O toi, mon enfant ! Tout droit éjecté de mes entrailles ! Si tu savais dans quelle aventure tu t’es embarqué ! Une aventure que moi je vais quitter. Je déclare forfait. Je n’ai plus la force de faire semblant. Je croyais qu’en te voyant naître, j’allais avoir assez de courage pour te guider, te conduire, te tenir la main pour cette traversée pénible… Hélas, je suis lâche, et je l’ai toujours été. Je ne sais pas comment j’ai tenu jusqu’ici.
J’ai vécu ma vie à travers les yeux des autres, et il est hors de question que je la vive maintenant à travers toi. Tu feras ton bout de chemin, et tu ne sentiras point mon absence. Peut-être que si. Pour tes premières fois : tes premiers pas, ta première rentrée à l’école, ton premier examen, ton premier bouton de fièvre, ta première copine ; et c’est tout. Je serais ce fantôme qui viendra à un moment ou un autre te hanter, sur qui tu déverseras ta colère, ta frustration, mais aussi ton amour.
La vie m’a gâtée. La vie m’a trahi. La vie m’a donné. La vie m’a pris. Parfois j’ai gagné. Parfois j’ai perdu. A ce jeu-là, elle m’a devancée. Tous les moments de joie qu’elle m’a offert ne venaient pas seuls. Il fallait me rappeler que la vie n’est pas une partie de plaisir. Que pour l’apprécier il fallait souffrir. Jusqu’à quand ?
Mes larmes ont séché. Mes jambes n’arrivent plus à me porter. Mon esprit a lâché prise. Je vis entre hallucinations et rêveries; mais n’est-ce pas la même chose ? On m’a dit que pour être heureux, il fallait sacrifier. Et moi j’ai sacrifié. Suis-je heureuse pour autant ?
Je n’ai pas envie que tu vives avec l’ombre d’une mère. Une mère qui, en public, montre le meilleur d’elle, un sourire ravageur, une tenue parfaite, un savoir-vivre ahurissant ; et en coulisses, perde tout, même son âme. Je n’ai pas envie que tu te battes pour redonner à cette cloque que je suis devenue le goût de vivre. Tu es la meilleure chose dans ma vie, et si je te laissais faire, tu perdras ton âme toi aussi. Tu es le fruit de toutes les contradictions de la vie: amour, haine, indifférence, mépris, dégoût, amertume, joie,... Un fruit dont j'aurais aimé me délecter.
Si je devais te donner un conseil pour SURvivre, je te dirais « Fais de l’hypocrisie ton maître mot ». Je n’ai pas réussi à le faire, ni à l’être. Ne te laisse jamais abattre par ce que te disent les autres car, dans la vie, on a trois ou quatre choix importants à faire...Faut jamais laisser qui que ce soit les faire à notre place. Ta mère a vécu pour les autres, s’est laissé faire et n’a jamais osé dire « Non ! » de peur qu’elle ne se retrouve seule, ou de peur d’assumer les conséquences de ses choix. Dans les deux cas, elle est sortie perdante.
Mon enfant ! Je ne te demande ni de me pardonner, ni de rendre la vie facile à ton père ! Je te demande seulement de m’aimer, car tu serais la seule personne à le faire sincèrement.