Dans la voiture de David. Un homme est allongé sur la banquette arrière et parle au plafond de la voiture. David lui répond, en lui jetant à intervalle régulier des coups d’oeil dans le rétroviseur intérieur.
- Nous sommes des moutons qui résistons. Réjouissez-vous, David, cette route ne nous mène nulle part.
- Excusez-moi, Lancelot, mais je ne vois pas en quoi faire les poireaux depuis dix jours est un haut acte de résistance collectif. Je suis désolé mais j’ai peut-être une vie qui m’attend dehors. Je ne sais pas, moi : un divorce à régler, des enfants à chercher à l’école, une vieille mère sur son lit de mort…
- Vous ne comprenez pas. Cette route nous conduit direct à l’eau, tout est submergé là-bas, le barrage a éclaté.
- Ah, c’est donc vous qui alimentez cette rumeur apocalyptique qui circule parmi nous ? Vous vous prenez pour qui, le nouveau prophète, Krishna des eaux ou Super Noé ? C’est dégueulasse d’abuser ainsi de la crédulité des gens.
- Parce que vous en savez peut-être davantage que moi ? Dites-moi précisément alors pourquoi nous sommes ici collés au cabot des uns des autres depuis des lustres ?
- …
- Vous voyez, vous n’avez pas davantage de réponse que moi. Et puis, désolé, vieux, mais vu les conditions, il faut bien survivre et gagner sa vie d’une manière ou d’une autre. Au prix où sont les bouteilles d’eau et autres victuailles au marché noir… Pas de mal que je le fasse à coup de prophéties.
- Non, ce n’est pas une raison pour tromper les gens.
- Vous êtes mal placé pour dire cela. Vous avez été le premier à tirer bénéfice de l’embouteillage en vous installant psy de secours. La place était déjà prise, il fallait bien que je trouve quelque chose d’autre.
- Ce n’est pas pareil : je permets aux gens de se soulager, de se libérer de leurs angoisses, vous, vous leur inventez de nouveaux maux en leur fourrant dans la tête chimères et autres cauchemars, tout droit sortis de votre imaginaire.
- Ah, ah, je comprends mieux maintenant : vous avez peur que je vous fasse concurrence ! Ne vous inquiétez pas : le bouchon ne cesse de grandir et la demande d’affluer de part et d’autre…