Le mystère du porc halal et autres moments vécus fin décembre

Publié le 23 décembre 2007 par Ali Devine

Cours avec les 4° G.

Youssef
. -Vas-y toi, avec ta grosse tête, on voit même pas le tableau.
Ismaïl. -Ferme ta gueule et va bouffer un burger.
Moi. -Youssef ! Ismaïl ! Taisez-vous !
Ismaïl. -Eh msieu, moi tant qu'y relance, j'relance.
Youssef. -En plus y'a deux bosses sur ta tête, on dirait un chameau.
Moi. -Youssef !
Ismaïl. -T'es gros. Moi je dis que t'es gros. Va maigrir et après on parle.
Moi. -Mais enfin ! Je suis en quatrième ou dans une cour de maternelle, là ?
Ismaïl. -Eh msieu, c'est lui qui engrène, hein, il arrête pas d'engrener.
Youssef. -Une groooosse tête.
Ismaïl. -Eh mais vous avez vu ? Vous avez vu comment y me parle l'obèse, là ? Ferme un peu ta gueule.

Assise au fond de la classe, où je l'ai placée parce qu'elle est l'une des rares élèves en qui j'ai toute confiance, Lily, calme et attentive comme d'habitude, m'observe en souriant.

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Dialogue entendu en salle des profs.

-T'as téléphoné à la mère de Kilian ?
-Ben ouais, c'est toujours la même chose. Elle s'excuse pour tous les problèmes que nous cause son fils, mais elle ne sait pas quoi faire.
-Ah bah c'est sûr, maintenant il a quatorze ans, il est beaucoup trop tard pour avorter.

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Cours avec les 4° G.

Moi. - ...dans toutes les religions, il y a des interdits ; les plus connus concernent l'alimentation. Par exemple, les musulmans n'ont pas le droit de manger de ...
Tous. - Porc.
Quelqu'un. -C'est haram.
Youssef. -Eh msieu, mais c'est pas complètement interdit, hein.
Moi. -Qu'est-ce que tu veux dire, Youssef ?
Youssef. -Ben, le porc halal, on a le droit.
Moi et plusieurs autres. -Du porc halal ?
Youssef. -Ouais, des fois y z'en mettent dans les pizzas. Ça a le même goût que la dinde, même.
Moi. -Est-ce que le porc halal ne serait pas tout simplement de la dinde ?
Youssef, qui ne veut pas perdre la face. -Non, non, pas du tout msieu.

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De la machine à café, la vue plonge par une vaste baie vitrée sur les issues du bâtiment principal. Nous sommes trois ou quatre adultes à observer les élèves qui sortent en masse à la sonnerie de quatre heures et demie. Naturellement, là-bas, au fond, il y en a qui commencent à se battre. L'un d'entre eux, particulièrement agressif, finit par obtenir ce qu'il cherchait apparemment : une meute se constitue contre lui, il prend une balayette d'école, puis, en tentant de se relever, quelques coups mal ajustés. La scène se déroule à environ 70 mètres à vol d'oiseau, mais nous la voyons aussi distinctement que si un spectateur complaisant l'avait chargée sur Youtube. Tout en sirotant notre capuccino, nous échangeons nos impressions.

"Ah la la la, les ados, quand même.
-Les garçons surtout.
-Ah non, les filles aussi.
-C'est vrai, les filles aussi.
-C'est parce qu'ils savent pas échanger autrement. Y savent pas parler, alors y cognent.
-C'est désolant.
-Ouais, c'est pas flatteur pour les profs de français. S'ils faisaient mieux leur boulot, c'est sûr que ces élèves seraient en train de s'envoyer des épigrammes cinglantes !
-Mais vous trouvez vraiment que c'est ça, le problème ? Pour moi, le problème, c'est que ces garçons ne savent pas vraiment se battre. J'ai du mal à comprendre pourquoi, d'ailleurs, parce qu'ils ont tout de même une bête d'expérience. A 14 ans, ils devraient tous être comme Bruce Lee, mais non, y sont tout juste capables de se foutre des petits coups de pieds sournois. Ceux qui ne font pas leur boulot, à mon avis, c'est les profs de sport ! Ils devraient leur apprendre des prises mortelles, des coups à la carotide. Ça ferait de la place dans les classes, tiens.
-Ouais, mais après, ils utiliseraient tout ça contre nous.
-Pas faux."

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Cours avec les 4° G.

Moi. -...et c'est pour ça qu'on peut connaître avec précision le nombre de naissances dans ce village au XVIIe siècle : comme tout le monde était catholique, chaque enfant qui naissait était immédiatement baptisé, et le curé le notait dans son registre.
Youssef. -Eh mais msieu, nous aussi on a le baptême.
Moi. -Qu'est-ce que tu veux dire par ce "nous", Youssef ? Les musulmans ?
Youssef. -Ouais, les musulmans. On se fait baptiser, nous aussi.
Otman. -Mais qu'est-ce que tu racontes ? On se fait pas baptiser, nous, on a la circoncision, mais c'est même pas obligatoire.
Youssef (buté). -Eh mais si.
Moi. -Le baptême, c'est une pratique qui a été lancée par Jésus, pour bien montrer sa différence avec les autres religions. Alors ce serait tout de même un peu étonnant que les musulmans l'ait repris. Toi par exemple, Youssef, tu es baptisé ?
Youssef, avec une petite hésitation. -Oui.
Moi. -Bon, tu es chrétien alors.
Youssef, légèrement indigné. -Dites pas ça, msieu, ça se fait pas.

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A huit heures du matin, je marche dans la cour le nez en l'air, en regardant la beauté de l'aube d'hiver, et je sens que les élèves que je croise me prennent pour un dingue. Lors de la remise des bulletins trimestriels, j'ai vu les parents de dix-neuf de mes vingt-deux élèves. Youssef va partir dans un établissement spécialisé, en Lozère, pour soigner son obésité ; ses sorties aberrantes me manqueront. Méthode pour obtenir dix minutes de silence admiratif dans une classe de quatrième essentiellement constituée de garçons : s'enfoncer accidentellement une punaise sous l'ongle de l'index, perdre une ou deux gouttes de sang, dominer la douleur et continuer le cours comme si de rien n'était. Je n'ai toujours pas réussi à terminer le roman que j'ai commencé il y a maintenant un mois, et qui ne compte pourtant pas plus de 300 pages. "Quoi ? Carla Bruni sort avec Mickey ?!" Mon fils a bien chanté Vive le vent à la fête de son école, mais je n'étais pas là pour l'entendre : je travaillais. Amoncellement de copies sur l'angle inférieur droit de mon bureau. "Quels sont les symboles du pouvoir du pharaon ? -Le cafard." Ah ! qu'est-ce que c'était bien, les vacances à la Plagne, l'année dernière ! L'oubli total ! Je hais Camélia Boubay. Quelle fatigue, quelle fatigue mon Dieu, il faut absolument que je dorme. Je repars au bled, dans le Pas-de-Calais ; je vais boire des Chimay et manger, inch'Allah, des chips au vinaigre. Pourvu que tout se passe bien avec les élèves de sixième, au Louvre, le sept janvier. Où es-tu, ma jeunesse ? Penser un peu au Christ. J'aime bien le froid ensoleillé. Je vais imploser.