Magazine Journal intime

Le Bêtisier De Noël.

Publié le 27 décembre 2007 par Mélina Loupia
Nous, les femmes au foyer super organisées, on a toutes nos petites manies. De celles qui peuvent vous plomber l'ambiance de la maison. Comme le repassage. Lui et moi, on se déteste cordialement, et il finit toujours par me repousser dans mes derniers retranchements, soit à lisser les faux plis de la chemise de travail de Copilote, le matin, direct sur le lit, avec le fer à repasser de secours sous la table de chevet. Après quoi, je soupire et me dis que ça ne peut plus durer, alors que je me rendors dans mon lit chaud et repassé. Cet après-midi là, j'avais décidé de casser la procrastination. J'avais fermement décidé que demain ne serait pas la veille de la session de repassage. J'avais traîné les 2 corbeilles dégueulant à peu près le contenu de tous les placards, ainsi que celui du sèche-linge flambant neuf qui faisait son rodage depuis 3 jours. La table à repasser bloquait stratégiquement le passage vers Marilion qui allait devoir se passer de moi l'après-midi tout entier, et la cuve du nettoyeur vapeur n'attendait plus que je lui signifie qu'elle pouvait commencer à se chauffer. Quant au fer, accessoire indispensable, il me suffisait de soulever Agrippine qui le couvait depuis la veille dans le cellier, dans le seul but de voir son chéri de maître de Copilote hurler contre moi que ce putain de fer à repasser pouvait pas avoir disparu comme ça. Dès 14h, tout était prêt. Sauf moi. Pendue au téléphone depuis 1h46, j'alimentais les derniers potins du Web en perdant vaguement à ce maudit jeu chronophage de recherche du diamant perdu que je ne trouverais jamais ailleurs que dans mes rêves les plus fous. Lorsqu'à 16h14, je mets fin à la conversation et avale la dernière gorgée du 8ème café de la journée, je suis parfaitement conditionnée pour faire la chasse aux plis sournois ainsi qu'aux manches à soufflets. Et à toute vapeur. A 17h 48, la scène du crime avait été entièrement nettoyée, à toute vapeur. C'était une heure fort raisonnable pour m'attaquer à la composition du menu festif que j'avais imaginé voici près de 6 ans, lors de mon premier Noël en famille, à 5, Copilote, Jérémy, Nicolas, Arnaud et moi. Dans me tête, la table de fête brillait déjà de 1000 feux dans les yeux de mes convives, salivant à l'avance. Ce menu, je le connais par cœur, je pourrais le réaliser partout. En entrée, ce serait des crevettes tropicales au curry, suivies d'une lotte à l'américaine et ses petites noix de pétoncle, accompagnées d'un riz thaï cuit à la vapeur. Le petit plateau de fromages aux goûts exclusifs de chacun précèderait mon île flottante unique et inégalée. Placenta diffuserait son programme de Noël, car en effet, il se trouve qu'on était  le 24 décembre. Après le dessert, nous suggèrerions aux enfants d'aller ranger leurs chambres en attendant que le Papa Noël, très timide, ne vienne déposer au pied du sapin les joujoux par milliers dont nous lui aurions fait l'avance quelques jours plus tôt. Cependant qu'il sifflerait l'Armagnac que nous lui aurions promis nous nous empresserions d'emballer les cadeaux. S'en suivrait ce que les grands enfants que nous sommes restés, la magie de Noël et l'énorme bordel dans le salon, les cris de joie, et la mise à l'épreuve des présents. Nous finirions tous les 5 épuisés de tant d'émerveillement, gavés comme des oies et du bonheur plein le cœur. Tel était le long métrage qui se déroulait dans ma tête alors que le pain dorait dans le four et que les jaunes d'œuf sucrés pour la crème anglaise copinaient sagement dans la casserole. Le temps d'aller au salon monter le son de la musique et de trébucher sur Maurice et la catastrophe se produit. La crème avait elle pris de l'avance sur la soirée et avait tourné. Comme on ne file pas à l'anglaise comme ça dans ma maison, en quelques coups de fouet énergiques, la crème s'est remise de ses émotions et j'ai pu suivre le courts des évènements, à savoir la cuisson de l'île et de son petit caramel doux. Le dessert prenant le frais au réfrigérateur, j'enclenche la minuterie du cuiseur vapeur pour que le riz soit pile à l'heure au moment du repas. L'heure était venue pour les crevettes, la lotte et les noix de pétoncles de sortir de leur cryogénie. Un petit bain d'eau froide dans l'évier et le tour était joué, les chairs se sont détendues et s'offraient à moi et mes doux traitements. A 18h25, Copilote a fait son entrée triomphale avec son " Ouh, mais ça sent bien bon ici, c'est Noël?" Le fruit de la mer rendait son iode dans le wok et attendait son bain d'huile pour nous révéler tous ses secrets. Assis au bar, en tête à tête, nous avons pris le temps de savourer un petit apéritif tout en minutant la suite des évènements. Après 2 verres nécessaires à la mise en place du planning, la lotte avait rendu toute son eau et également toute sa consistance. Les arêtes flottaient à la surface, alors que les crevettes n'étaient plus qu'un ramassis enroulé sur lui-même de chair rosie, et que les noix de pétoncles avaient sombré dans le jus blanchâtre. A l'abri des regards indiscrets, j'ai tenté un sauvetage de dernière minute, sans vérifier que la passoire était bien trop petite pour sauver tout ce petit monde de la noyade. Lorsque j'ai récupéré les restes de la lotte dans l'évier, le riz était cuit. Je me suis demandée, à ce moment-là, si un coup de blender ne serait pas salvateur pour que le nom de soupe de poissons soit justifié, mais je me suis vite ravisée, on ne sert pas la soupe à Noël et le menu avait déjà été imprimé dans la tête de mes invités. Alors, méticuleusement, je me suis mise à trier les déchets, avant d'avouer l'inavouable. 20 minutes avaient été nécessaires pour retirer les arêtes et le cartilage suspect du plat qui ne ressemblait toujours pas à ce que j'avais promis. La lotte était émiettée, les crevettes minuscules et le corail des noix avait disparu par trop de cuisson, dans les grands fonds de la sauce tomate, elle-même noyée par le vin blanc, dont j'avais surestimé la ration. Seuls les oignons jouaient leur rôle, frits et confits. Alors que je ne savais pas comment annoncer mon naufrage culinaire, l'instinct de conservation m'avait fait décider de changer le cours du temps. Un 3ème verre à la main, j'ai suggéré à Copilote l'idée toute simple d'avancer l'heure d'ouverture des cadeaux, priant très fort pour qu'une solution de remplacement n'excite mon imagination légendaire. "Si on leur donnait les cadeaux avant le repas? Le riz est pas tout à fait cuit et il est même pas 9h, tiens, ton anis frais comme tu l'aimes, tu veux des olives pour pomper?" Lorsque nous sommes passés à table, Placenta s'était transformé en stade de foot et le salon en musée du papier. Mais aucune excuse à mon échec cuisant. "Je crois que j'aurais pas dû acheter du surgelé, je sais pas ce qu'il s'est passé mes chéris, mais la lotte a fondu, je vais chercher le riz" Comme un malheur n'arrive jamais seul et qu'il se fiche bien de la trêve des confiseurs, le riz baignait dans son eau de cuisson, froide. Si je me souviens parfaitement d'avoir enclenché la minuterie, en revanche, d'avoir vérifié si l'appareil avait été bien rebranché après les tests électriques lors de la panne du sèche-linge, je n'avais pas mémoire. Effectivement, après avoir constaté que la prise n'était pas alimentée, il était logique que le riz ne puisse pas avoir cuit. J'ai eu beau proposer un match de foot à 5 pour tester le jeu sur écran géant en haute définition, tout le monde était affamé et ne souffrirait donc aucun délai. En 10 minutes, 2 sachets de riz en sachet à cuisson rapide et de plates excuses, nous sommes passés au dessert qui lui, avait tenu ses promesses. Pour me faire pardonner, j'avais du me soumettre au supplice du plat de résistance, dont j'avais rempli mon assiette, en toute bonne foi, et afin de prouver que je n'avais pas encore décidé d'intoxiquer les hommes de ma vie tout de suite. Ainsi fait, une enclume dans l'estomac, j'ai tangué toute la soirée, avachie sur Ténérife, en décrétant que je n'avais pas le pied marin, pendant que mes 4 convives, frais comme des gardons, digéraient sans peine mon dessert flottant et s'adonnaient au championnat de football électronique. J'ai déclaré forfait à minuit et me suis éclipsée dans mes quartiers, sous la couette, espérant que quelque bêtisier de saison apaiserait ma nausée marine. A 2h13, la coupe du monde battait son plein dans le salon, en dolby surround et ne faisait qu'accélérer le retour imminent du contenu de mon estomac à l'air libre. "Sérieux, vous en avez pas marre de jouer à la console là? -Oh c'est Noël, tu vas pas nous la faire à la Mère Fouettard non? -C'est juste que j'ai la lotte qui veut faire partie de la fête et que c'est 2h, mais sinon, tout va bien. -Alors si tout va bien, vas te coucher. -Vous savez quoi? -Non? -Ebé la crème anglaise, je l'ai chiée aussi, elle a tourné. -On s'en fout, c'était bon et on avait faim. Par contre, le reste, tu peux le foutre à la poubelle. -Je vais en filer aux chats, eux au moins, ils sont pas bégueules, c'est pas 2 ou 3 arêtes qui vont les empêcher de se régaler. -Si y a un pâté de poisson demain matin dans le salon, je nettoie pas. -C'est ça, en attendant, baissez le son, bonne nuit." Le lendemain matin, à 7h, la mer démontée dans la bouche, j'ai pensé qu'un café suffirait à laver les excès de la veille et c'est en évitant de justesse l'indigestion d'un chat sur le tapis de la cuisine que j'ai fini par admettre que j'avais chié mon menu de Noël. Je n'ai pas cherché à servir les restes à midi, juste le riz trop cuit avec du jambon emballé et l'île noyée au caramel. Depuis, je me suis mise au tricot, devant la télé, allongée sur le lit, dans ma chambre. J'attends toujours la diffusion du bêtiser de Noël.

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