Spéléologie à La Chaux-de-Fonds
Le gouffre du Gros-Crêt (4)
Après être restés un moment au fond du gouffre à l’apprécier tel une cathédrale, Sacha a estimé qu’il était temps d’entreprendre la montée.
Ayant un souvenir affligeant des rares fois où j’ai tenté de grimper sur une échelle de cordes, inquiète, avant de me lancer dans cette aventure j’avais plusieurs fois demandé à mon spéléo s’il me croyait sérieusement capable de remonter par une corde de spéléo. Sa réponse:
-Mais oui sans problème! Si tu sais monter un escalier ou te relever d’une chaise, tu sais monter par une corde!
Sgreugneugneu! Ben voyons! J’avais un gros doute sur son excès de confiance. Mon scepticisme s’est confirmé. J’AVAIS RAISON! Comme d’habitude quoi!
Merveilleux Sacha, transporté d’amour dans une euphorie sentimentale qui l’oblige à me considérer ravissante, à son goût, donc parfaite! Mais depuis le temps qu’il dort -parfois, souvent- dans mon lit, il aurait dû remarquer que j’ai la musculature d’un loukoum! Or, ne lui en déplaise, un minimum d’abdos s’impose pour rester droite ventre collé sur sa fichue corde sans que les pieds ne se mettent à l’horizontale dans les boucles qui font office d’étriers! Je me suis suée. J’ai pesté. Juré. Me suis acharnée pendant trente minutes pour ne décoller que de 50 centimètres. Pour rappel: il y avait 30 mètres à grimper. Sacha ma demandé si je voulais qu’il me tire. J’ai hurlé:
-Ah non! Hors de question! Je veux sortir du trou par mes propres moyens.
Après encore 20 minutes de vaines tentatives de ma part, moult directives et conseils de Sacha accueillis par des jurons divers -je vous les épargne- et dix centimètres à peine d’ascension ajoutés aux cinquante premiers grimpés -j’avais les pieds qui touchaient encore presque le sol-mon spéléo a lancé:
-Je vais te tirer.
J’ai protesté comme une damnée, que non, que j’y arriverai seule. Que si j’y étais descendue il fallait que je remonte et blabli et blabla et une flopée de blasphème en plus. Autoritaire, il ne m’a pas laissé le choix! Dans d’autres circonstances, je l’aurai scalpé pour m’avoir imposé sa loi. Là j’ai compris que l’heure n’était plus au débat sur la parité, l’égalité ou sur qui porte le pantalon ou la jupette. Fallait sortir du trou avant que la copine restée dehors appelle les secours point barre!
Le spléo a réalisé la montée comme une fleur avec bibi au bout de la corde. Il s’est même permis de dire, alors que nous pesons à 8 kg près le même poids, que mon équipement m’alourdissait et que je me conduisais en charge inerte:
-Tu m’aides bien. Je ne te sens quasiment pas!
Pour ensuite relever, en lisant la corde comme d’autres les marks de café:
-Ah mais en fait tu ne m’as pas du tout aidé! C’est moi qui transportait tout le poids!
Ben oui quoi! J’avais les pieds à l’horizontale qui sortaient des boucles!
Et ensuite d’apprendre:
-Normalement on est jamais à deux sur la même corde en même temps. Ce n’est qu’en situation de secours qu’on fait ça!
Et si je meurs de honte sera-t-il aussi là pour me secourir? Sgreugneugneu!
En revanche, il m’a fallu faire seule le passage du fractionnement, suspendue sans nul part ou m’aggripper …
-Évite de toucher ce madrier où tu risques de tout ébouler!
… avec un vilain sentiment d’angoisse à la vue des cordes, des mousquetons et des fesses de Sacha le tout à dix centimètres de mon nez. J’avais le même sentiment que quand je me trouve dans une chambre en désordre à ranger. Une sensation d’étouffement. De ne pas savoir par ou commencer. J’ai vociféré:
-Détache-moi, enlève moi ce bordel, dégage ton cul que j’y vois clair!
Il a déplacé son postérieur, enlevé le matériel inutile à mon ascension, mais il ne m’a évidement pas détachée malgré mon insistance -totalement loufoque, imprudente et débile, j’en conviens-. Une fois que la place a été nette, j’ai enfin pu respirer, grimper suffisamment pour effectuer le fractionnement afin de me retrouver dans la partie végétalisée du cratère. Je croyais mes difficultés terminées. Sacha aussi. Que nenni. La pluie du matin, et des jours précédents, avait rendu l’entrée du gouffre tellement vaseuse et sa végétation si glissante, que même encordée, en tirant correctement sur la poignée -oui il y a une poignée pour monter, mais j’en parlerai quand je saurai m’en servir- mes pieds ne trouvaient aucune prise ou se caler sans que cela s’effondre sous mon poids. Pendant que je me débattais comme un poisson hors de l’eau, le spéléo sortait du trou sans difficulté aucune. Je suis tout de même parvenue à me hisser 8 mètres. Les deux derniers c’est Sacha qui m’a aidé à les grimper après m’avoir longuement regardé glisser comme une nouille trop cuite dans un évier savonneux.
Épuisée, furieuse, j’ai traversé la barrière presque sur le ventre pour m’écraser sur le sol quasiment la tête la première. Agacée, en colère envers moi-même, je n’en pouvais plus de fatigue et d’irritation. Sacha m’a tendu un berlingot de jus de raisin tandis que je me promettais de ne plus jamais tenter de descendre dans un gouffre.
Ça, c’était il y a neuf jours en sortant du trou. Maintenant je n’ai plus qu’une seule envie. Y retourner. Après effectué un minimum d’entrainement, acquis un peu de technique et remusclé mes abdos.
Depuis ce cuisant échec, je refais de la gym tous les jours.
Sur la même expédition au Gouffre du Gros-Crêt les billets qui précédent celui-ci:
Article ICI
Article 1 ICI
Article 2 ICI
Article 3 ICI
Photographies et commentaires
Une faille du gouffre. On ne s’en aperçoit pas sur la photo, mais elle est très grande.
Une fois en bas, il faut remonter. La corde se perd dans l’obscurité.
Avec acharnement je grimpe seule les derniers mètres. Je crois encore que j’effectuerai sans aide la sortie.
Après de fatiguants essais pour me sortir du gouffre je suis exténuée mais j’y crois encore.
A force de glisser je commence à être au bout du rouleau. Je jette un regard désespéré à Sacha, mais trop fière et honteuse pour m’avouer vaincue, je n’ose pas lui demander de me donner un coup de main. J’adore cette photo. J’y ai exactement la même tête et le même regard que lorsque j’avais…
…quatre ans! Finalement Sacha me voyant à bout d’énergie et de souffle, se décide à tirer sur la corde pour me remonter.
Bibi buvant son jus de fruit très contrariée, extrêmement vexée d’être restée sur un échec . A ce moment précis, j’ai l’impression de n’être qu’une pétasse juste bonne à se limer les ongles -désolée Mëluzynn, je ne souhaite pas t’insulter, mais je suppose que tu vois ce que je veux dire-.
En retournant à la voiture, on aperçoit une féerique brume sortir du sol…
…tandis que dans le ciel la lune s’élève.
C’est beau la surface.
J’en apprécie même les traces de civilisation.