Spéléologie à La Chaux-de-Fonds
Le gouffre du Gros-Crêt (3)
Le nouvel amarrage en place, Sacha me montre comment effectuer un fractionnement, c’est-à-dire comment changer de point d’ancrage tout en restant assuré. Je rencontre ma première difficulté. Je suis trop loin du point et n’arrive pas à m’accrocher. Sacha me répète plusieurs fois:
-Colle ton ventre à la corde! Colle ton ventre!
Après de vains efforts, je commence à m’énerver:
-Je ne peux pas coller mon ventre à la corde! Pour ça il faudrait que j’aie des abdos!
-Mais non tu n’as pas besoin d’abdos! Il suffit d’approcher ton ventre et c’est tout!
Ben voyons! Le paramilitaire de service se promène sur des cordes avec tant de naturel depuis quarante ans, qu’il ne s’aperçoit pas qu’il faut des abdominaux pour en approcher le ventre! Il a intégré ce mouvement de la même manière que j’amène la fourchette de l’assiette à ma bouche sans y penser, sans avoir l’impression de fournir d’effort ou d’utiliser des muscles. MAIS IL NE ME CONVAINCRA PAS SGREUGNEUGNEU! JE SAIS QU’IL FAUT DES ABDOS pour accomplir ce genre de mouvement! Je garde quelques souvenirs de mes lointains cours de danse et là, suspendue dans le vide, je trouve que les exigences du spéléo ressemblent fort aux mouvements de la barre de modern-jazz.
Je finis tout de même par effectuer le fractionnement sans aide. J’entame la descente en essayant de tenir ma corde correctement, main gauche sur le descendeur tandis que la main droite tient la corde SOUS le descendeur, Sacha ayant largement insisté sur le fait que la tenir AU-DESSUS du descendeur est TRÈS DANGEREUX en cas de problème. Avec l’émotion induit par cette première expérience et la paroi qui parfois s’éloigne en me destabilisant, il m’arrive d’oublier le geste juste. Le spéléo est toujours présent pour veiller sur ma sécurité et me rappeler à l’ordre.
La descente dans le gouffre m’éclate. Le descendeur, dur a actionner, meurtri les muscles de la main malgré le gant. J’éprouve tout de même un plaisir infini à voler au-dessus des ténèbres en découvrant, grâce à la lampe posée sur le casque, les fissures et les irrégularités de la paroi brillante d’humidité. Je n’ai pas peur. Je me sens en totale sécurité. Comme si j’entrais à nouveau dans les maternelles entrailles.
En posant les pieds sur les cailloux qui obstruent le fond du puits, je ressens du chagrin. J’aurais voulu continuer à planer dans le vide.
Au sol le puits doit avoir un diamètre de 5 ou 6 mètres. Je me ferai confirmer ou infirmer ces chiffres par Sacha quand je le reverrai et corrigerai cette donnée si besoin est. Son fond n’est guère accueillant.
Nous éteignons les lumières pour écouter, dans une nuit totale, un silence empli de ruissellements. Emouvant.
Sur la même expédition au Gouffre du Gros-Crêt les billets qui précédent celui-ci:
Article ICI
Article 1 ICI
Article 2 ICI
Photographies et commentaires
Bibi dans la fissure. Depuis l’entrée du gouffre, c’est un immeuble de dix étages que je descends à la corde.
Le sol se rapproche. J’hésite entre joie et tristesse.
Je regarde le haut du puits pour évaluer mon premier “exploit” spéléo sur corde.
Contente, je pose fièrement dans la partie la plus basse du gouffre.
Le sol est composé de cailloux et de bois mort tombé de l’extérieur. Entre des pierres et des branches, une souris morte. Je repère aussi un briquet en plastique et une canette de boisson énergisante. Les spéléologues neuchatelois ayant passé des dizaines d’années à nettoyer les gouffres qui servaient autrefois de “déchetteries” cela m’étonerait fort que l’un d’eux ait oublié ces déchets. Je suis prête à parier que ce sont des randonneurs imbéciles qui ont jeté ces objets afin d’évaluer la profondeur du gouffre au son.
La photo INTERDITE
Sacha qui, en ce moment et jusqu’à la fin de la semaine, se trouve quelque part en expédition à la montagne au fond d’un trou “extrême” très loin d’une connexion internet ou d’une antenne quelconque, m’a formellement INTERDIT DE PUBLIER CETTE PHOTO! Les absents ayant toujours tort, je la publie quand même afin de m’en souvenir. Qui a une petite idée du pourquoi de cette interdiction? Vous donnez votre langue au chat? Observez bien. Je tiens la corde AU-DESSUS DU DESCENDEUR, c’est-à-dire de manière totalement inappropriée et parfaitement dangereuse. Voilà pourquoi môssieu perfectionniste, qui craint que je ne donne le mauvais exemple aux spéléos en herbe qui viendraient à passer par ici, m’a interdit de mettre cette image en ligne. Ben je la mets quand même na! Pour passer ses vacances, il fallait qu’il choisisse une plage au soleil avec moi, plutôt qu’une galerie sous terre comme une taupe!