SECTION I : UN EXEMPLE DE VIE
1. Une vie de sainteté
Les premiers chrétiens « observent strictement (les) commandements (du Christ), vivant saintement et justement, comme le Seigneur Dieu le leur a ordonné, lui rendant grâces à toute heure pour la nourriture, la boisson ou les autres biens » (1).
« Tel est, ô Roi [l'empereur Adrien], le commandement de la loi des chrétiens, et telle est leur manière de vivre. Comme des hommes qui connaissent Dieu, ils lui présentent des demandes qui sont convenables pour lui d'accorder et pour eux de recevoir. C'est ainsi qu'ils emploient toute leur vie. Et comme ils connaissent l'amour bienfaisant de Dieu pour eux, ils voient que toutes les glorieuses choses qui sont répandues sous nos yeux dans le monde ont été faites pour eux. Ce sont eux, vraiment, qui ont trouvé la vérité qu'ils ont recherchée, et de ce que nous avons examiné, nous avons appris que ce sont les seuls qui se soient approchés de la connaissance de la vérité » (2).
« La tempérance habite parmi (les chrétiens), ils honorent la continence, ils respectent le mariage, ils gardent la chasteté ; l'injustice est proscrite, le péché détruit, la justice pratiquée, la loi accomplie ; on rend à Dieu le culte qui lui est dû et on célèbre ses louanges ; la vérité domine, la grâce conserve, la paix met en sûreté ; la parole sainte conduit, la sagesse enseigne, la véritable vie est connue, et Dieu règne » (3).
2. Le service des autres
« Ils secourent ceux qui les offensent, en faisant en sorte qu'ils deviennent leurs amis ; ils prennent soin de faire du bien à leurs ennemis ; ils sont doux et d'un commerce agréable ; ils s'abstiennent de toute conversation malsaine et de toute impureté ; ils ne méprisent pas la veuve, n'oppressent pas l'orphelin ; et celui qui possède donne sans rechigner à celui qui n'a rien ; s'ils voient un étranger, ils l'accueillent sous leur toit, et se réjouissent de sa présence comme s'il était véritablement leur frère ; c'est pourquoi ils se donnent le nom de frères, non pas selon la chair, mais selon l'esprit ».
« Si l'un de leurs pauvres vient à mourir, chacun, selon ses possibilités, contribue à ses funérailles ; s'ils apprennent que quelqu'un d'eux est emprisonné ou persécuté au nom de leur Messie, alors tous pourvoient avec empressement à ses nécessités, et s'il leur est possible de le libérer, alors ils s'y emploient. Si parmi eux quelqu'un est pauvre, ou dans le besoin, et qu'ils n'ont pas assez de nourriture, alors ils jeûnent deux ou trois jours pour pourvoir au besoin de nourriture du nécessiteux » (4).
3. Citoyens de la terre et du ciel
« Nous n'avons pas ici-bas de cité permanente, mais nous recherchons celle de l'avenir » (Hébreux, 13,14).
« Ils résident chacun dans sa propre patrie, mais comme des étrangers domiciliés. Ils s’acquittent de tous leurs devoirs de citoyens, et supportent toutes les charges comme des étrangers. Toute terre étrangère leur est une patrie, et toute patrie leur est une terre étrangère.
« Ils se marient comme tout le monde, ils ont des enfants, mais ils n’abandonnent pas leurs nouveau-nés. Ils prennent place à une table commune, mais qui n’est pas une table ordinaire. Ils sont dans la chair, mais ils ne vivent pas selon la chair. Ils passent leur vie sur la terre, mais ils sont citoyens du ciel. Ils obéissent aux lois établies, et leur manière de vivre est plus parfaite que les lois. Ils aiment tout le monde, et tout le monde les persécute. On ne les connaît pas, mais on les condamne ; on les tue et c’est ainsi qu’ils trouvent la vie. Ils sont pauvres et font beaucoup de riches. Ils manquent de tout et ils ont tout en abondance. On les méprise et, dans ce mépris, ils trouvent leur gloire. On les calomnie, et ils y trouvent leur justification. On les insulte, et ils bénissent. On les outrage, et ils honorent. Alors qu’ils font le bien, on les punit comme des malfaiteurs. Tandis qu’on les châtie, ils se réjouissent comme s’ils naissaient à la vie » (5).
« Ils ont reçu de Dieu des commandements qu'ils ont gravés dans leurs esprits et qu'ils observent dans l'espoir et l'attente du monde qui doit venir. C'est pourquoi ils ne commettent pas d'adultère ni de fornication, ne portent pas de faux témoignages, ne détournent pas ce qui ne leur appartient pas. Ils honorent leurs pères et leurs mères, et manifestent de la tendresse à leurs proches ; et lorsqu'ils jugent, ils le font avec droiture. Ils n'adorent pas les idoles faites à l'image de l'homme, et tout ce qu'ils ne veulent pas qu'on leur fasse, ils ne le font pas eux-mêmes aux autres ; ils ne mangent pas la nourriture qui est consacrée aux idoles, car ils sont purs. Ils apaisent leurs oppresseurs et en font leurs amis ; ils font du bien à leurs ennemis ; et leurs femmes, ô Roi, sont pures comme des vierges, et leurs filles sont modestes ; et leurs hommes se gardent eux-mêmes de toute union illégitime et de toute impureté, dans l'espoir d'une récompense à venir dans l'autre monde » (6).
4. L'eucharistie
Dans l'un des premiers textes chrétiens, saint Justin explique comment on célèbre l'eucharistie dans les premiers temps.
« Le jour du soleil, comme on l'appelle, tous ceux qui habitent les villes ou les campagnes se réunissent dans un même lieu, et on lit les récits des apôtres ou les écrits des prophètes, selon le temps dont on peut disposer. Quand le lecteur a fini, celui qui préside fait un discours pour exhorter à l'imitation de ces sublimes enseignements. Ensuite nous nous levons tous et nous prions (...) pour nous-mêmes et pour tous les autres, dans l'espoir d'obtenir, avec la connaissance que nous avons de la vérité, la grâce de vivre dans la droiture des oeuvres et dans l'observance des préceptes, et de mériter ainsi le salut éternel.
« Ensuite on apporte à celui qui est le chef des frères du pain, de l'eau et du vin. Il les prend et célèbre la gloire et chante les louanges du Père de l'univers, par le nom du Fils et du Saint-Esprit, et fait une longue action de grâces, pour tous les biens que nous avons reçus de lui (...).
« Quand le chef des frères a fini les prières et l'action de grâces, que tout le peuple y a répondu, ceux que nous appelons diacres distribuent à chacun des assistants le pain, le vin et l'eau eucharistiés, et ils en portent aux absents.
« Nous appelons cet aliment Eucharistie, et personne ne peut y prendre part, s'il ne croit la vérité de notre doctrine, s'il n'a reçu l'ablution pour la rémission de ses péchés et sa régénération, et s'il ne vit selon les enseignements du Christ. Car nous ne prenons pas cet aliment comme un pain ordinaire et une boisson commune. Mais de même que, par la parole de Dieu, Jésus-Christ, notre Sauveur, ayant été fait chair, a pris sang et chair pour notre salut ; de même aussi cet aliment, qui par l'assimilation doit nourrir nos chairs et notre sang, est devenu, par la vertu de l'action de grâces, contenant les paroles de Jésus-Christ lui-même, le propre sang et la propre chair de Jésus incarné : telle est notre foi. Les apôtres, dans leurs écrits, que l'on nomme Evangiles, nous ont appris que Jésus-Christ leur avait recommandé d'en agir de la sorte, lorsque ayant pris du pain, il dit : “Faites ceci en mémoire de moi: ceci est mon corps” ; et semblablement ayant pris le calice, et ayant rendu grâces: “Ceci est mon sang”, ajouta-t-il ; et il le leur distribua à eux seuls (...).
« Après l'assemblée, nous nous entretenons les uns les autres dans le souvenir de ce qui s'y est passé. Si nous avons du bien, nous soulageons les pauvres et nous nous aidons toujours ; et dans toutes nos offrandes, nous louons le Créateur de l'univers par Jésus-Christ son Fils et par le Saint-Esprit » (7).
5. La dimension chrétienne du travail
Les premiers chrétiens gardèrent très présent à l'esprit l'exemple de la vie de travail du Christ lui-même, car « il était considéré comme charpentier, et ce fut comme tel qu'il fabriqua des charrues et des attelages tandis qu'il vivait parmi les hommes, en enseignant de la sorte la nécessité d'une juste vie de travail » (8).
Le message chrétien sur cette structure du travail manifeste que le travail même le moins estimé aquiert une dimension nouvelle dans le Christ (9). La dimension surnaturelle du travail sera comme une incitation divine à dépasser largement l'impact des conditionnements sociaux, mais sans violence ni rébellion. Le travail avait, pour les premiers chrétiens, une valeur de signe distinctif entre le véritable croyant et le faux frère, et constituait aussi une manière délicate de vivre la charité pour n'être à la charge d'aucun frère (10).
Par ailleurs, il ne faut pas oublier que les premiers chrétiens étaient immergés dans un monde où le travail était conçu de manière péjorative. « Comme le travail était ce qui déterminait la vie de l'esclave, s'est imposée la distinction connue entre le travail “servile” et le travail “libre”, en identifiant le premier au travail proprement dit et le second à toute cette gamme d’activités qui, outre la culture, comprend les loisirs et les arts » (11).
(à suivre)
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NOTES(1) Aristide [IIème s.], Apologie (124-125), n° XV, trad. M. Picard, éd. Noblet 1892 ;. Cf. trad. Pouderon et M.-J. Pierre, Ed. du Cerf, Paris, 2003.
(2) Aristide, Op. cit. Il existe trois versions de cet ouvrage, dont l'arménienne et la grecque. Nous suivons ici celle qui a été faite du syriaque par D. M. Kay : http://www.tertullian.org/fathers/aristides_02_trans.htm
(3) Saint Théophile d'Antioche, à Autolyque, trad. de l'abbé M. de Genoude, 1838, n. XV.
(4) Aristide, Op. cit., n° XV. Le premier paragraphe est tiré de la version grecque ; le second de la version syriaque.
(5) Auteur inconnu [IIème s.], A Diognète, trad. H.I. Marrou, in Les Pères apostoliques, Ed. du Cerf, 2001.
(6) Aristide, Op. cit., n° XV, version syriaque.
(7) Saint Justin, Lettre à l'empereur Antonin le pieux [1ère Apologie (155)], nn. 67 et 65. Cf. Apologie pour les chrétiens, trad. Charles Munier, éd. du Cerf, 2006 et, par le même traducteur : Justin martyr : Apologie pour les chrétiens, éd. du Cerf, 2006.
(8) Saint Justin, Dialogue avec Tryphon, c. 88, 8. Cf. P. Bobichon, Justin martyr, Dialogue avec Tryphon, édit. Saint-Paul, Fribourg (Suisse) 2004.
(9) « Que votre service empressé s'adresse au Seigneur et non aux hommes » (Ephésiens, 6,7).
(10) « Nous ne nous sommes fait donner par personne le pain que nous mangions, mais de nuit comme de jour nous étions au travail, dans le labeur et la fatigue, pour n'être à la charge d'aucun de vous » (2 Thessalonissiens, 3,8).
(11) J. Mullor, La Nueva Cristiandad, Madrid 1966, p.215.