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Ylan

Publié le 06 septembre 2010 par Banalalban

 Regardez-vous… je vous regarde moi… si vous saviez comme je vous vois… si vous saviez comme je vous juge à cette mesure du dégoût que vous distillez. Je vous observe. Je vous considère et vous imagine un peu aussi dans le noir de la salle de théâtre. J’imagine votre chute dans le silence que vous vous imposez là, alors que vous me voyez, moi debout à la lumière pour vous assis dans l'obscurité.

Si vous voyez mes yeux, vous savez ce que vous y valez et combien vous m’y écoeurez.

Je vous vois vous savez ? Je vous vois, assis, vous, couple-rat pour moi, solitaire-chat, vos gros culs posés sur les sièges en velours et vos mains jointes, moites et enlacées sur l’accoudoir tapissé. Vous vous abreuvez de nous, de tout ce que l’on vous donne. Mais vous, que nous donnez-vous ? Que donnez-vous à ceux qui se tiennent ici devant vous et vous ouvrent leurs drames ? Vous avez vos vies et vous les gardez alors que nous, nous nous exposons à vous, nous vous les livrons, sans concession, sans vous en tenir aucune rigueur. Nous ouvrons nos tragédies à vos faces spectatrices, nous nous ouvrons les veines sur scène et vous vous abreuvez de ce qu’il en sort. Nous vous donnons nos âmes, et vous rien que des orties.

Nous, vous, nous, vous, toujours.

Alors acceptez donc un peu que je me pose, face à vous. Acceptez d’être ici et pour un temps jugés, que je vous toise de haut, que je vous prenne sur le fait. Il y a un seau de merde à vos pieds et il est grand temps que quelqu’un enfin vous y plonge la tête dedans.

L’espace d’un instant.

Un court instant.

Le temps qu’il faut à une larme pour quitter la joue.

Le court temps d’un mensonge.

Le temps du drame…

Je vous vois moi, solitaire-chat, vous couple-rat. Qu’avez-vous fait ? Qu’ont-ils fait de vous ? Qu’avez-vous accepté ?


Je vois ce que vous essayez de faire. Je crois distinguer les objectifs et les moyens que vous vous imposez pour les atteindre. Je vois les concessions par centaines qui se bousculent au dessus de vos têtes. Je vois l’acceptation et la perte des tentations. Et je vois la résignation au milieu, trônant tonitruante au milieu du salon. Je vois la gamelle pour le chien et les croquettes pour chat, je vois le bocal aux poisons rouges, le lave-vaisselle et les couverts arrangés, achalandés, je vois le beau tapis et le tableau hors de prix, je vois la barrière dans l’escalier pour que les gamins n’y tombent pas, je vois l’écran plasma, je vois la tapisserie qui fleurit sur le crépi et le crépitement de la cheminée et le plaid sur le sofa, je vois le jardin-joli et le chemin bien ratissé devant la porte.

Qu’avez-vous donc perdu dans la lutte ? Que vous ont-ils fait admettre pour que vous déposiez les armes si facilement ? Qu’en est-il de la passion et des terrassements lapidaires de l’émotion ? Quand est-il de ce vibrionnant sentiment qui vous réveillait au matin, la bouche pleine des rêves que vous aviez fait ? Qu’en est–il de cette chose qui vous hérissait le poil et vous faisait tendre l’oreille sur les silences que l’on ne remarque d’habitude pas ?

Vous avez perdu l’acuité et la perspicacité face à ce que vous étiez… vous avez concédé au temps et au vent l’exaltation de la chose au profit de la monotonie dans laquelle on ne voit plus Dieu, que ses saints. Vous avez accordé aux années le bénéfice d’un couple qui s’aime comme ils le pensaient au détriment de l’engouement de ce que devrait être l’amour pour toujours.

Alors vous vous tenez la main, vous vous faites croire que ce geste en vaut encore la peine, qu’il scelle quelque chose. Pourtant, quoiqu’on en dise, les dents crantées mécaniques des engrenages de vos doigts ne jouent que par réflexe la musique automatique : nul n’est plus besoin d’y ajouter de l’huile : il n’y a plus rien à gagner quand l’amour n’est plus qu’une vieille habitude…

… qui fait tout juste comme une envie de pisser…

Pas plus.


Je veux d'un amour qui m’ouvre en deux, qui m’occupe l’esprit de la tête jusqu’au bruit que font mes talons sur la route ; je veux d'un amour qui se rappelle à moi chaque instant et qui me prouve qu’il en vaudra toujours la peine.

Je veux d’un amour qui me hérisse les poils du soir au matin et qui me rende bête à mourir, qui se répande sur les murs et arrache le papier peint avec soin.

Je veux d’un amour qui se lève à la mort, qui essaime depuis ma bouche jusqu’à vous et tranche vos gorges torves. Je veux vous voir crever tant j’aime, vous Résignés, moi Bohème.

Je veux ma bataille au soleil et la place juste à côté, là où le vent cède face aux mots.

Je veux d’un amour qui me parcourt à m’en rendre malade, je veux dégueuler jusqu’à ma conscience, plus que mes tripes.

Je veux de ses hanches sur les miennes jusqu’à m’en faire exploser la peau, la faire partir en lambeaux et la donner à vos chiens gavés de vos vies insipides.

Je veux n’être qu’un dans la peau de deux.

Je veux d’un amour qui n’existe que dans les livres que vous ne lisez plus.

Je veux d’un amour que je ne lis plus dans vos yeux.

Je veux d’un amour que vous ne connaîtrez jamais.

Je veux être celui qui aime comme vous n’aimerez plus.

Je veux aimer plus que tout, le fait d’apprendre à ne pas être vous.

Je veux d’un amour qui me fasse encore croire que je vaux plus que ça.

Je veux d’un amour qui me prouve que je ne vaux pas le chien, le chat, ni les poisons rouges, le lave-vaisselle et les couverts, le beau tapis et le tableau hors de prix, la barrière, l’écran plasma, la cheminée et le sofa, le jardin-joli et le chemin ratissé et pavé de bonnes intentions…

Je ne veux pas la gluance.

Je veux d’un amour qui me dise que je ne veux pas être comme vous, qu’il ne sert à rien de se résigner pour aimer.

Je désire un amour qui me prouve que je ne céderai pas.

Je veux un amour qui tue cette guerre en moi, qui me prouve que vous n’avez pas raison.

Que vous ne pouvez pas avoir raison.

Que je ne laisserai pas ça aux éboueurs aboyeurs que vous êtes…

Que vous vous êtes trompés, c’est sûr.

Que ce n’est pas ça d’aimer… sinon je le saurais…

Ça ne peut pas n’être que ça. Je n’y crois pas.

Que non, ce n’est pas possible, ce n’est pas vous qui avez la solution.

Que je ne suis pas une brebis.

Que je ne veux pas me résigner.

Que je ne vaux pas la résignation.

Que je vaux plus que vous.

Parce que je suis sur scène et vous en bas.

Parce que moi je suis dans les mots, et vous pas.

Que moi, moi je n’ai pas que les mots.

Que les mots ne sont pas qu’abêtissants.

Non, vous ne pouvez pas avoir raison.

Je ne vous le concède pas.

Je ne vous laisserai pas éteindre mes rêves et étreindre les rennes.

Ça ne peut pas être que ça, d’aimer.

Vous ne pouvez pas avoir raison.

Ce n’est pas possible.

Dites-moi que ce n’est pas ça…

Regardez-moi… je me regarde aussi vous savez… si vous saviez comme je me vois… si vous saviez comme je me juge à cette mesure du dégoût que je distille. Je me regarde. Je me considère et m’imagine un peu aussi. J’imagine ma chute dans le silence que je m’impose, là, alors que vous me voyez, moi debout pour vous assis. Moi pathétique, vous magnifiques.

Je vous laisse au final, la vraie vie, je n’en garde que les maux…

J’en ferai une pièce de théâtre… elle intéressera bien quelqu’un.


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