Qu'avait-il vu ? Dans le doute, Marie agita ostensiblement le bas de son pull comme un éventail, pour faire rentrer de l'air, ce qui n'était assurément pas dans ses habitudes, surtout dans un lieu public. Les joues rouge pivoine, elle constata avec soulagement qu'elle n'était plus le centre d'intérêt du jeune homme, qui avait détourné le regard avec une moue consternée. Elle put se concentrer en toute quiétude sur la fermeture de la pochette. D'un doigt tremblant, elle appuya à la lisière de la déchirure pour fixer à nouveau la doublure.
Elle héla alors le bibliothécaire qui accourut. Après lui avoir rendu l'objet du délit, elle bredouilla un vague remerciement et se dirigea, les jambes en coton, vers la sortie. Elle imaginait déjà l'alarme se déclencher, les issues de sécurité se verrouiller, les policiers l'encercler et Scotland Yard l'interroger. Pourtant, rien de tout cela n'eut lieu.
Aussi exaltée qu'effrayée, elle regagna le vestiaire où elle se rhabilla après avoir palpé la liasse de feuilles pour s'assurer qu'elle était toujours en place. Elle récupéra ensuite ses affaires, ainsi que sa pièce d'identité. Oubliant de rendre la paire de gants, elle s'enferra dans d'incohérentes excuses pour enfin battre en retraite dès la porte entrebâillée. Dans les escaliers, elle s'arrêta quelques secondes pour reprendre son souffle. Les papiers poussiéreux, au contact de la peau, la démangeaient de plus en plus à mesure qu'elle sentait perler les premières gouttes de sueur glacées. Elle devait quitter au plus vite le musée où elle venait, à sa grande honte, de commettre ce que l'on appelait communément un " vol ", pour récupérer ses bagages à l'hôtel avant de prendre le train.
Deux heures plus tard, le train, à moitié vide, démarrait. En posant son sac sur le siège voisin, elle s'assura que personne ne l'occuperait. Lorsque tous les passagers furent installés, elle respira profondément puis souleva furtivement ses vêtements. Dans un joyeux méli-mélo, les feuillets s'abattirent autour d'elle comme une volée de moineaux. Elle s'empressa de les ramasser avant que quelqu'un ne lui proposât son aide puis les classa. Il y avait plus d'une centaine de pages manuscrites au format in-quarto. Par bonheur, pas une ne manquait. Elle tapota affectueusement la pile pour égaliser l'ensemble puis l'inséra dans la couverture d'un magazine qu'elle avait détachée à cette fin. En feuilletant la liasse, elle comprit rapidement que déchiffrer le manuscrit ne serait pas chose aisée, mais qu'importait ! Sa curiosité était telle qu'elle était prête à accorder tout son temps à cette entreprise.
Le cœur battant, elle lut la première page :
"Je ne peux me résoudre à disparaître avec ce terrible secret, comme je ne peux le dévoiler à quiconque sans risquer de mettre l'humanité entière en péril. Aussi, ai-je décidé de m'en remettre au hasard. L'amulette sera ma bouteille jetée à la mer. Le papyrus constituera la preuve que ce qui est écrit dans le journal de voyage est vrai. Je n'ai plus qu'un vœu à formuler : que ce secret, jamais, n'arrive en de mauvaises mains. Vous l'aurez compris, si vous êtes mon dernier espoir, vous représentez aussi ma plus grande hantise."La suite du manuscrit dans le prochain épisode !