Magazine Journal intime

The Feeling of Losing Everything

Publié le 25 août 2010 par Mirabelle

Mon cher Victor,

Longtemps que je ne suis pas venue ici. Et j'avais beau dire, beau faire, pas le temps. Pas l'envie, non plus. J'avais abandonné ce blog il y a longtemps, si longtemps que je me dis parfois que je m'en suis trop éloignée pour pouvoir revenir, malgré toutes mes belles promesses envers toi, Victor. La vérité, c'est que j'ai changé. On ne peut pas prétendre être restée la même pendant deux ans, du moins je n'y crois pas. Je ne suis plus la même. Je ne suis plus cette jeune stagiaire idéaliste, qui suait sang et eau sur ses préparations, oubliant son sommeil, son équilibre. Je ne suis plus cette Titulaire Première Année donnant tout ce qu'elle avait pour être à la hauteur de ses bouts de chou de CE2-CM1, faisant ce qu'elle pouvait pour les aider au mieux dans leur apprentissage. Cette jeune instit', qui se demandait, épuisée, si le rôle n'était pas trop lourd pour ses frêles épaules sans confiance. Non, je ne suis plus tout ça. Et je ne vois pas l'intérêt de te raconter des histoires, Victor..

La Titulaire deuxième année que j'étais a migré dans une ville étiquetée "vieillotte" après sa rupture avec son Mystérieux Inconnu, à environ cinquante kilomètres de chez elle, éprouvant le besoin d'un ailleurs. Là-bas, elle était seule. Ne connaissait personne. Elle a pleuré, beaucoup, pourtant persuadée que cette coupure, ce déchirement, était nécessaire. Ne connaître et n'être connue de personne, c'est là ce qui l'intéressait. Elle a passé un an à travailler, travailler, travailler, pour ses élèves, pour elle, comme une vengeance sur Lui, pour se persuader que si elle avait échoué avec Lui, elle n'échouerait pas dans son métier. C'est ainsi qu'elle l'a vécu.

Au début du mois de juin 2009, elle a été inspectée. Angoissée, à bout de forces, n'ayant qu'une seule envie : que cela se termine. Et cela s'est terminé, en effet. Il lui semble aujourd'hui qu'elle n'a pas su s'expliquer auprès de la Grande Méchante Inspectrice, pas su réagir. Une stagiaire, toujours : c'est ainsi qu'elle s'est perçue. Une phrase acerbe, blessante, l'a marquée, et a suffi à la déstabiliser. Elle y pense encore, à cette phrase. Elle la hante, cette phrase. Au mois d'août, elle a reçu sa note : 11,5. 1 point de moins que toutes ses amies, 1 point de moins que la plupart de ses collègues T2. En dessous de la moyenne, elle qui n'avait jamais été habituée à cela dans sa scolarité. Elle l'a gardée longtemps pour elle, cette note, comme une honte. Pourtant, la Grande Méchante Inspectrice n'était, paraît-il, pas si méchante que ça...

Un an plus tard, elle avoue n'avoir toujours pas digéré cette première inspection. Elle avait choisi de remplacer sur la Formation Continue, en septembre, pour s'en remettre, de cette note, se disant qu'au moins, à raison d'une journée ci, une journée là, elle risquait peu de porter préjudice aux élèves. Dégoûtée. Elle était dégoûtée, songeant aux nuits entières passées sur ses préparations... Sans doute avait-elle travaillé dans le mauvais sens ? Toujours est-il qu'elle ne s'était pas sentie capable d'avoir des élèves à elle, même sur des remplacements longs. Etre partout et nulle part à la fois, tel était devenu son métier, avec tout le manque de motivation que cela incluait.

Elle avait passé une année en demi-teinte, ne s'attachant à aucun enfant, n'étant jamais nulle part. La fin d'année n'était pour elle qu'une journée qui se termine, dans une école presque anonyme. Pas d'émotion, pas de cafard. Rien. Et ce simple constat la rendait triste, elle qui entretenait un souvenir émerveillé de son année de T1.

Nous sommes aujourd'hui le 25 août, la rentrée approche à grands pas, elle a le sentiment de n'être plus vraiment une institutrice. Elle sera toujours remplaçante l'année prochaine, n'étant pas parvenue à obtenir un autre poste.   Et depuis une semaine, une question la taraude, invariablement, sans répit : que choisir, la formation continue comme l'année précédente ou des remplacements longs comme il y a deux ans ? Se sent-elle prête à redevenir la maîtresse d'une classe, à prendre ce risque, sachant le peu de confiance qu'elle entretient en ses capacités ? Doit-elle poursuivre ses remplacements une journée ici une journée là, ne pas s'attacher, ne pas s'investir, se contenter de panser ses blessures, attendant d'être d'attaque pour reprendre une classe, reprendre confiance ?

C'est la première fois. La première fois qu'elle est incapable de choisir, la première fois qu'elle ne sait pas, qu'elle ignore ce qui est le mieux, pour elle comme pour ses élèves potentiels. Et elle a quarante-huit heures pour se décider.
Ce soir, la presque-T4 se sent mal, Victor, et elle se demande si elle a bien fait d'opter pour cette profession.


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