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Cadeau pour lendemain de veille

Publié le 25 décembre 2007 par Joëlle Sacré
« Brrr, dit la carotte, que cette eau est froide ! »
« A qui le dites-vous, lui rétorqua la forme noire gisant à ses côtés, l’humidité me transperce le corps et je ne serai bientôt plus qu’une boule de boue. »
« Vous ne pouvez mal, ma chère, vous vous trempez mais vous ne ramollirez point. »
« C’est vrai, reprit la carotte, si nous avions été prisonnières de ce vieux feutre mou, nous serions toutes trois dans une situation pire encore. »
« Pourquoi, pourquoi donc a-t-il fallu qu’il montre son nez ? soupira la première boule noire, désespérément trempée. »
« C’est le printemps, pardi ! l’agressa sa jumelle. »
La carotte tenta de changer de position, ne réussissant qu’à s’enfoncer davantage dans la gadoue du talus. Elle se lamenta une fois encore mais eût la parole coupée par la boule numéro deux.
« Ecoutez, au lieu de vous plaindre, pensez à vos consoeurs qui se meurent cuisinées dans une potée ou un ragoût fumant. Préfériez-vous leur sort : cuire à petit feu, avant de finir dans le gosier d’un gourmet gourmand de fortune ? »
« Assurément non, osa le légume déconfit. »
La première boule noire ricana : « quant à nous, nous aurions pu brûler vives dans le foyer d’un petit vieux ou la cuisinière d’une petite vieille, quelle horreur !

Un jeune garçon passa par là. Il vit la gadoue, un vieux chapeau, une carotte et deux morceaux de charbon. Il ne restait plus rien du bonhomme de neige qu’il avait construit, trois jours plus tôt, avec son père. Il sourit. Il se souvint de ses doigts glacés, de ses pieds trempés et il se remémora la bataille de boules de neige qui suivit. Le soleil printanier estompait déjà tous ces souvenirs.
Le gamin saisit le chapeau. Il le mit sur sa tête. Il shoota dans la première boule noire, qui alla se noyer dans une flaque profonde, tandis que la seconde décolla du sol, sous la force du pied sec qui l’expédia dans un bosquet voisin. Il prit la carotte dans sa main, la frotta sur son pantalon et s’en alla gaiement en la mordillant.
Du fond de son feuillage d’infortune, la boule de charbon ne pût s’empêcher de penser : « Cuites ou crues, les carottes finissent toujours par être mangées... » puis, elle ferma les yeux et se mit à rêver d’une charbonnière douillette et tiède, au coin d’un feu.


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