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Caroline Sagot Duvauroux, Le Vent chaule

Publié le 01 septembre 2010 par Angèle Paoli
Caroline Sagot Duvauroux,
Le Vent chaule suivi de L’Herbe écrit,
José Corti, 2009.

HERB’ÉCRIT

   Tout l’or de Caroline Sagot Duvauroux coule dans les pages du Vent chaule et de L'Herbe écrit. Dès l’incipit du premier livre, « l’or de la parole » déborde : « d’abord encore désormais dorénavant lorgne bord alors essor ». L’or de la parole se prolonge comme un écho intérieur : « accords ordinairement… décolorera j’adore je décortique… l’or de la parole… l’œuvre morte… ». Or de l’ordre du temps, or des contraires qui le constituent, or du syllogisme. « Or je suis un homme ». « Un quelqu’ » tronqué par apocope, deux fois répété pour poser les bases d’une partition particulière. Du « la mineure » en « là mineur ». Et former au final un « requiem en majeure ». « Un quelqu’ » tracassé par ses interrogations trébuchantes (« Qu'est-ce qui ne va pas. Qu' qu'est-ce ? Ça. Qui ne va pas. Ça. Ce pourquoi. ») survient in medias res, confronté à des bribes de souvenirs douloureux. La poudre à canon a fait éclater la vie le monde. Texte anamnèse. « L’indécidable », « l’imprononcé » est ce qu’il reste de ce qui a été vécu. Reste la poussière (cendre et suif) qui s’est déposée sur les choses. Où était-ce ? Quand cela a-t-il eu lieu qui a fait passer la vie d’un avant à un après ? Nul ne sait. Et le présent qui se dit est fait de pleurs qui se raccrochent à quelques images : le vent, le bleu l’oiseau l’Antonello, la neige.

  Ainsi s’ouvre Le Vent chaule, sur une écriture qui se joue des genres, des catégories. S’en libère. Et se définit, un peu plus avant dans le texte, comme composition de « fines lanières » ou même « épluchures » qui brusquent la langue. Au même titre que l’herbe sur la lande.

  « Quelle besogne une langue sur une page. Besogne d’herbe sur la lande. » Sur la page-estran du second recueil, L’Herbe écrit, « l'herbe s'affole ». Toute une typographie mouvante, boustrophédone, à laquelle il faut ajouter des pictogrammes d’oiseaux, mime l'espace de l'estran. Herbe et vent. Oiseaux. La page s'anime pareille à un champ de lupins agité par le souffle du vent. « L'herbe écrit mais le vent chaule ». On attend un mur, des fruits, des jus, des grains, des terres. Que l'on aurait amendées à la chaux. Fermentations de voies. On s'attend à de belles récoltes, nourries au lait de chaux. On croise un vent qui secoue et démantèle. Le récit, la syntaxe, la phrase, le texte, l'arbre. Le mot, délesté de son e muet : « Je laisse dans le vent l’apocope des finales.
Le e muet tranché.
Ainsi pathos brut. »


  Et dans le vent, au plus près de lui, on croise le poète, cette « herbe » qui cherche son souffle de fiction. Et fait surgir, malgré le peu de « mémoire d’enfance », le souvenir de la mère et de la grand-mère, à qui est dédié Le Vent chaule. Souvenir de leur mort :

  « Mamy morte. Et les livres sont rangés. Phèdre et le jour blessé se sont réfugiés dans le corps clos d’un livre clos. » // « Ils l’ont portée dans un frigo, ils font le corps musée Grévin. On ne reconnaît pas la belle dame, oui bien sûr quelque chose, il y a bien quelque chose, mais c’est effrayant cette dame qui ne nous connaît pas du tout, qui ressemble un peu à maman ».

  Liés aux figures tutélaires de l’enfance et à une forme de bonheur, les bleus de l’Antonello ont illuminé ce temps d’avant. Le bleu de L’Annonciation surtout, la seconde, celle de 1470, qui nimbe le visage de la Vierge « au regard effroyablement savant dans le bleu qui s’enfuit du bleu partout où désormais on pensera bleu ». Né du blanc, le bleu devient leitmotiv et emplit l’espace qui s’ouvre avec la page « ) ici ciel bas » :

  « On est recouvert d’oiseaux. Du blanc coule. La lune ? On dit bleu. »

  « Tout est désert tout est en paix tout est blanc. On dit bleu. »

             « tu bleuchambras mourir maman
Restent la neige dans mes yeux la mer bleue »


  « Un évohé tout seul dans le blanc de l’hiver. Je suis ça. Je dis : bleu. »

  Liée au souffle, inspiration-expiration, l’écriture du poète est semée de gués qui guident vers les seuils où s’arriment images et textes hérités du passé. Gué du Gois et gué du Yabbok se côtoient. Ponctuée de passages tremblés d’une pierre à l’autre, de la peinture à la poésie, de la poésie à la peinture, l’écriture est épreuve, comme la peinture. Rencontre et symbiose. « Qui verra les secrets que j’ai enfouis dans les ocelles d’huiles ; les touffes intrépides que j’ai plantées dans de petites flaques brunes ou grises ? » interroge le peintre-écrivain.

   Ailleurs, livrée à la tourmente, l’écriture exhume les violences chaulées par le vent : « herb’ et cri ». L’herbe écrit le cri de l’indicible, horreurs perpétrées par l’homme sur son semblable. Le « deuil tremble d’un seuil ». Depuis les temps mythiques jusque dans le contemporain. Et le poète-oracle « aux images tourbillonnantes » rend hommage, à travers sa parole dissonante, à ses « sœurs d’exil » et d’esclavages.

  Oraculaire est la parole qui sourd de la bouche d’ombre de Caroline Sagot Duvauroux. Énigmatique et féconde. Dévastatrice, périlleuse, inventive, détonante, la parole pythique se déverse en flots vibrants sur qui reçoit les mots de plein fouet. Tenter de les retenir est impossible. Ils échappent à. La langue du poète résiste, qui s’insurge contre ceux qui voudraient l’assujettir : « N’encagez pas ma bogue de douleur ». Mieux vaut laisser les mots se désendiguer dans le tourbillon de la langue. Et laisser au poète sa grande « liberté de fougère ».

Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli


Note d’AP : une version abrégée de cette recension a paru dans la revue DiptYque, revue littéraire et artistique, « Versant 1 : La part de l’ombre », juin 2010, page 89.

LE VENT CHAULE C.SAGOT DUVAUROUX



CAROLINE SAGOT DUVAUROUX

Caroline Sagot Duvauroux 2


■ Caroline Sagot Duvauroux
sur Terres de femmes

Je dissone (extrait de L'Herbe écrit)



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