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Mais j’ai finalement été très heureux de partager un moment votre vie. Heureux de vous avoir vu vivre. Heureux de ces moments passés ensemble. Même vite. Même mal. Heureux de ces lettres écrites et souvent sans réponses. Je me suis intéressé à vous, et j’ai aimé cette relation qui s’était instaurée entre nous. Vous m’avez fait le cadeau de votre confiance et de votre temps. Il faut accepter la fin des choses. Même si en vous écrivant une dernière fois j’espère sans doute provoquer une réaction, je sais que vous ne vous ferez pas violence. Que ces mots vous agaceront plus qu’ils ne vous toucheront. Tant pis. J’avais envie de vous dire tout cela aujourd’hui, dans une campagne écrasée de chaleur, où tout semble s’être arrêté. Où tout apparaît sous le soleil : la vérité des paysages, celle des êtres et des choses. Les arbres semblent pétrifiés, on ne voit plus d’oiseaux. Derrière le château, l’étang semble figé dans une immobilité contagieuse. Plus loin un train passe que je ne prendrai pas.
Je repense à mon adolescence. Aux trains dans la gare de Bordeaux l’été. À cette odeur de moleskine chauffée par le soleil. L’odeur des gares de mon enfance… J’aimais tellement l’idée du voyage à quinze ans, que je filais parfois à la gare, et montais dans des trains pour imaginer des voyages improbables, j’en redescendais avant qu’ils ne partent. Mais j’avais eu le frisson du voyage. Je rentrais chez moi sans rien avouer de mes escapades. Je me sentais seul alors, mais je pensais que la vie se chargerait de combler cette solitude. J’étais dans ces trains qui ne traversaient rien, plein d’un espoir sans limites en les autres, en la vie. Je voulais ne rien perdre. Je n’aime pas l’idée de vous avoir perdue. Mais il faut accepter.
Ma porte sera toujours ouverte. Je ne peux pas revenir sur mes affections, mes attachements. Ils sont en moi pour la vie. Mais je n’entretiendrai plus ce feu qui s’essouffle. Je vous laisserai faire ce chemin si vous le souhaitez et quand vous le souhaiterez. Nous verrons bien.
Je repense à mes rêves de petit garçon : « Un jour, je prendrai des trains qui partent. »
Il est temps, je crois.
N. »
Voilà… c’était la dernière lettre. J’espère que tu as aimé lire cette série, et écouter la musique que j’ai maladroitement tenté de poser sur les mots de N. Ça n’a jamais été vraiment facile de choisir ces morceaux…
Je voulais que cela soit clair dans mon esprit, et que la musique apparaisse comme une évidence. Je voudrais remercier N. de m’avoir « laissé ses mots », comme ça. J’espère ne pas avoir été trop intrusif, ou ne pas m’être égaré sur de mauvais chemins dans les en-têtes, ou dans les morceaux… Une chose est sûre. J’ai pris beaucoup de plaisir à habiller ces lettres. Elles m’ont fait réfléchir, m’ont posé des questions… Je ne sais pas si le cadre que je leur ai donné était véritablement cohérent, mais j’y ai cru. Et je pense que dans ces cas-là, c’est le principal.
Je t’expliquerai qui est N. un de ces jours.