Magazine Journal intime

Reflexions d'un spécialiste sur l'avenir de l'agriculture

Publié le 28 août 2010 par Honorquest

Les solutions que je préconise pour guérir la planète, soit le création pour chaque famille d'un domaine d'environ un hectare, libre de taxes et d'impôts et transmissible dans la famille de génération en génération, sont ici appuyés par un spécialiste qui parvient aux mêmes conclusions mais selon une approche complétement différente.

 

LE MONDE A FAIM  (extrait)

par Philippe Chalmin

Chapitre VIII

L’homme et la terre

 

Philippe Chalmin est professeur d’histoire économique à l’Université Paris-Dauphine. Diplômé de HEC, agrégé d’histoire, docteur ès lettres, il est considéré comme un des meilleurs spécialistes mondiaux des matières premières. Membre du Conseil d’analyse économique auprès du Premier Ministre, il est l’auteur de plus d’une quarantaine d’ouvrages, dont Le Poivre et l’or noir (Bourin Editeur 2007) et Le Monde a faim (Bourin Editeur 2009).   

Il a été conseiller économique du groupe Euler jusqu'en 2003.  De plus, il est conseiller du commerce extérieur de la France (1993), membre du Conseil de prospective européenne et internationale pour l'agriculture et l'alimentation (2003), consultant de la Banque Mondiale, et membre du Conseil d'analyse économique auprès du Premier ministre (2006).

Spécialiste du marché des matières premières, il les considère comme une « malédiction », reprenant l'exemple de la maladie hollandaise[1]. Il coordonne chaque année la publication du rapport Cyclope (Cycles et orientations des produits et des échanges) sur les marchés mondiaux.  Philippe Chalmin est également le fondateur et l'animateur depuis 2000 du Club Ulysse, l'un des principaux clubs d'économistes français.

Chroniqueur, il intervient dans l'émission Y'a pas que le CACsur I-Télé, mais aussi sur France Musique, et signe de nombreuses chroniques dans la presse, au Monde, à La Croix et au Nouvel Economiste.

Il est chevalier de l'ordre de la Légion d'honneur, de l'ordre national du mérite et de l'ordre du mérite agricole. En outre, il a reçu la médaille d'or de l'Académie d'agriculture.

 

 

A Rome, en mai 2008, lors du sommet alimentaire mondial de la FAO, on a réclamé plus d’investissements dans l’agriculture du tiers-monde et, pour faire bonne figure avec la vulgate libérale dominante, plus d’investissements privés. Voilà le type même de la fausse bonne idée, car il faut accepter de considérer l’agriculture de manière différente des autres secteurs d’activité économique.

Toute l’histoire de l’agriculture est celle des relations de l’homme avec la terre, avec « sa » terre. Au fil des siècles le modèle qui s’est imposé comme le plus efficace, le plus rentable en termes de coûts et de productivité, est celui de l’exploitation familiale avec un recours plus ou moins important au salariat.L’un des échecs de Rome, qui précipita quelques siècles plus tard la chute de l’empire romain, fut de n’avoir pu conserver les exploitations de ses paysans-légionnaires et de laisser se développer en Italie et en Sicile la grande propriété latifundiaire. Plus tard, à la fin de XIXe siècle, ce fut la grande différence entre les États-Unis et l’Argentine : d’un côté, des « farmers » cultivant leurs carrés de terrain, de l’autre, la constitution de vastes domaines extensifs. Nous ne reviendrons pas sur l’échec des collectivisations des terres entreprises au XXe siècle, qu’il s’agisse des sovkhozes et kolkhozes soviétiques, des communes populaires chinoises, de toutes les formes de « coopératives » qui se sont développées dans le tiers-monde, de l’Algérie à l’Indonésie au lendemain des indépendances et de l’expropriation des colons.

Mais sauf l’exception des cultures industrielles à forte intensité capitalistique, on peut faire la même constatation pour les grandes exploitations « capitalistes » détenues par des entreprises ou des investisseurs. Au-delà de la faible rentabilité du capital investi (liée au coût du foncier), rares sont les exemples de réussite dans ce que l’on pourrait appeler « l’agrobusiness ».

Au lendemain de la crise des années 1970, le monde connut une importante vague d’investissements agricoles : une partie de l’argent du pétrole et des matières premières y fut consacrée. Les pays du Golfe investirent au Soudan, dont ils voulaient faire le grenier du monde arabe. La Côte d’Ivoire se lança dans un énorme programme de plantations et de complexes sucriers. L’Iran du Shah, qui avait réalisé une véritable réforme agraire, (en confisquant les terres du clergé chiite, ce qui explique en partie son hostilité au régime monarchique), créa de curieuses fermes d’État à capitaux privés. L’idée était partout la même : il fallait aller vite, faire sortir des exploitations de nulle part (quitte à monopoliser les périmètres irrigués), se concentrer sur ce qui était planifiable. Au mieux, on espérait que les communautés paysannes alentour profiteraient d’un effet « tache d’huile ». Trois décennies plus tard, l’échec est à peu près général : les complexes sucriers ivoiriens sont retournés à la nature ; l’Iran est l’un des plus gros importateurs de blé au monde ; le Soudan est en guerre civile (mais cela pour d’autres raisons). L’agrobusiness a montré toutes ses limites. Et pourtant on l’a vu resurgir en 2008 avec des projets financés par la Libye et des pays du Golfe en Afrique subsaharienne. Le plus délirant a été celui de l’entreprise sud-coréenne Daewoo qui prendrait en fermage 1,3 million d’hectares à Madagascar pour produire du maïs et de l’huile de palme destinés au marché coréen. Le tollé qu’a suscité en novembre 2008 l’annonce des négociations entre Daewoo et le gouvernement malgache permet d’espérer que ceci restera sans suite.

Collectives ou capitalistes, les solutions aux problèmes agricoles – que l’on pouvait aisément planifier dans le confort de bureaux climatisés, à Rome (FAO) ou à Washington (Banque Mondiale) – se heurtent au caractère particulier de l’activité agricole : une activité faite d’aléas climatiques et naturels, différentes d’une parcelle à l’autre, et que ne peut vraiment appréhender que celui qui les cultive en direct : l’exploitant, le fermier, le paysan, l’agriculteur, quelque soit le nom que l’on veuille lui donner.

Le système qui a fait ses preuves, qui a permis le développement extraordinaire de l’agriculture occidentale, est bien celui de l’agriculteur individuel, du modèle de l’exploitation familiale et c’est évidemment sur cette base qu’il faut imaginer le développement et la modernisation des agricultures du tiers-mondeplutôt que sur d’hypothétiques investissements étrangers (ou publics) qui marginaliseraient un peu plus la vraie richesse des agricultures, les hommes.

Il est difficile d’expliquer la relation complexe de l’homme à « sa » terre. Plutôt que d’imposer au lecteur un pathos lénifiant, constatons simplement que c’est l’exploitation individuelle qui, sous tous les climats, dans toutes les civilisations, a donné – et de loin – les meilleurs résultats. Même les coopératives de production, fondées sur le volontariat (et non pas les « coopératives » à la soviétique ou à la chinoise), si prisées des milieux altermondialistes, ont eu en agriculture peu de succès dans la durée. Toute politique agricole doit donc aider et s’appuyer sur le tissu des agriculteurs individuels, et c’est cela qui, on le verra, les rend si complexes à gérer.

Un point à propos de la terre doit être souligné : il s’agit de sa propriété et de l’accès au foncier pour les petits paysans. Dans nombre de pays, les réformes agraires qui s’étalent entre les années 1920 et les années 1960 ont débouché sur une collectivisation plus ou moins avouée.La chute du communisme et le courant de libéralisation de la fin du XXe siècle ont provoqué le mouvement inverse, souvent dans le chaos le plus total : la question de la propriété du sol n’a pas été résolue dans des pays comme la Russie, l’Ukraine, les pays d’Asie centrale ou même la Chine, si ce n’est au profit de quelques oligarques locaux dont les projets de « fermes » allant jusqu’au million d’hectares (en Russie) font frémir. Dans bien d’autres cas, surtout en Afrique subsaharienne, c’est le problème tout simple de l’absence de cadastre qui se pose : la règle coutumière qui dit que la terre appartient à celui qui la cultive est au cœur de maintes tensions ethniques, en Côte d’ivoire, par exemple, entre Burkinabés et Baoulés.

L’existence d’un droit du sol, permettant le développement de la propriété individuelle au-delà de toute forme de contrôle collectif, est à notre sens une condition sine qua nondu développement agricole en maintes régions. Faut-il d’ailleurs rappeler que les agricultures britannique d’abord, française par la suite, n’ont commencé à décoller qu’à partir du moment où ont été abolis les communaux et tous les droits comme la vaine pâture issus des premières communautés féodales. Dans nombre de pays du tiers-monde, ce pas n’a toujours pas été franchi et plutôt que de s'émerveiller de la survivance de communautés plus ou moins tribales (et forcément sympathiques…), il faut accepter d’y voir bien souvent un obstacle au développement agricole.

Du Brésil à la Russie, du Sahel à la Chine, la question du foncier reste un obstacle majeur, comme au temps de la Rome des Grecques. Elle doit être au cœur des politiques agricoles dont on a redécouvert en 2008 toute l’importance.


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