’au Quartier Latin, et les demoiselles abordables plus aisément pour le jeune timide que j’étais. Les pays nordiques n’avaient pas encore connu leur mutation « populiste ». C’était le règne de la social-démocratie. Le grand romancier danois Klaus Rifbjerg venait de publier ce beau roman au titre si joli : « l’innocence chronique » (« det kroniske uskyld »), une expression qui m’allait bien. Un groupe rock, qui s’appelait « Den forste maj », chantait des chansons « révolutionnaires » pleines d’espoir et de beauté kitsch, où l’on disait par exemple (je vais étaler ma science du danois) :

Borgeskabet laer os det er die eller mie,
men vi sijer nej til borgeskabet moral,
arbeydet begynder ikke med inself
et begynder med hinanden

(avec voie très traînante sur le dernier vers - meeeed hinaaaanden….)
ce qui veut dire à peu près :

la bourgeoisie nous apprend que c’est toi ou moi
mais nous disons « non » à la morale de la bourgeoisie,
travailler ne se fait pas tout seul,
cela se fait tous ensemble
(dans la réciprocité, litt. « les uns avec les autres »).
Ou bien encore (le pire du kitsch cette fois) « l‘est et l’ouest se reflèteront en rouge dans les falaises blanches de l’avenir »…
De fait, cette innocence légère à défaut d’être chronique recevait parfois du plomb dans l’aile : c’est sur la place de l’hôtel de ville (« radhuset plads ») qu’un beau matin d’août 68, je reçus la nouvelle que les chars soviétiques venaient d’entrer dans Prague. (C’était le 20 aout exactement, autrement dit il y a juste 42 ans, jour pour jour..).

Le temps a passé, bien sûr.

Et il ne reste guère de ce temps que le fameux quartier de Christiania (ouvert il est vrai en 1971 seulement). On dira beaucoup sur cette expérience de vie en collectivité. Que l’on y trouve « toutes sortes de marginaux au regard fatigué errant dans les allées boueuses sous le regard des patrouilles de police, le casque en bandoulière » (guide « Le petit futé »), ou bien que « le côté festif « Peace and Love » a cédé la place à une morosité empreinte d’une vague hostilité envers l’extérieur » (ibidem). Pourtant, passé le choc du premier contact avec un lieu étrange qui parfois évoque en effet les pires images de mondes en perdition (baraques abandonnées, septuagénaires squelettiques accrochés à leur joint comme à une mamelle, vieilles édentées courant après leurs cauchemars perdus, filles aux cheveux bleus comme dans les bandes dessinées de Bilal), on découvre des espaces paisibles où des habitants, seulement animés d’une foi alternative, construisent des maisons bancales mais intrigantes, expérimentent des architectures écolos nouvelles, inventent (avant Paris) le principe de la plage en ville, le long du canal, et se livrent à toutes sortes d’activités artistiques. Je ne sais s’il existe beaucoup d’études sur cette expérience de vie, ni comment l’autogestion continue à fonctionner.

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Dans mon dernier billet, sur les philosophes pragmatistes, j’évoquais ce thème qui leur tient tellement à cœur qui consiste dans la définition de la démocratie en tant que forme de vie. Il me semblait que cela n’était possible que dans le cadre d’un espace social homogène (du point de vue des valeurs partagées notamment). Il me semble trouver beaucoup d’ironie dans le fait que c’est justement dans ce genre d’espace en marge (et très rejeté par l’institution, l’establishment, les penseurs officiels) que se trouvent le mieux réunies les conditions d’application d’une telle définition…. Mais bien sûr, cela reste à étudier.


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