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24 août 1890/Naissance de Jean Rhys

Publié le 24 août 2010 par Angèle Paoli
Éphéméride culturelle à rebours

  Le 24 août 1890, naissance à Roseau (île de la Dominique, Petites Antilles), d’Ella Gwendolyn Rees Williams, dite Jean Rhys, femme de lettres anglaise. « En vue » dans les années 1920, elle connaît une éclipse importante durant les décennies suivantes, période où elle disparaît totalement du devant de la scène littéraire. Elle a pourtant publié au cours des années 1930 plusieurs romans : Quai des Grands-Augustins (1931), Voyage dans les ténèbres (1934) et Bonjour minuit (1939). Jean Rhys est morte à Exeter (Angleterre) le 14 mai 1979.


Portrait_de_jean_rhys

Image, G.AdC


  Redécouverte en 1958 à l’occasion d’une émission radiophonique de la BBC, Jean Rhys sort de l’oubli avec la publication en 1966 de son roman La Prisonnière des Sargasses. Chez les éditeurs et libraires, les premiers romans refont alors surface. Ils sont à nouveau publiés entre 1967 et 1973. En 1981, deux ans après sa mort, l'adaptation cinématographique de son roman Quartet (titre anglais : Postures, 1928) par James Ivory, est une vraie consécration de son talent. La Correspondance (1931-1966) de Jean Rhys paraît en 1984 (Francis Wyndham and Diana Melly; traduction française, 1987).

  L’œuvre de Jean Rhys est profondément marquée par son histoire personnelle. Ses héroïnes exilées, tourmentées par le deuil impossible de l’enfance, passée dans les îles à jamais perdues, sont un miroir d’elle-même. Miroir fragmenté par les trahisons amoureuses, les ruptures inguérissables qui conduisent à l’alcool et jusqu’aux frontières de la folie. Avec, pour donner toute la mesure à son travail d’écrivain, une écriture qui oscille entre deux extrêmes : une obsession hallucinée et une lucidité exacerbée. Non dénuée d’humour.

EXTRAIT n° 1 :

  « Alors, qu’est-ce que tu as ? dit Ethel. Qu’est-ce qu’il te manque, pour avoir l’air si malheureuse ?
  ― Je ne suis pas malheureuse, dis-je. Je vais très bien, je voudrais simplement boire quelque chose.
  Si c’est tout ce qu’il te manque, dit Ethel…
  Elle alla au placard, en tira une bouteille de gin et deux verres, et les remplit tous les deux. Je ne touchai pas au mien, parce que l’odeur du gin me donnait la nausée, et parce que j’avais l’impression que les globes de mes yeux tenaient dans ma tête une place énorme et roulaient comme des billes. Qui est-ce qui a dit : « O Seigneur, fais-moi voir » ? Moi, je dirais plutôt : « O Seigneur, maintiens-moi dans l’aveuglement. »

Jean Rhys, Voyage dans les ténèbres, Gallimard, Collection Folio, 1978, page 131.

EXTRAIT n° 2 :

  « J’ai été trop malheureuse, je me disais, ça ne peut pas durer, d’être si malheureuse, ça te tuerait. Je serai une personne différente quand je vivrai en Angleterre et des choses différentes m’arriveront…
  L’Angleterre, couleur de rose sur la carte de mon livre de géographie, mais sur la page en face, les mots sont tassés, d’aspect rébarbatif. Articles d’exportation, charbon, fer, laine. Puis, Articles d’importation et Traits caractéristiques des Habitants. Des noms : Essex, Chelsford sur la Chelmer. Les régions vallonnées du Yorkshire et du Lincolnshire. Régions vallonnées ? Est-ce que ça veut dire des collines ? De quelle hauteur ? Moitié moins hautes que les nôtres, ou même pas ? Des feuilles vertes et fraîches durant le bref été frais. L’été. Il y a des champs de blé pareils à des champs de canne à sucre, mais d’une couleur dorée et pas si hauts. Une fois l’été passé, les arbres sont nus, puis l’hiver et la neige. Des plumes blanches qui tombent ? Des petits morceaux de papier qui tombent ? On dit que le givre fait des dessins de fleurs sur les vitres des fenêtres. Il faut que j’en connaisse plus que je n’en connais déjà. Car je connais cette maison où j’aurai froid et me sentirai étrangère, le lit dans lequel je coucherai a des rideaux rouges et j’y ai dormi bien des fois auparavant, il y a longtemps. Combien de temps y a-t-il de cela ? Dans ce lit-là, je rêverai la fin de mon rêve. Mais mon rêve n’a rien à voir avec l’Angleterre et je ne dois pas penser à ça, je dois me souvenir des lustres et de la danse, des cygnes et des roses et de la neige. Et de la neige ! »

Jean Rhys, La Prisonnière des Sargasses, Gallimard, Collection Folio, 1977, pp. 119-120.



■ Voir aussi ▼

→ (sur Litweb) une bio-bibliographie (en anglais) de Jean Rhys
→ (dans la Galerie Visages de femmes de Terres de femmes) le Portrait de Jean Rhys



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