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En avant route : sur le chemin de Saint-Jacques

Publié le 09 septembre 2010 par Voilacestdit

J'emprunte ce titre "En avant route" au récit, vivant, sensible, non dénué d'humour, que l'écrivaine Alix de Saint-André vient de donner de ses expériences vécues sur la route du pèlerinage de Saint-Jacques de Compostelle - expression elle-même reprise de Rimbaud.
Cette route de Saint-Jacques, j'ai voulu moi-même l'expérimenter, sur une courte section d'environ 200 kms, à partir du Puy-en-Velay. Pourquoi se mettre en route, et sur cette route-là ?
On rencontre sur le chemin toutes sortes de motivations. Certains pèlerins ont une motivation clairement religieuse mais ce n'est pas la majorité. Beaucoup se sont mis en route "pour se retrouver" disent-ils, ou "pour rencontrer les autres". Le fait est que le chemin est un lieu de partages, de rencontres, au hasard de la marche, des haltes, des étapes. De groupe en groupe ou avec des personnes cheminant seules on échange, on fait la pause ensemble ou un bout de la route, on se perd on se retrouve le soir dans le même gîte ou le lendemain sur le chemin. La route offre des rendez-vous improbables, loin des entraves et des attaches, dans la fraternité de ceux qui cheminent.
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Chacun a ses motivations, mais il faut bien constater que tout le monde va dans le même sens. El camino, le chemin, est comme une ligne de force. Le flux des marcheurs est orienté dans une même direction - comme la limaille de fer dans un champ magnétique. Cette route est magnétique. Ce champ magnétique perdure depuis un millénaire. Cette orientation donne son sens à la marche.
Certains iront jusqu'à Saint-Jacques - c'est peut-être un but, mais pas sûr ; puisqu'il arrive, comme à notre écrivaine Alix de Saint-André, qu'ils font plusieurs fois le pèlerinage. On ne refait pas ce qu'on a déjà atteint. Le sens de la marche n'est peut-être pas la destination mais à découvrir chacun en son for intérieur, en marchant, et cette découverte peut être progressive, comme le sommet d'une montagne caché par un rideau de nuages bas tarde à se dévoiler.
 
Nous étions quant à nous sur la route. D'étape en étape, nous traversions le Velay par une longue montée aride depuis Le Puy, cependant qu'au fur et à mesure que nous nous élevions, nous pouvions voir au loin sur l'horizon le moutonnement des anciens volcans, comme sur une mer la succession de vagues apaisées, après la tempête de feu qui jadis forma ces paysages, les marquant de leurs scories noires et rougeâtres comme un coup de tampon sur un passeport.
Nous cheminions à mille mètres d'altitude sur ces vastes plateaux basaltiques qui conservent visibles au milieu de maigres cultures de blé, d'orge et de lentilles les traces pétrifiées des explosions du magma primordial, traversant plus avant vers les sommets de larges étendues odoriférantes de bois de pins, d'épicéas et de hêtres, après avoir longé quelques solides habitations bâties en pierres de lave jetant sur le paysage des notes de couleurs rouges, brunes et mordorées.
Redescendant par d'étroites sentes pentues les flancs de ces monts verdoyants, et franchissant l'Allier, nous remontions sur les hauteurs désolées de la Margeride que peu habitèrent jamais - terres de passage des humains et des troupeaux, battues par les vents, soumises aux rigueurs des hivers extrêmes et à la brièveté des étés, où se forgea la légende de la Bête du Gévaudan, qui sévit dans cette région dans les années 1760, qu'on décrit comme un loup avec un pelage fauve recouvert d'écailles, aussi haut qu'un âne avec les pattes plus courtes devant pourvues de griffes démesurées...
Nous traversions ces espaces de landes inhabitées et de forêts de futaies encore hantés de ces souvenirs, jusqu'à atteindre le plateau basaltique de l'Aubrac né d'une immense coulée de lave ponctué de gros blocs erratiques comme abandonnés çà et là au milieu des prairies où paissent les magnifiques troupeaux de vaches de la race Aubrac, qu'on reconnaît à leur robe couleur de miel, leurs yeux fardés de noir et leurs cornes en forme de lyre. Ici le paysage s'apaise. L'horizon s'arrondit en mamelons paresseux tapissés des restes des forêts de hêtres qui jadis recouvraient tout le plateau. Le corps de la terre est comme un grand nu couché. Les pâtures s'offrent sans fin au regard délimitées par les murs séculaires de pierres sèches. Le ciel est large. L'esprit s'aère.
Je me sentais de connivence avec ces paysages multiples, doux et sévères, chatoyants et arides, odorants et secs, traversés avec la lenteur de la marche à pied, laissant au corps rompu le temps long de l'imprégnation de toutes ces sensations, ces bruits espacés, ces odeurs, ces impressions colorées parfois mélangées comme les couleurs sur la palette d'un peintre, qui entraient en moi comme si mon corps eût perdu sa frontière.
Le soir venu le corps ivre de sensations n'aspire qu'au repos. À l'étape nous posions nos sacs à terre et accrochions nos pensées aux clous de lumière des étoiles.
Me revint cette parole que m'avait rapportée un pèlerin rencontré sur le chemin - il ne savait plus d'où elle venait :
La nuit est enceinte d'un enfant ; cet enfant est demain et nul ne sait ce qu'il sera.


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