Ces derniers temps j’ai passé ma vie en transit, entre aéroports, gares, wagons 2ème classe et longues insomnies des vols de nuit.
Le boulot, les week-ends en famille et les vicissitudes de la vie m’ont jeté sur les routes. Le plus souvent seule.
J’avais toujours une valise de prête dans un coin, quelque part. Ou alors à moitié défaite, en passe d’être bouclée.
De passage partout, et chez moi nulle part. Ma valise est devenue le seul élément fixe de ma vie de nomade temporaire.
Au milieu de tout ce chantier, entre boulot, machines et correspondances, je me suis réfugiée, comme toujours, dans ce qui m’est le plus familier et le plus rassurant : une bonne pile de livres, histoire de meubler ces heures vides de sens, de m’encrer dans un ici et un maintenant.
Même imaginaire.
Car il n’y a rien de pire que de vivre en passant chaque jour à côté de l’instant, tendu vers un ailleurs qui vous met des œillères.
Parmi tous ces ouvrages, il y en a un qui m’a particulièrement touché. Il s’agit du roman de Frédérique Deghelt, La vie d’une autre.
L’histoire est accrocheuse et m’a immédiatement donné envi de me plonger dans ce livre :
Marie a vingt-cinq ans. Un soir de fête, coup de foudre pour le beau Pablo, nuit d'amour et le lendemain... Elle se réveille à ses côtés, douze ans plus tard, mariée, mère de trois enfants, sans un seul souvenir de ces années écoulées. Par peur qu’on la prenne pour une folle, elle décide de donner le change et part à la découverte de la vie de cette autre elle-même.
Mais en chemin l’histoire, au demeurant un peu abracadabrantesque (comment tout ces gens ne se rendent compte de rien ?!), devient, et c’est tout l’intérêt du livre, le prétexte à un questionnement intérieur, sur la vie qui passe, le couple, les aspirations initiales, les rêves que l’on tait, les concessions que l’on fait. Les marques de la vie, comme les rides sur le visage, inévitables mais pas irrémédiables, selon la manière de les regarder. Le pardon, si difficile à donner. L’amertume, refuge facile et pourtant fatal.
Car finalement : que sont nos rêves devenus ?
Faites l’effort mental et transposez vous dans votre vie 10 ans en arrière. La personne que vous étiez, avec ses envies, remémorez-vous la bien. Et mettez là, ici, maintenant dans votre vie. Que verrait-elle ? Serait-elle étonnée, en bien, en mal ? Serait-elle à l’aise avec les conséquences de cette somme de choix et parfois aussi d’erreurs qui ont forgé ces dix années d’existence ? Aurait-elle des regrets de ne pas avoir le souvenir de toutes ces choses que vous, avez aujourd’hui vécues ? Et finalement, débarrassée de votre passif, n’embrasserait-elle pas votre propre vie d’aujourd’hui différemment de ce que vous le faites ?
Doit-on comprendre d'où on vient pour forcément savoir où on va? Le passé n'est-il pas parfois un sac à dos trop lourd à porter et qui nous empêche d'avancer?
Vous l’aurez compris, ce livre n’a d’intérêt que s’il parle à une partie de vous très intime et très personnelle, et pour moi, proche de la trentaine et en passe de me marier, je dois dire qu’il a trouvé plus d’un écho.
Frédérique Deghelt a une écriture fluide, qui semble couler au même rythme que les pensées du personnage, retranscrivant parfaitement doutes et questionnements, mais également violence des ressentis et des sentiments. On se laisse prendre dans ce flot, curieux de voir où il va mener le personnage. On se pose des questions, à l’unisson de Marie, même si on n’y apporte pas forcément les mêmes réponses.
S’il n’est pas aussi bien écrit, ni structuré qu’un grand prix littéraire, ce livre vient du cœur et parle au cœur. On peut lui reprocher un excès de sentimentalisme - la vision de l’amour flamboyant et romantique décrit par Deghelt étant un peu trop mièvre à mon goût – mais cela n’en amenuise pas l’intérêt.
Un livre à lire et à relire dans quelques temps... comme une piqure de rappel.