Magazine Nouvelles

Touché...Coulé IV

Publié le 27 août 2010 par Dirrtyfrank
Touché...Coulé IV

Je me sentais de plus en plus faible, affecté par la difficulté permanente de trouver de l'oxygène, complètement liquéfié par la mort imminente et surtout hébété par l'étouffement qui allait apparemment précéder la noyade. La situation devenait vraiment invivable. L'eau montait plus vite qu'avant car je n'avais pas réussi à doser aussi bien mon pommeau de douche que mon robinet. Tout ce qui m'entourait prenait l'eau, ça c'était très clair. Je me battais aussi contre les bouteilles de gel douche et de shampooing qui m'assaillaient plus violemment à mesure que mon corps se débattait plus énergiquement pour avoir pied. Une vraie tempête se déchaînait autour de moi et j'en étais le seul responsable. Je m’étais acquitté par la même occasion de mon pantalon et de mes chaussures qui me tiraient vers le bas. Je voyais mes jambes maigrelettes s’ébrouer et gesticuler, un vrai petit moment de bonheur aquatique plutôt bien synchronisé. L'eau n'en finissait pas de monter. C'est alors que, contre toute attente, alors que je me battais contre les éléments, je commençais à réfléchir sérieusement sur ma volonté d'en finir.

Et j'en étais arrivé à une conclusion toute simple. Quand je regardais plus loin que le bout de mon nez qui était encore en surface, il fallait bien admettre que le monde entier prenait l'eau: le système capitaliste déchu avait supprimé toute forme d'espoir pour les ¾ de la planète qui vivaient dans la pauvreté, on envoyait des adolescents se battre au bout du monde pour tuer au nom de la paix, l'apologie du racisme et de la haine devenait aussi médiatique que la dernière pop star à la mode, la télévision n'était qu'un ramassis d'âneries pour contrôler les foules (merde, je crois que j'ai oublié d'éteindre la mienne). Même l’eau faisait défaut dans la plupart des pays du tiers monde, plongeant des familles entières dans la famine…et j'en passe. Je n'étais que le symbole égocentrique d'un monde en dérive. Je n'étais que l'illustration superficielle de ce que le monde était en train de devenir: une noyade inéluctable. On dit souvent qu'on travaille plus efficacement dans l'urgence. Moi, je réfléchissais mieux quand c'était déjà trop tard. J'avais enfin trouvé une sorte de sérénité avec moi-même, j'avais peut-être trouvé la lumière dans mon monde du silence.

C'est à ce moment que mon plafonnier lâcha. L’ampoule éclata purement et simplement. L’une de mes deux sources de lumière qui me gardait accroché à la vie s'était piteusement éteinte, pour je ne sais quelles raisons obscures. Ma lumière ne pouvait plus qu'être intérieure. Dans ce moment douloureux, je ne pensais qu'à maudire mon beau-frère Jean-Paul qui a mis en place le système électrique et qui a bâclé le travail, comme à son habitude. L'obscurité de la pièce m'avait foutu un sacré coup au moral. Au delà de la hauteur de l'eau qui m'obligeait maintenant à nager ou à me cramponner tant bien que mal à une patère mal fixée, mon seul souci était de garder la tête hors de l'eau.

Ce petit événement technique m'avait fait oublier mon horloge biologique. Plus de plic...ploc...plic...ploc. Au moment même où je m'étais résigné à aller jusqu'au bout, je n'entendais plus cette douce musique à laquelle je m'étais finalement habituée. Pourquoi m'avoir volé la mélodie qui ponctuait maintenant chacun de mes faits et gestes. Après quelques minutes de réflexion, je ne pouvais m’empêcher de penser aux douces platitudes et véracités du monde extérieur. Ces enculés ont dû me couper l'eau car voilà presque 2 mois que je n'avais pas payé mes factures. J'étais rattrapé par le monde auquel je voulais échapper. Mille sabords, ils m'ont coupé la flotte, juste au moment où il ne restait que 15 centimètres entre la surface et le plafond. C'est à ce moment que dans mon délire vaseux, j'entendis cette voix diffuse derrière la porte, cette porte qui me séparait du monde que je ne voulais plus voir. En pleine nuit, j’entendais cette voix venue de nulle part. Cette preuve d’une réalité oubliée était accompagnée par des coups de poings énergiques sur le mur friable de mon appartement.

- "M. Dufour. Ouvrez-moi si vous êtes là. Il y a une énorme fuite d'eau qui transperce mon plafond et qui doit sûrement venir de votre salle de bains. J'ai demandé à la Compagnie des Eaux de vous couper l’eau. J'imagine que cela doit être gênant pour vous mais j'ai des sacrés dégâts chez moi et voilà plus d’un mois que je n'arrive pas à vous attraper dans le couloir. Allez, ouvrez, que se passe-t-il ? Je vais appeler la police si vous n'ouvrez pas. Je ne peux plus supporter cette situation."

Et merde, cette conne de voisine du dessous m'avait fait couper l'eau et avait mis en évidence les faiblesses évidentes du bâtiment. J'étais comme un poisson esseulé, dans le noir, en train de suffoquer. Quelqu'un à la porte de mon studio minable voulait me tendre la main avec des mots qui n'avaient pas forcément envie de faire le premier pas: "Compagnie des Eaux", dégâts", "police"... Je décidais de rester muet comme une carpe. Jusqu’à un certain point. Je voulais en finir avec moi-même, pas avec l’immeuble et tous les cons de voisins à l’intérieur. Ma politesse me poussait à aller rassurer cette jeune femme sur la réalité de la situation. Je plongeais donc la tête la première pour trouver une issue. Je tentais de déplacer tout le matériel qui m'avait permis d’étanchéifier les montants de la porte. Mais je n’avais pas bâclé le boulot. C’était vraiment difficile de se frayer une ouverture, surtout sans appui véritable. Je plongeais donc à plusieurs reprises mais, je vous avoue que dans les profondeurs insondables de cette pièce d’un autre temps, il n'était pas facile de se repérer. Une maman canard n’y retrouverai pas ses petits, encore moins les boiteux. Je décidais donc de rétablir un peu de luminosité et je bidouillais la lampe miroir murale qui avait tenu bon dans le bordel ambiant. Quand les gens dans le coma vous disent qu'ils ont vu une lumière blanche venir vers eux, ils ont tout à fait raison. Sauf que moi, il s'agissait bien de la dernière lumière que j’ai pu entrevoir de mon vivant. J'ai eu le malheur et l'imprudence de trifouiller ce meuble de mauvaise qualité. Je me suis tout simplement électrocuté, rapidement et j'ai coulé dans mon bain géant en une seule seconde. Tout ça pour ça. Lorsque je revois de là-haut mon corps lourd, s’enfonçant dans l'eau putride de ma salle de bains, je me dis que la destinée ne voulait vraiment pas me laisser le choix.

Je voulais mourir noyé et je me retrouvais électrocuté. C’est pas possible. Ils se sont vraiment foutu de ma gueule jusqu’au bout. Enfin, au moins, le boulot était fait.


Retour à La Une de Logo Paperblog

Magazines